Les travailleurs étrangers venus en France (comme ailleurs) au cours des "Trente Glorieuses" ont maintenant pour une bonne part atteint l’âge de la retraite. Et souvent, pour des raisons qui tiennent aussi bien à l’impossibilité de toucher sa pension en retournant dans leur pays d’origine qu’à une forte "acculturation" à la société d’"accueil", ceux-ci coulent finalement leurs vieux jours dans cette dernière. Cette question, mise notamment en avant ces dernières années à travers la figure des "chibanis" et autres pensionnaires âgés des foyers de travailleurs migrants, soulève un certain nombre de questions à la collectivité que nous formons, à commencer par celles de savoir qui sont exactement ces hommes. Le portail "Vieillesse immigrée" qui vient d’être lancé tente d’apporter un début de réponse à ces interrogations, en se centrant principalement sur le cas des migrants marocains.
Voici comment son fondateur et animateur Omar Samaoli présente ce projet :
"Il y a quelques années une initiative de la sorte pouvait à juste raison paraître périlleuse intellectuellement, dangereuse socialement au nom des valeurs les plus élémentaires de la solidarité ou de l’engagement citoyen qui ne peut supporter aucune exclusive ethnique, nationale, culturelle ou religieuse.
Ainsi, nous avons pris le temps des années durant à asseoir une visibilité totale à une population diverse mais subissant les mêmes affres et les mêmes difficultés au regard de sa vieillesse et la manière dont celle-ci était ou non prise en compte dans l’ensemble des dispositifs publics, des politiques de la vieillesse et de l’aide aux personnes âgées.
Sans trahir cette façon d’appréhender ces mêmes réalités, nous pensons aujourd’hui autant par nécessité politique que par stratégie dont nous espérons les bénéfices nombreux et surtout rapides sur ce public, que l’implication des pays d’origine ou tout au moins leur interpellation est largement justifiée. Il va sans dire qu’un site consacré à la retraite et à la vieillesse des MRE s’inscrit dans un souci d’associer les populations marocaines de l’immigration et dans celle-ci à l’ensemble des initiatives nationales ou à l’intérêt spécifique qu’elle est en droit d’attendre des responsables marocains. Il se veut aussi une fenêtre sur les conditions du vieillir dans l’immigration dans une tentative d’analyse de conditions de vie, de mutualisation de savoir-faire et probablement de prospectives d’initiatives à mettre en place en direction de cette tranche de la population marocaine, là où elle se trouve, là où elle souhaite vivre
Comment apprécier le ici et maintenant de l’immigré marocain âgé, sans savoir d’où il vient ? Quel pacte social, culturel ou affectif a t-il rompu ou seulement " bricolé " effectivement pour pouvoir continuer à être ici et là-bas, avec ceux d’ici et ceux de là-bas et se réclamant d’ici et de là-bas ?
Oui les immigrés marocains comme les autres immigrés d’ailleurs, issus de ces cohortes de la main d’œuvre concomitante aux reconstructions industrielles de l’Europe et à l’appel d’air économique des trente glorieuses, sont entrés ou se sont invités par "effraction sociale" dans le champ de la vieillesse et de la gérontologie françaises. Ils sont entrés surtout par cette même effraction dans le champ des politiques sociales de la vieillesse et de la retraite en France".