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Pascal Lardellier, Le pouce et la souris. Enquête sur la culture numérique des ados

Rachel Gasparini
Le pouce et la souris
Pascal Lardellier, Le pouce et la souris. Enquête sur la culture numérique des ados, Fayard, 2006, 230 p., EAN : 9782213627175.
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Texte intégral

1Ce livre s'empare de vraies questions à propos de la culture numérique des adolescents, phénomène tout à fait actuel, en perpétuelle évolution (nouvelles techniques, nouvelles pratiques d'où des données statistiques sans cesse mouvantes), sur lequel portent insuffisamment de travaux : quelles sont les raisons de l'engouement des jeunes au détriment de loisirs plus traditionnels (y compris la télévision) ? Quels sont les effets des supports matériels et techniques sur les conditions sociales et cognitives de réception ainsi que sur le rapport à la connaissance et à l'effort intellectuel des adolescents ? Quels sont les effets de l'usage des nouvelles technologies sur la sociabilité juvénile ? Quelles sont les modalités d'apprentissage informel, entre pairs, de ces nouvelles technologies ?

2L'ouvrage est présenté comme un guide destiné à donner des repères aux parents, aux enseignants et qui n'a pas la prétention d'être une enquête sociologique approfondie sur la question. Il a le mérite d'expliciter les pratiques liées aux nouvelles technologies, celles connues et celles moins connues (téléphone portable, SMS, mails, MSN, chat, blog, jeux « on line ») et de les resituer dans une histoire rapide de la culture selon l'évolution des supports matériels (alphabet, imprimerie, télévision, internet). On y apprend par exemple qu'au moment où a été édité le livre, 7% des enfants de moins de 11 ans sont déjà équipés en mobile, que le taux monte à 72% pour les 14 ans et presque 100% des adolescents à la fin de la scolarité obligatoire, enfin que 92% des 11-17 ans envoient régulièrement des SMS. L'auteur pointe également une distinction entre les adolescents de 10-15 ans (ils subissent davantage les effets de la mode, de la pression publicitaire, du regard du groupe) et ceux de 15-18 ans (ils prennent plus conscience des stratégies de marketing, ils critiquent le conformisme social et commercial dans les pratiques numériques).

3L'auteur développe une analyse intéressante des raisons pour lesquelles les jeunes sont séduits par la culture numérique : elle est ludique, elle utilise des technologies personnalisées (appropriation de son téléphone, de son ordinateur qui sont des espaces intimes), elle requiert l'usage de « petites machines » (comme les téléphones portables) qui tiennent de l'animal domestique (ils suivent leur propriétaire partout), elle peut permettre une économie financière par rapport au téléphone (MSN, SMS) et une économie relationnelle (communication libérée des contraintes de la politesse et de la civilité), elle relève parfois de pratiques illégales (téléchargement de musiques ou de films), elle est soutenue par une offensive commerciale forte. Les parents sont dans l'ensemble plus cléments à l'égard des pratiques liées aux nouvelles technologies utilisant l'ordinateur que par rapport aux habitudes télévisuelles avec en filigrane l'idée selon laquelle l'informatique peut aider scolairement leurs enfants et reste quand même plus sérieuse, ce qui n'est pas forcément le cas (voir par exemple les jeux « on line »). Les familles sont plus ambiguës par rapport à l'usage des portables que les parents jugent trop accapareurs de temps pour leurs enfants mais qu'ils utilisent pour les contrôler.

4Il est dommage cependant que certaines dimensions inhérentes à la sociologie (dont se réclame l'auteur) n'aient pas été plus considérées. D'abord le choix méthodologique de n'enquêter que des étudiants (130 au total, de 17 à 21 ans) du département Services et Réseaux de Communication de l'IUT de Dijon : même s'ils ne bénéficient pas que d'enseignements en « techniques multimedia » mais aussi en communication, économie, droit, langues, même s'ils ne sont pas tous issus de filières scientifiques (35% viennent de littéraire), ils ne sont pas représentatifs des « jeunes » ou des « adolescents » en France qui choisissent d'autres filières d'enseignement, dans d'autres types d'établissements que des IUT, voire qui ne sont pas étudiants. Un panel plus diversifié aurait évité sans doute des généralisations abusives à partir d'étudiants qui ont une attirance de fait pour les TIC. L'auteur commence par le portrait de Jérémie, « lycéen français de 17 ans, poli et réservé », « issu de classe moyenne », qui « vit avec sa mère dans une grande ville de province » et qui est présenté comme un adolescent « moyen » (avec une confusion préjudiciable entre la catégorie socio-professionnelle des parents et l'attitude de leur enfant). L'appartenance à une tranche d'âge commune ne doit pas occulter la prise en compte de variables sociologiques plus traditionnelles, l'origine sociale notamment (voir par exemple Laurent Trémel, 2001, qui a analysé les pratiques juvéniles socialement différenciées des jeux vidéo). Si Bernard Lahire (2004) a démontré que des passerelles existent entre « haute culture » et « basse culture » chez les individus (cité dans le livre), cet auteur n'a pour autant pas adopté une posture relativiste qui consisterait à penser que toutes les pratiques culturelles se valent et que tout le monde a un accès matériel égal à la culture. Par contre, Pascal Lardellier souligne à plusieurs reprises des différences selon le sexe tout à fait intéressantes : les filles sont plus attirées par les blogs et le téléphone portable que les garçons qui sont eux davantage intéressés par les questions techniques et les jeux « on line »

5Ensuite il aurait été intéressant pour mieux saisir les spécificités de cette « culture numérique » adolescente d'avoir un aperçu comparatif des pratiques adultes. Par exemple l'attirance pour le blog qui valorise l'intérieur de soi, la tendance à vouloir être conseillé par des inconnus plutôt que des proches se retrouve-t-elle chez les adultes ? Ou bien encore l'accélération de notre accès à l'information, à la communication et l'impatience qu'elle risque de générer n'est-elle pas symptomatique de notre société en général ? Ainsi, l'auteur parle d'une « fracture générationnelle » dans le sens où les jeunes ont « investi des machines à communiquer avec un tel engouement que cela modifie leur être social, et aussi leur psychologie » mais on peut se demander dans quelle mesure ce phénomène ne concerne pas aussi les adultes, même avec des usages différents des plus jeunes.

6Enfin, ce livre manque trop souvent de recul sociologique. D'abord par rapport aux propos des étudiants pris « tels quels » comme des interprétations directement utilisables, par exemple : « Les jeunes recherchent un lien affectif perdu dans certaines familles, à cause de la société de consommation ». On relève également beaucoup de jugements de valeurs, des propos non étayés par des preuves, qui relèvent plus du sens commun que de l'analyse sociologique, par exemple : « le formidable essor des technologies sociales est aussi à chercher dans certaines déshérences familiales », « Et il est vrai que beaucoup d'ados ne voient plus le monde et les autres qu'à travers les écrans, non plus de télévision, mais d'ordinateurs », « Et on comprend combien les ados, souvent frappés par la solitude (dans les familles monoparentales, quand leurs parents travaillent tard...), pas très à l'aise dans leur peau et maladroits dans l'expression de leurs sentiments, ont surinvesti ces providentielles TIC », « la famille et l'institution scolaire donnent de moins en moins de repères aux jeunes ».

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Pour citer cet article

Référence électronique

Rachel Gasparini, « Pascal Lardellier, Le pouce et la souris. Enquête sur la culture numérique des ados », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 23 septembre 2006, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/308 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.308

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Rédacteur

Rachel Gasparini

Maître de conférences en sociologie, Université Lyon 1 et membre du Centre Max Weber

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