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Philippe Warin, L'Accès aux droits sociaux

Igor Martinache
L'Accès aux droits sociaux
Philippe Warin, L'Accès aux droits sociaux, Presses universitaires de Grenoble, coll. « Politique en plus », 2007, 168 p., EAN : 9782706113864.
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Notes de la rédaction

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Texte intégral

1Si la question des droits sociaux est, à juste titre, au cœur des débats, on s'interroge moins souvent sur leur mise en oeuvre pratique. Il s'agit en effet de ne pas surestimer le caractère performatif du politique, c'est-à-dire de croire qu'il suffit d'énoncer une mesure pour que celle-ci soit concrètement appliquée. Enseignant-chercheur à l'Institut d'études politiques de Grenoble, Philippe Warin s'est d'ailleurs spécialisé dans l'étude de la réception des politiques publiques par leurs destinataires. Or, s'il est un domaine où cette résistance du monde social au volontarisme politique apparaît tout particulièrement problématique, c'est certainement celui de la protection sociale. Pourquoi, en effet, certains individus ne demandent-ils pas à bénéficier des aides auxquelles ils sont normalement éligibles ? C'est à l'éclairage de ce faux paradoxe que Philippe Warin consacre donc cet ouvrage. Ceux qui s'attendent à une enquête ethnographique approfondie risquent cependant d'être déçus, car il s'agit avant tout d'une introduction à la question de l'accès aux droits sociaux. L'auteur y fait ainsi le point sur la manière dont cet « objet » a été progressivement construit, dans les espaces ici indissociables de la politique et de la recherche, non sans renvoyer à la fin de chaque chapitre à une série de travaux permettant d'approfondir le point qui y est traité.

  • 1 Une conception que l'auteur résume par une maxime explicite : « aidez-vous, le système vous aidera  (...)

2Dans une première partie, Warin revient donc sur l'émergence de cette thématique dans le contexte français. Etonnamment, celle-ci est fait relativement précoce, puisque dès la Révolution de 1789, l'organisation concrète de solidarités collectives conformes aux droits de l'Homme a constitué une préoccupation de premier plan. C'est en fait à une résurgence de cette question que l'on a assisté à la fin des années 1970 avec la « découverte » de la « nouvelle pauvreté » et de l'existence du « quart-monde ». La prise de conscience d'une non-automaticité de l'accès aux droits sociaux par leurs bénéficiaires potentiels a cependant émergé au sein de la Caisse Nationale d'Assurances Familiales (CNAF), qui a alors lancé des enquêtes spécifiques sur le sujet, tout en en faisant une priorité de son action -du moins dans le discours. Mais si la priorité s'est progressivement étendue à l'ensemble des institutions sociales s'adressant aux publics en difficulté, Philippe Warin observe cependant que les autorités françaises ont finalement fait le choix de responsabiliser les individus dans leurs rapports avec les services prestataires, s'éloignant ainsi de la tradition nationale -et même européenne-, pour se rapprocher de la logique du workfare anglo-saxon1.

3Ensuite, l'auteur s'intéresse à la manière dont l'accès aux droits sociaux s'insère dans la politique européenne. Au sommet de Lisbonne en mars 2000, les membres du Conseil Européen se sont en effet fixés pour objectif d'éliminer la pauvreté d'ici 2010, et de lutter pour « l'inclusion sociale ». Deux groupes de recherche, emmenés respectivement par Mary Daly et Peter Melvyn, ont alors été mandatés pour étudier spécifiquement la question de l'accès aux droits sociaux, et leurs travaux ont permis de remettre en lumière les facteurs institutionnels parmi les obstacles qui se dressent devant les ayant-droits, contre les déterminants comportementalistes traditionnellement privilégiés. Mais une fois de plus, si la levée de ces obstacles institutionnels est devenu une priorité, pour Philippe Warin, celle-ci « demeure pour l'instant à l'état d'intention généreuse étant donnés la disparité des situations nationales et les capacités des Etats pour agir ».

4Le chapitre suivant est consacré plus généralement à la réforme des systèmes de protection sociale, face au problème grandissant de leur financement. Après un panorama de la diversité des régimes de protection sociale en Europe -déjà bien mise en évidence par de nombreux travaux, notamment ceux de Gosta Esping-Andersen-, Philippe Warin observe que l'ensemble des pays européens adoptent depuis quelques années le même type de réformes pour répondre à cette crise du financement : un « ciblage » croissant des prestations sur les personnes les plus en difficulté. Mais, alors que la sélectivité tend à s'étendre aux « autres pans du patrimoine social », notamment les services publics, elle a pour conséquence néfaste de stigmatiser les bénéficiaires de prestations sociales, ce qui conduit certains à renoncer à l'exercice de leurs droits.

  • 2 Suicide, l'envers de notre monde, Seuil, 2006.

5La question spécifique du non-recours (« non take up » en anglais), c'est-à-dire la non-utilisation prestations sociale par leurs bénéficiaires potentiels, est étudié dès les années 1930 au Royaume-Uni. Mais elle n'émerge réellement en France qu'au milieu des années 1990. Les débats portent ainsi non seulement sur sa définition et sa mesure, mais aussi sur ses facteurs. Les variables « socioculturelles » initialement avancées ont ainsi laissé progressivement la première place aux facteurs institutionnels, malgré la réticence des responsables politiques ; mais un autre constat a été également établi : celui d'un non-recours volontaire et non seulement subi, qui pourrait traduire la montée d'une défiance radicale à l'égard de l'action publique. Ce problème du désintérêt pour l'offre publique constitue ainsi la trame du chapitre 5, et surtout d'une nouvelle vague de travaux de recherche depuis le début des années 2000. Ceux-ci confirment ainsi les dysfonctionnements institutionnels et la montée d'un non-recours « choisi », qui vient en fait s'inscrire à l'articulation du cumul des précarités (emploi, salaire, couverture maladie) par les « salariés pauvres », et de l'évolution des modes de vie et de consommation. S'appuyant sur le récent travail de Christian Baudelot et Roger Establet consacré au suicide2, Philippe Warin avance que les personnes concernées sont ainsi confrontées à une perte de repères et un malaise existentiel, qui pourraient eux-même constituer un marqueur de génération.

6Il s'agit ainsi de « déchiffrer le social » pour faciliter l'accès aux droits, ainsi que l'affirme le titre du dernier chapitre. Le déficit d'information est ainsi pour Philippe Warin au cœur du problème. Mais il ne s'agit pas seulement de l'information par les bénéficiaires potentiels de leurs droits que de l'information sur l'accès aux droits. Hormis peut-être dans le domaine de la santé, il manque ainsi d'enquêtes consacré à l'accès aux droits sociaux en France. Mais il existe aussi de solides cloisonnements administratifs, aussi bien verticaux qu'horizontaux. L'accent est ainsi à mettre, selon Warin, sur les « ruptures d'information » entre les institutions étatiques, mais aussi entre elles et le monde associatif, ainsi que sur une meilleure connaissance et valorisation des savoirs relationnels des professionnels dans la prise en charge des publics. Autant de perspectives qui révèlent que la question de l'accès aux droits sociaux est bel est bien d'une importance cruciale dans le maintien de la cohésion sociale. Et qu'elle a de beaux jours devant elle, et, espérons-le, pas uniquement dans les discours.

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Notes

1 Une conception que l'auteur résume par une maxime explicite : « aidez-vous, le système vous aidera »

2 Suicide, l'envers de notre monde, Seuil, 2006.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Igor Martinache, « Philippe Warin, L'Accès aux droits sociaux », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 28 mai 2007, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/415 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.415

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