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Catherine Achin, Lucie Bargel, Delphine Dulong, Eric Fassin, Sexes, genre et politique

Nolwenn Neveu
Sexes, genre et politique
Catherine Achin (dir.), Sexes, genre et politique, Économica, coll. « etudes politiques », 2007, 184 p., EAN : 9782717853674.
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Texte intégral

1Cet ouvrage collectif a pour ambition de faire une évaluation de la loi sur la parité six ans après sa première application. Les auteur-e-s ont souhaité « ouvrir la boite noire qu'est le champ politique » pour y observer, en temps réel, les jeux et les enjeux que la réforme paritaire a engendré. Mêlant des méthodes et des approches relevant des gender studies, de la science politique, de la sociologie politique et de la sociologie de l'action politique, l'ouvrage étudie deux phénomènes : ce que la politique fait au genre (quelle est son influence sur l'image des femmes, les relations de genre, les représentations sociales) et ce que le genre fait à la politique (une identité sexuée peut elle devenir une ressource politique).

2L'ouvrage rapporte les résultats d'une enquête collective effectuée par une quinzaine de chercheur-se-s sur huit sites géographiques différents et six élections, locales et nationales, entre 2001-2005. Plus de 150 entretiens ont été réalisés ainsi que trois questionnaires auprès des adjointes de communes de plus de 3500 habitants en PACA. L'objectif étant d'étudier les aspirations, pratiques et discours de femmes qui, au-delà de l'appartenance à un même genre, ne partagent pas les mêmes ressources, ni la même expérience politique.

3Après avoir tracé un bref historique de la place des femmes dans la sphère politique française, les auteur-e-s présentent, dans leur introduction, les débats qui ont précédé le vote de la loi sur la parité et montrent que le contexte politique de l'époque et le texte même de la loi avaient en partie verrouillé la possibilité pour les femmes d'accéder à une réelle parité dans la sphère politique. Leur travail s'organise ensuite en de quatre grandes parties.

4Dans la première partie (De la contrainte à l'opportunité : les logiques de recrutement paritaires), les auteur-e-s étudient le travail de fabrication des listes électorales et retracent le processus de construction du rôle d'élue au moment de la fabrication des listes. En transformant les règles juridiques du recrutement politique, la loi sur la parité a créé les conditions d'une objectivation de pratiques qui, jusqu'ici, n'étaient pas pensées ni explicitées : les « faiseurs de listes » furent de justifier leurs choix. La réalité numérique de l'irruption féminine dans le champ politique a modifié la façon de faire les listes : il devint plus difficile de rétribuer des engagements militants. Aux listes rétributives, ont succédé les listes « marketing » ; où sont soupesés les origines, les capitaux associatifs et réputationnels. En hiérarchisant les critères de l'éligibilité féminine, les têtes de liste dessinaient le portrait de ce que « sont ou doivent être les hommes et les femmes en politique » Les choix traduisaient les attentes investies dans l'accès des femmes au pouvoir politique : plus de pragmatisme et de proximité. Les profanes furent sursélectionnées afin de maintenir la norme d'un engagement féminin désintéressé. La construction des listes fut donc un moment de réaffirmation de la différence entre les sexes et de réactivation des stéréotypes genrés.

5La deuxième partie de l'ouvrage (Des femmes et des scènes électorales), s'intéresse aux pratiques des femmes en campagne. Celles-ci ont elles-mêmes revendiqué des qualités féminines qui, pour la première fois, ne furent pas affectées de valeur négatives. Alors que tous les travaux sur les femmes en politique soulignaient combien il était jusqu'alors nécessaire de gommer sa féminité pour réussir en politique ; dans le contexte de la réforme, s'est amorcé un travail collectif de constitution d'une nouvelle identité en politique : celle d'élue. Les candidates qui briguaient un mandat en 2001 furent les premières à revendiquer leur différence. Elles se présentaient toujours comme « plus » ou « moins » que les hommes : plus disponibles, plus concrètes, moins ambitieuses. Les femmes engagées dans la compétition ont su jouer du genre en revendiquant précisément les qualités pour lesquelles elles avaient été recrutées, c'est grâce à leur différence que leur entrée sur la scène électorale apparut légitime. Reste que cet engouement pour les candidatures féminines a été de courte durée : les sénatoriales de 2001, les présidentielles et législatives de 2002 et les cantonales et régionales de 2004 ont marqué la disparition brutale des femmes en politique. Le mouvement amorcé dans les années 1990, après avoir connu son apogée en 2001, s'est essoufflé dès l'année suivante. Les auteur-e-s expliquent ce phénomène par les propriétés différentielles des compétitions. En 2001, les candidat-e-s briguaient le mandat le plus bas dans la hiérarchie politique, l'échelon municipal a la réputation de privilégier la proximité entre élus et électeurs. Le registre « profemme » était donc particulièrement bien ajusté à cette compétition. En 2002 les élections nationales, fortement concurrentielles, engagaient des élus placés au sommet de la hiérarchie politique, le capital symbolique mobilisés par les femmes dans d'autre contexte n'était dès lors plus mobilisable. Les femmes ne peuvent instrumentaliser leur genre en politique qu'à certaines conditions ; plus la situation est construite comme politique, plus ce qui a trait au genre féminin est affecté de valeur négative.

6La troisième partie (Le pouvoir et la règle dans les assemblées paritaires), présente une analyse des pratiques des élues. On y découvre que les femmes ayant obtenu des mandats adoptent ensuite des comportements conformistes en laissant de côté les conduites profanes. Mais c'est bien souvent contre leur gré qu'elles se replient sur des domaines ou des pratiques réputées féminines. En effet, l'une des surprises de l'enquête a été de constater la rapidité avec laquelle les hommes ont réussi à s'adapter à la parité et à se replier sur les lieux les plus stratégiques du pouvoir, preuve de leur sens pratique acquis par leur longue fréquentation du champ politique. Les femmes, elles, ne peuvent pas dénoncer cette discrimination car les dispositifs qui permettent aux hommes de conserver la mainmise sur ce champs n'ont pas été orienté à cette fin : il s'agit de règles qui n'entretienne qu'incidemment la domination masculine. La reproduction d'une division sexuelle du travail est, le plus souvent, invisible : d'une part les places respectives sont le fruit de positions acquises depuis longtemps, d'autre part les responsabilités confiées aux femmes ne leur ont souvent pas été imposées. Les élues affirment avoir demandé leur place parce qu'elles s'y sentaient plus aptes à y faire leur preuves. Ces choix viennent prolonger la division sexuelle du travail et s'inscrivent dans la continuité des fonctions domestiques que les femmes occupent. Les fonctions stratégiques, elles, restent masculines. Quoiqu'il en soit, le fonctionnement des assemblées ne favorise pas le maintien en politique des nouvelles élues. Le rôle d'élues est étroitement défini, qu'il s'agisse de spécialisation, de ressources disponibles, de projection dans la carrière ou de prise de parole dans l'hémicycle, les nouvelles entrantes sont prises dans des cercles vicieux. Les pratiques des hommes et des femmes renforcent le capital symbolique des premiers et freinent la progression des secondes.

7Dans une dernière partie (Chapitre 4 : Beaucoup de bruit pour rien) les auteur-e-s tentent de déterminer si la réforme paritaire a contribué à la rénovation des règles du jeu politique. Le bilan qui y est dressé est plus celui d'une inertie des comportements et des règles de fonctionnement du champ politique que celui d'une capacité des femmes à renouveler la vie politique.

8Certes, le personnel politique est plus hétérogène mais les positions de pouvoir n'ont jamais été aussi clivées sexuellement. Tout au plus la domination masculine est plus déniée qu'auparavant. Les ressources politiques, elles, sont restées les mêmes et si la disponibilité est devenue le capital féminin, ce sont toujours d'autres ressources qui demeurent dominantes pour faire de la politique.

9Au final, le fonctionnement de la sphère politique reste très ordinaire. Certes les effets de la féminisation des assemblées ne se réduisent pas à une consolidation de l'existant, mais les changements observés, loin de subvertir le modèle patriarcal, contribuent à le réactualiser. La loi sur la parité, loin d'avoir permis une avancée de l'égalité entre les sexes, aurait été à l'origine d'une révolution conservatrice par le rappel à l'ordre genré auquel son application à donné lieu.

10Les auteur-e-s souhaitent pourtant nuancer les conclusions décevantes qu'ils-elles ont tiré de leur travail. En effet, la règle paritaire a conféré au groupe social femme une plus grande visibilité dans les champs politiques et médiatiques. Les lacunes de la première loi ont d'ailleurs conduit le Conseil des ministres à déposer un projet de loi en novembre 2006. Celui-ci s'attaque à deux failles de la loi : les assemblées élues au scrutin uninominales et la composition des exécutifs. Il prévoit d'étendre la parité aux exécutifs municipaux et régionaux, institue des suppléants pour les conseillers régionaux et l'obligation que les tickets soient mixtes. La loi sur la parité a, en outre, aidé à se poser des questions qui, jusqu'alors ne pouvaient que difficilement l'être, notamment en ce qui concerne la représentation des minorités ethniques. Elle a permis que la question de la parité soit posée dans d'autres univers comme les directions de grandes entreprises.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Nolwenn Neveu, « Catherine Achin, Lucie Bargel, Delphine Dulong, Eric Fassin, Sexes, genre et politique », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 19 mai 2008, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/592 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.592

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