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Fabrice Raffin, Friches industrielles. Un monde culturel européen en mutation

Frédérique Giraud
Friches industrielles
Fabrice Raffin, Friches industrielles. Un monde culturel européen en mutation, L'Harmattan, coll. « Logiques sociales », 2007, 306 p., EAN : 9782296034242.
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Texte intégral

1Qu'y a-t-il de commun entre Generik Vapeur installé à Marseille dans les abattoirs municipaux, le Tacheles et la Ufa-Fabirk à Berlin, l'Usine à Genève et le Confort Moderne à Poitiers ? En ces lieux prennent place des « initiatives culturelles » marquées par la recherche de certaines formes musicales. Ce sont des activités artistiques, chacune prenant sens par rapport à son contexte d'émergence, urbain, local mais s'inscrivant également dans un réseau signifiant et unifiant ces pratiques. Ce réseau s'appelle le Trans Europe Halles (TEH), il regroupe des initiatives similaires dans des contextes nationaux et urbains différents.

2L'ambition de Friches industrielles, à partir de trois terrains - Poitiers, Berlin et Genève -, est de saisir dans trois expériences à la fois similaires et différentes le sens de ces collectifs. Les initiatives appréhendées dans cet ouvrage sont nées sur une période allant du milieu 70 à la fin des années 80. Il s'agit d'une activité de diffusion et de production artistique urbaine, prenant place dans des espaces à l'abandon, des friches industrielles ou marchandes, anciens entrepôts de stockage, ancien site de production cinématographique...La spatialisation de ces activités est importante pour leur compréhension. Elle confère une valeur particulière à ces mobilisations et aux registres d'actions. La question de l'inscription urbaine de ces initiatives, second axe du travail de Fabrice Raffin, permet d'étudier la relation des acteurs à la ville. Il s'agit de saisir les effets territoriaux du développement d'activités artistiques, les mobilités et les échanges qu'elles induisent dans l'espace urbain.

3A la base de ces mouvements, réside l'incapacité des acteurs à s'inscrire dans le réseau d'équipement culturel proposé par les villes. L'Oreille est Hardie (OH) à Poitiers, le Post Ténébras Rock à Genève, la Ufa-Fabrik à Berlin témoignent d'un manque d'un lieu permanent où se réunir. Echec du dialogue avec les institutions, caractère politique des revendications (Ufa-Fabrik)... poussent à l'occupation illégale de locaux, signe tant de la volonté d'autogestion que de la volonté d'indépendance financière et administrative. Elle rejoint également le souci d'une inscription urbaine. Au-delà du contexte culturel, se lit aussi dans ces mouvements des motivations plus profondes : critique sociale, diatribes contre l'Etat qui constituent la raison de s'engager dans ces collectifs. La culture et l'art sont recherchés comme outils de questionnement sur soi et sur le monde, des modalités d'un apprentissage personnel. Les protagonistes se rencontrent, se regroupent puis s'installent. La fête est un moment catalyseur, permettant à la fois la rencontre, la contestation et la pratique artistique en décalage par rapport à l'offre culturelle de la ville. Ces trois collectifs, certes festifs, véhiculent des motivations politiques : à travers leurs pratiques culturelles, il s'agit de prendre place dans la ville et de participer à son devenir. Il faut voir dans ces pratiques artistiques la revendication d'une participation aux affaires de la cité.

  • 1 Hughes Everet, Le regard sociologique. Essais choisis, 1996
  • 2 Arendt, H, La condition de l'homme moderne, 1983

4Le deuxième mouvement sera plus profondément artistique : les collectifs recentrent leur action sur le motif culturel, submergé au moment de leur naissance par l'action politique, la dimension citoyenne qui reléguaient au second rang l'initiative culturelle. Ce deuxième moment est celui de l'ancrage urbain : l'investissement et le marquage du lieu, l'attachement qui sont autant de signes de la construction d'une territorialité. A partir de l'installation, l'intérêt artistique peut s'exprimer. Comment s'effectue ce passage d'un vague intérêt pour la musique, qui constituait plus un prétexte à l'action au départ, à son développement au centre des collectifs ? Quel est le rôle, aux niveaux individuels des situations de précarité que connaissent les membres des collectifs ? Il s'agit ici pour Fabrice Raffin de décrire l'engagement d'une carrière artistique, au sens que Hughes1 donne à ce mot. Les lieux fonctionnent comme espaces de rencontres et de cristallisation des pratiques. L'engagement dans le monde culturel peut être lu comme une issue, possibilité d'expression et de reconnaissance, possibilité d'un mode de vie. Quel sens revêt pour les acteurs l'engagement dans ces collectifs ? Est-ce seulement un travail ? L'auteur invite à voir dans les logiques d'engagement des acteurs plus qu'un travail. Le discours des acteurs mobilise le registre du développement de soi, de la plénitude. Raffin invite à y voir à la lumière des analyses de Arendt2 la notion d'oeuvre, il s'agit d'être le « maître d'oeuvre de sa vie » ou de « faire oeuvre d'art » par exemple. Le troisième moment de l'analyse, troisième temps de l'évolution des collectifs les voit à partir de l'organisation constituée, de la territorialité investie s'ouvrir à l'extérieur. Les collectifs se rapprochent des municipalités, se voient reconnaître par les institutions...

5Ouvrage dense, à la confluence de la sociologie de la culture et de la sociologie de la ville, Friches industrielles permet une approche nouvelle des pratiques artistiques, attentive à son contexte local d'émergence, aux espaces de rencontres et de mobilisation. Très cohérent sans son évolution, l'ouvrage donne sens à des initiatives culturelles privées en restituant leurs contenus, les valeurs qui animent leurs représentants, leurs modes d'organisation.

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Notes

1 Hughes Everet, Le regard sociologique. Essais choisis, 1996

2 Arendt, H, La condition de l'homme moderne, 1983

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Pour citer cet article

Référence électronique

Frédérique Giraud, « Fabrice Raffin, Friches industrielles. Un monde culturel européen en mutation », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 18 janvier 2008, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/516 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.516

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Rédacteur

Frédérique Giraud

Allocataire-monitrice à l’ENS de Lyon, doctorante au Centre Max Weber, équipe DPCS (Dispositions, Pouvoirs, Cultures, Socialisations). Frédérique Giraud est rédactrice en chef de Lectures.

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