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Marie Cartier, Isabelle Coutant, Olivier Masclet, Yasmine Siblot, La France des "petits-moyens". Enquêtes sur la banlieue pavillonnaire

Sylvia Faure
La France des "petits-moyens"
Marie Cartier, Isabelle Coutant, Olivier Masclet, Yasmine Siblot, La France des "petits-moyens" Enquêtes sur la banlieue pavillonnaire, La Découverte, coll. « textes à l'appui », 2008, 319 p., EAN : 9782707153616.
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Texte intégral

1L'enquête sur les pavillonnaires de la banlieue parisienne s'inscrit dans le renouveau de la sociologie de la stratification sociale qui rappelle que les inégalités de revenus, de patrimoines, de capitaux culturels sont importantes et tendent même à s'accentuer entre classes sociales. Les auteurs rendent ainsi compte des nombreux malentendus qui s'opèrent à propos des strates « moyennes » plus marquées par leurs divisions internes, sociales, générationnelles, salariales, culturelles, spatiales, que par ce qui les lierait. Le livre prend donc le partie d'analyser une strate spécifique, celle des habitants des pavillons situés à la frontière entre les classes populaires les plus favorisées et le bas des classes moyennes. Elles se caractérisent par l'occupation de positions professionnelles subordonnées : des employés et des techniciens ainsi que des cadres moyens. Cependant, les orientations de leur parcours social et professionnel ne correspondent pas à une ascension sociale mais comportent de nombreux accidents et revirements, des mobilités de faible ampleur.

2Sans ignorer les différences entre classes sociales que font apparaître les statistiques dans les enquêtes sur les CSP, l'enjeu de l'enquête est de mettre à jour les différences « internes » (en fonction du diplôme, du quartier résidentiel...) grâce à l'enquête ethnographique. Citons les auteurs : « mais en se plaçant sur une durée un peu longue, en remontant aux années 1960 et 1970 qui ont vu se “ détendre ” les mécanismes de la reproduction, il s'agit justement d'analyser les conditions de possibilité et les effets variés des “ petits déplacements sociaux ”, des ascensions sociales modestes, et leur évolution au fil de générations qui occupent successivement ces positions de “ petits moyens ” » (pp. 14-15).

3Les « petits-moyens » de l'enquête appartiennent à trois cohortes nées pour la première dans les années 1940 connaissant une mobilité sociale, la seconde dans les années 1960-1970 vivant une relative progression professionnelle et résidentielle quand l'époque est aux possibilités d'ascension des plus réduites, et la troisième née dans les années 1980 qui concerne donc les jeunes des pavillons.

4L'enquête de terrain est conduite à Gonesse, dans la région parisienne, se trouvant en marge des secteurs pauvres du nord-est de l'Île-de-France. Le quartier étudié se caractérise par l'hétérogénéité des habitants en raison des périodes d'arrivée dans les pavillons. Elle a été réalisée en deux temps, d'abord en 2003-2004 puis 2006-2007.

5Le livre s'organise en cinq chapitres (plus l'introduction et la conclusion). Après le chapitre sur les caractéristiques socio-démographiques et spatiales du quartier, les chapitres présentent les cohortes d'habitants selon leur ordre d'arrivée dans le quartier. Le texte s'appuie enfin sur la présentation de trajectoire sociale d'habitants.

6Pour les « pionniers », la vision du quartier d'arrivée dans les années 1960-1970 est celui de l'égalité et de partage de services entre voisins malgré les différences de statut professionnel et les inégalités objectives d'accès à leur propriété. Ils ont cependant des caractéristiques communes : statut de jeunes parents, expérience de l'endettement bancaire. Il s'agit pour tous de faire preuve de mesure dans les dépenses. La volonté commune est de faire mieux que leurs parents mais aussi de « vivre avec ce que l'on a ». Ces dispositions s'expliquent par l'origine sociale ouvrière ou agricole qui fait apprendre à compter, à préférer l'essentiel au superflu, une majorité a aussi connu une socialisation catholique favorisant un rapport à l'argent « réaliste » qui limite aussi les ambitions sociales. Les récits de ces pionniers insistent aussi sur les sociabilités dans le quartier dans les années 1960 et 1970 qui ont pour support les enfants, l'éducation avec des normes partagées entre familles : le quartier « est un petit village », valorisant ainsi l'inter connaissance locale, dense et protectrice où s'invente un style de vie différent de celui qu'ont connu ces hommes et femmes dans leur enfance. Les activités des adultes sont très sexuées, mais l'activité associative tient une place centrale : associations sportives pour les hommes, en particulier ; associations relatives au catéchisme, mais aussi le bénévolat (tenue de la bibliothèque par exemple) pour les femmes. Ils soulignent un changement majeur à la fin des années 1970 avec l'arrivée de familles d'origines étrangères. Cette venue s'inscrit dans un contexte de dégradation des conditions de résidence : forte densité urbaine qui occupe les terrains laissés en fiches jusqu'alors, augmentation de l'activité de l'aéroport qui accroît les nuisances sonores. En écho à ces dégradations, plusieurs familles accèdent à des maisons individuelles plus grandes et partent du quartier. Ces départs contribuent à modifier les perceptions du quartier et de ses sociabilités, qui finit par diminué l'estime de soi, ce soi associé au prestige du lieu résidentiel.

7Ces nouveaux habitants arrivant à la fin des années 1970 sont souvent d'anciens habitants des grands ensembles de la région parisienne ; pour une partie de ces familles il s'agit d'une mobilité « horizontale » qui ne s'accompagne pas d'une mobilité professionnelle mais accèdent à des logements délaissés, déclassés, ce sont souvent des familles immigrées ; Pour d'autres qui arrivent dans des lotissements il y a au contraire changement du statut professionnel, souvent des enfants d'immigrés mais qui ne sont pas eux-mêmes en migration, mais ces jeunes ne sont pas non plus les transfuges de classe, bien plutôt des personnes connaissant une modeste traversée de l'espace social : employés administratifs, chauffeurs de bus, comptables...

8Plus récemment encore, l'arrivée de familles étrangères et surtout turques constitue une troisième étape de transformation des rapports résidentiels. La cohabitation devient difficile. Les différences sociales et culturelles ne favorisent pas des relations égalitaires. Ces difficultés sont à comprendre en lien avec la hantise de la chute sociale dont un indice possible est l'accès des pavillons à ces familles. Inquiétude et aspirations contrariées qui expliquent aussi une orientation à droite de ces habitants « petits-moyens ».

9Au final, ce livre restitue un travail d'enquête monographique sur un quartier pavillonnaire qui est marqué par la diversité relative des profils sociaux des habitants. En ce sens, les rapports résidentiels ambivalents qui y sont analysés mériteraient d'être connus des opérateurs de la diversité et mixité sociale dans les grands ensembles HLM (loi de rénovation urbaine). Par ailleurs, dans le champ de la sociologie urbaine, ce travail mériterait d'être mis en perspective avec les travaux monographiques portant sur différents quartiers résidentiels. En ce qui concerne plus spécifiquement les monographies des grands ensembles HLM où vivent des familles populaires proches socialement de ceux de ces pavillons (par leurs positions sociales et professionnelles et les parcours migratoires) il est probable que l'explication des rapports résidentiels par l'organisation urbaine en serait là encore affaiblie. Effectivement, les descriptions des manières de voisiner, de concevoir le quartier d'arrivée par les pionniers, sont extrêmement semblables aux descriptions faites par les habitants des grands ensembles HLM de différentes générations. Autrement dit, les manières de cohabiter et de faire du quartier un espace d'identification, ainsi qu'un espace de socialisation « d'entre soi » pour les jeunes, s'expliquent davantage par les propriétés sociales, par les ressources économiques et l'ancrage générationnel des habitants (et donc par le contexte socio-démographique et les structures du marché du travail) que par l'organisation de l'habitat. Il serait en revanche plus original de poursuivre les observations ethnographiques et les comparaisons monographiques sur les manières d'user des lieux, de pratiquer telle ou telle activité de loisir, sur les rapports sociaux de sexe, les manières d'habiter, afin de mieux rendre compte des modalités de la socialisation spatiale. Un travail donc qui ouvre sur de nombreuses perspectives de recherche.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Sylvia Faure, « Marie Cartier, Isabelle Coutant, Olivier Masclet, Yasmine Siblot, La France des "petits-moyens". Enquêtes sur la banlieue pavillonnaire », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 29 avril 2008, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/585 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.585

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