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Olivier Bobineau, Sébastien Tank-Storper, Sociologie des religions

Evan Mirzayantz
Sociologie des religions
Olivier Bobineau, Sébastien Tank-Storper, Sociologie des religions, Armand Colin, coll. « 128 », 2007, 128 p., EAN : 9782200346003.
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Texte intégral

1Les actualisations spécifiquement modernes des phénomènes religieux se sont révélées progressivement au regard des chercheurs, jusqu'à apparaître sous la forme de systèmes de croyances et de pratiques éclatés, décomposés, individualisés, soumis à de brutales refontes pour les adapter à un « marché religieux » où chacun tend à choisir et interpréter librement l'une ou l'autre des nouvelles idées ou tendances religieuses disponibles. Avec pour ambition première « d'explorer le devenir de [la] question (...) des liens entre le religieux et la modernité » (p. 6.), depuis les premières thèses jusqu'à la formation de ce dernier paradigme, Olivier Bobineau et Sébastien Tank-Storper concentrent leur exposé de ce champ d'études sociologiques sur trois phases de son histoire. Une première partie, certainement dédiée aux apprentis sociologues, est consacrée à la lecture des classiques, Emile Durkheim (chapitre 1) et Max Weber (chapitre 2). Une seconde présente les théories proposées entre 1960 et 1980 sur les thèmes de la sécularisation et de la laïcisation (chapitre 3), puis sur les remises en causes de ces modèles par les paradigmes de la « décomposition-recomposition des croyances religieuses » (chapitre 4). Enfin, la dernière partie de l'ouvrage est consacrée à l'examen de certaines caractéristiques du croire actuel, ses aspects individués, mondanisés (chapitre 5), qui orientent la réflexion sociologique vers l'étude de la « mobilité religieuse individuelle » (chapitre 6).

  • 1 Max Weber, Le Savant et le Politique, Christian Bourgois, Paris, 1990, p. 184.

2Olivier Bobineau et Sébastien Tank-Storper reconnaissent en Emile Durkheim et Max Weber « les auteurs les plus marquants, ceux dont l'œuvre continue d'irriguer les productions les plus actuelles » (p. 6). Les deux premiers chapitres reviennent sur la façon dont ces deux auteurs développèrent leur vision des phénomènes religieux, en cherchant à conforter et approfondir leurs visions respectives de la nature du social. Pour Emile Durkheim, les phénomènes sociaux émanent des multiples interactions individuelles jusqu'à leur échapper, s'instituer, les dépasser et imposer aux hommes une contrainte supérieure en de nombreux aspects. Non seulement la société demeure, tandis que les hommes passent, vivent et meurent en elle, mais les phénomènes sociaux sont les agrégats et cristallisations de tant de rapports que les individus semblent devoir nécessairement subir leur influence, et s'y soumettre. Reconnaissant les religions comme « le plus primitif de tous les phénomènes sociaux » (Durkheim, cité par les auteurs, p. 11), Durkheim les perçoit comme le cadre même où sont « sorties, par transformations successives, toutes les autres manifestations de l'activité collective, droit, morale, art, science, formes politiques, etc. » (cité par les auteurs, p. 11). Pour ces différentes raisons, Emile Durkheim consacra plus d'une décennie à l'étude du fait religieux, jusqu'à publier, en 1912, Les formes élémentaires de la vie religieuse, dont S. Tank-Storper et O. Bobineau reprennent et synthétisent les principales thématiques : la distinction fondamentale du sacré et du profane, la réduction durkheimienne de l'absolu religieux et de la transcendance à la société elle-même, la notion d'« effervescence » (p. 17), la lecture fonctionnaliste et constructiviste des cultes et rites, la nature religieuse de l'activité politique. De son côté, Max Weber s'intéressa à l'ensemble des religions universelles pour achever deux investigations. Dans le cadre de sa sociologie politique, Weber chercha à définir les différents types de domination religieuse, élargissant pour cela sa notion de « charisme » jusqu'à admettre l'existence de personnes « doué[es] de forces ou caractères surnaturels ou surhumains » (Weber cité par les auteurs, p. 28). Ses études sur la morphologie des groupes religieux, présentées dans le premier volume d'Economie et Société, distinguent deux types de communalisation, que les auteurs décrivent brièvement, la secte et l'Eglise. Par ailleurs, Max Weber, qui expliquait l'avènement de la modernité par le déploiement de la rationalité instrumentale dans les différentes sphères de la vie sociale, rechercha l'origine de ce processus de rationalisation dans les traditions juives, puis chrétiennes. L'Ethique Protestante et l'esprit du capitalisme présente nombre des développements de cette seconde série d'enquêtes sur le fait religieux, que les auteurs présentent en quelques points, la notion de profession-vocation (Beruf), l'origine éthique de l'ascèse intramondaine du calviniste, et surtout l' « Entzauberung der Welt », que les auteurs préfèrent traduire par « démagification du monde » (p. 37) pour ne pas donner à ce mouvement les connotations péjoratives que donne le traditionnel recourt à l'expression de « désenchantement du monde ». Remarquons qu'il est possible d'avoir quelques réserves vis à vis de cette dernière précaution, si l'on se souvient que Max Weber nourrissait pour la bureaucratisation croissante des affaires humaines - l'une des conséquences les plus directes de ces deux dimensions de la rationalisation du monde - les plus grandes inquiétudes, qu'il annonçait à ce propos, dans Le Savant et le Politique, non pas « la fleuraison de l'été » mais l'avènement d'« une nuit polaire, glaciale, sombre et rude »1.

3Le troisième chapitre apporte de précieux éclairages sur les notions de laïcisation et de sécularisation. Les auteurs rappellent que le terme de laïcité, dont l'usage prévaut en France, désigne un concept politique - la garantie, qu'assure l'Etat à ses citoyens, de maintenir la liberté de croyance et la neutralité des organisations étatiques vis à vis des différentes traditions religieuses. La notion de sécularistion, qui s'est davantage imposée dans le monde anglo-saxon, tend à exprimer un processus socio-historique, la « progressive et relative perte de pertinence du religieux » (p. 42). Pour expliciter la nature de la laïcité en lui restituant toute sa complexité, Olivier Bobineau et Sébastien Tank-Storper se sont livrés à un travail attentif de comparaison et de synthèse de différentes actualisations politiques de la laïcité, présentant le modèle français qualifié d' « idéologique », la « laïcité étatique » et la notion de Civil Religion qui rendent compte de la variabilité des relations entre politique et religion aux Etats-Unis, la « laïcité partenariale » allemande, et le cas de la démocratie israélienne, où se conjuguent le respect public de la pluralité religieuse et l'incarnation, par le rabbinat central, d'un puissant magistère moral et juridique. Aussi, les auteurs préfèrent décrire cette multiplicité par l'expression de « palette de laïcités » (p. 58), afin qu'il soit plus explicite que « plusieurs modèles dessinent des trajectoires politiques et religieuses différenciées, chacune ayant sa singularité sociohistorique » (p. 58). L'exposition des différents « paradigmes » de la sécularisation - définie comme « processus d'autonomisation et de spécialisation des différentes institutions sociales [concernant] autant les institutions profanes que les institutions religieuses » (p. 61) - clôt le chapitre en déclinant ses principales dimensions et caractéristiques (pluralisation, privatisation, individualisation, rationalisation, mondanisation).

4Le chapitre suivant présente certaines investigations sur l'accentuation du processus de sécularisation, évoquant nombre d'études sur le déclin de la pratique dans les religions historiques, et la progressive disparition de la figure classique du « pratiquant ». Ces faits récents exercent une contrainte considérable sur les institutions religieuses, conduites parfois à organiser un processus de « sécularisation interne » (p. 73), réformant leurs propres fonctionnements, rites et organisations. Les auteurs illustrent de tels évènements par une analyse du Concile Vatican II et la description de mouvements de modernisations du judaïsme - le judaïsme libéral ou réformé - et de l'islam. L'ensemble de ces figures entraîna une lecture radicale de la part de nombre de chercheurs, qui y perçurent les signes annonciateurs de la « fin du religieux ». Les auteurs montrent que ces dernières thèses furent contredites par la multiplication des radicalismes et des Nouveaux Mouvements Religieux, et qu'il se posa plutôt la question de la modélisation des « recompositions » du religieux.

5La dernière partie de l'ouvrage reprend en deux chapitres les principales publications des quinze dernières années, pour décrire trois grandes tendances de la religiosité contemporaine : l'individualisation et la subjectivisation du croire ; « l'émotionnalisation du religieux » (p. 93) ; l'orientation progressive des attentes religieuses vers l'actualisation d'un bien-être à réaliser en ce monde-ci - phénomène que les auteurs qualifient de « mondanisation des croyances et valeurs » (p. 97). Olivier Bobineau et Sébastien Tank-Storper retranscrivent à partir de nombreuses sources ce mouvement général de rationalisation, d'émotionnalisation et d'individualisation des croyances, pratiques et préoccupations religieuses, qu'ils exemplifient par le cas de l'Eglise Universelle du Royaume de Dieu - un courant pentecôtiste brésilien qui propose un salut séculier tout en recourrant à de nombreux rituels de guérisons et d'exorcismes à « forte charge émotionnelle » (p. 104).

6Aussi, à travers la présentation d'une série de thèses et champs d'interrogations sur la nature du religieux en modernité, étendue depuis les vues d'Emile Durkheim et de Max Weber jusqu'aux théories actuelles du « marché religieux », les auteurs nous renseignent tant sur les métamorphoses des institutions et modalités du croire, que sur l'évolution des paradigmes en sociologie des religions. Les limites de certains paradigmes montrent qu'il est fort possible que ce qui nous apparaît aujourd'hui sous la forme d'une nébuleuse de pratiques et comportements rationnels et individualisés, ne soit qu'un moment de l'implosion moderne des formes religieuses, qui précédera sans doute une réorganisation du religieux sous une forme déterminée et stable, dès lors qu'il aura achevé de s'adapter à l'émergence brutale de la modernité.

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Notes

1 Max Weber, Le Savant et le Politique, Christian Bourgois, Paris, 1990, p. 184.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Evan Mirzayantz, « Olivier Bobineau, Sébastien Tank-Storper, Sociologie des religions », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 24 juin 2008, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/625 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.625

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Rédacteur

Evan Mirzayantz

Doctorant à l'Université Paris-Sorbonne.

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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