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Virginie Anquetin, Audrey Freyermuth, La figure de l'habitant. Sociologie politique de la "demande sociale"

Benoît Ladouceur
La figure de l'habitant
Virginie Anquetin, Audrey Freyermuth (dir.), La figure de l'habitant. Sociologie politique de la "demande sociale", Presses universitaires de Rennes, coll. « Res Publica », 2009, 184 p., EAN : 9782753507401.
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Texte intégral

1Comment agissent les hommes politiques pour être élus ? Le fonctionnement du champ politique peut être appréhendé de façon interactionniste dans le sens où les électeurs et leurs représentants politiques agissent les uns sur les autres, modifiant leurs discours et leurs actions en fonction de la perception qu'ils se font des attentes et des réactions des uns et des autres. C'est notamment le développement de la démocratie « participative » ou de « proximité » qui contraint les hommes politiques à être davantage sensibles aux « attentes » des citoyens. La construction des discours, des programmes politiques, des projets, des politiques publiques est perçue comme étant le fruit de la révélation des « attentes » des habitants. L'hypothèse centrale de l'ouvrage est que la demande électorale procède toujours d'un travail politique de mobilisation électorale. Les politiques publiques sont le produit de l'action d'acteurs différenciés, postulants politiques, leurs auxiliaires, les journalistes, les experts présents auprès des citoyens, les entrepreneurs de cause, qui tous interviennent dans le champ politique. Des rapports de force structurent les pratiques et les discours des acteurs du champ, conduisant à promouvoir ou euphémiser des thématiques, des enjeux conçus comme pouvant leur permettre de conquérir des électeurs, d'entretenir leur marque partisane. Le présent ouvrage travaille à mettre en lumière le travail de sélection et de mise en forme de ces demandes par l'ensemble des acteurs.

2Les contributions rassemblées dans La figure de l'« habitant ». Sociologie politique de la « demande sociale » constituent une série d'explorations des principes qui structurent le cadre électoral dans lequel prennent forme les discours, les dispositifs administratifs ou médiatiques et leur étiquetage, présentés comme étant l'action publique. L'ouvrage se propose d'analyser la production de ces discours, selon trois angles complémentaires, qui constituent aussi les trois parties qui structurent l'ouvrage. Tout d'abord en montrant en quoi la production d'une « figure de l'habitant » par les hommes politiques est un comportement payant en situation de concurrence politique. Ensuite logiquement pourrait-on dire, vient le travail de mise en forme et d'entretien d'une marque politique, on peut penser que dans un paysage diversifié, il faut que l'homme politique soit en mesure de distinguer et de se présenter comme proche de tel ou tel bord, ne serait-ce que pour être clairement perçu par les électeurs. Enfin, le travail politique consiste, une fois l'action menée, à montrer en quoi celle-ci remplit ses objectifs afin de fidéliser les électeurs. Afin d'illustrer chacune des parties de l'ouvrage, nous avons pris le parti de présenter en détail l'article qui nous paraissait le plus à même de représenter celui-ci.

3L'article de Nicolas Bué et de Jérémie Nollet « Gouverner au nom des habitants. Métier d'élu, action publique et médias locaux » est particulièrement représentatif des perspectives développées en première partie de cet ouvrage collectif. Alors que l'on aurait pu penser a priori que l'action des médias sur le champ politique se situait avant tout au seul niveau national, les auteurs de cet article montre que les médias locaux peuvent intervenir en traitant tel ou tel sujet contribuant ainsi à mettre en forme le débat et les demandes présumées des habitants. Les médias donnent aux hommes politiques à identifier, non pas de façon objective la « demande » telle qu'elle est appréhendée par les acteurs du champ politique et par d'autres acteurs périphériques. Les auteurs proposent une analyse d'un cas de réaménagement du centre-ville de Calais, ville de 75000 habitants, et particulièrement du débat autour de l'extension du stationnement payant. La médiatisation de cette question a déstabilisé l'action de la municipalité, modifiant l'action du maire communiste. Le réaménagement du centre-ville est un thème de campagne ancien et le maire élu en 2000, Jacky Hénin, s'en est emparé, ce projet étant largement couvert par les médias et faisant à l'époque l'unanimité. L'extension de la zone de stationnement et la volonté du maire de mener une politique de verbalisation plus rigoureuse fait naître une protestation chez des riverains. Ils se constituent en association dans le but d'interpeller les journalistes locaux. Sa visibilité médiatique leur permet de s'imposer comme un acteur majeur du dossier malgré la faiblesse de ses ressources politique. L'opposition municipale de droite profite de cette « aubaine » pour déstabiliser l'hégémonie du maire, dont le projet est soutenu par la Chambre de Commerce et d'Industrie. Les acteurs politiques en investissant leur relais auprès des médias, leur confère une place centrale et structurante dans le débat. Or le traitement des médias locaux du projet de réaménagement se montre très consensuel sur l'ensemble du projet, et met en avant la question sur un problème secondaire : l'extension du stationnement payant. Ce « biais journalistique » tient au fonctionnement de ce champ. Le problème du stationnement est réputé intéresser les lecteurs et donc être vendeur. Le rédacteur en chef du Nord Littoral confie le suivi du dossier « centre-ville » au journaliste spécialiste des questions commerciales, celui-ci abordant le problème sous l'angle des commerçants et laisse de côté de côté les aspects plus politiques et idéologiques (place des voitures dans le centre-ville, financement de l'administration publique par les impôts ou le stationnement payant). Ce cadrage médiatique rentre donc en résonnance avec l'association des riverains et l'opposition partisane au maire. Parallèlement, la réponse de la municipalité fut de contrecarrer ces attaques en passant à la distribution hebdomadaire du bulletin municipal, accroissant la réactivité aux prises de position diffusées par la presse. L'équipe mayorale est en conflit avec le Nord littoral pour la reconnaissance du bulletin municipal Calais Réalité comme un journal professionnel et fiable. Cet exemple permet de prendre conscience qu'une action politique ne passe pas uniquement par des actions publiques, mais mobilise des « réponses » issues d'un répertoire d'actions symboliques. Le sondage constitue à ce titre, un outil d'action politique considéré comme éprouvé, parce que routinisé et ancré dans les croyances. Initié en 1987 à Calais, il a été mobilisé sur la question du stationnement payant. On regrette cependant dans l'article l'absence d'une présentation plus dé taillée dudit sondage et de ses résultats. Cet exemple illustre bien à quel point la représentation médiatique et la définition de la « demande » nécessite des réponses et des dispositifs concrets et symboliques adaptés.

  • 1 Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard, Fayard, 1999

4Nous illustrerons la seconde partie de l'ouvrage consacrée à la construction de la « demande » et à l'entretien de la marque partisane par l'article d'Eric Marlière intitulée « Des « ouvriers communistes » aux jeunes des cités : histoire croisée de la non-construction d'une demande sociale ». L'auteur s'interroge sur les raisons du déclin du PCF dans une banlieue « rouge » du nord-ouest parisien d'une part, et d'autre part sur le désintérêt des élus communistes pour des habitants qui votaient jusqu'à récemment PCF. Il rappelle l'arrivée des élus communistes dans les communes périphériques dans l'entre-deux guerres. Ces élus semblent proches de leurs électeurs, partageant le même destin et vont légitimer les « demandes » de la classe ouvrière. Les Trente Glorieuses et l'idéologie communiste concordent pour déboucher sur une vision prométhéenne de la condition ouvrière. Eric Marlière analyse finement l'impact de la dégradation du contexte économique qui touche en premier lieu les ouvriers, mais aussi les jeunes et les immigrés. A ce propos, il nous semble ici nécessaire de prendre en compte, plus que ne le fait l'auteur, le caractère « national » de la « classe ouvrière » liée au PCF. Gérard Noiriel montre particulièrement bien en quoi cette « classe ouvrière » exclue toute une partie des populations populaires, en particulier les immigrés. On peut alors faire le lien entre cette dégradation des conditions de l'emploi ouvrier, cette « déstabilisation des stables » dont parle Castel et le montée du rejet des immigrés. Parallèlement, la classe ouvrière perd sa capacité à reproduire ses structures symboliques et socialisatrices auprès des jeunes, comme le montrent Beaud et Pialoux dans Retour sur la condition ouvrière1, ce qui affecte directement sa mobilisation et sa visibilité politique. Les banlieues populaires perdent leur attrait symbolique aux yeux de leurs habitants et des représentants communistes et politiques en général. Les élus communistes sont également perçus comme fondamentalement hostiles à la religion, ce qui peut entre en conflit avec les pratiques communautaires religieuses, notamment chez les jeunes. La foi religieuse se substitue à l'investissement politique ouvrier. L'auteur évoque également la question du désintérêt des jeunes pour la politique. En effet, il note un discours systématisant la corruption des élus communistes, mais ces discours sont également perceptibles de manière identique dans les communes limitrophes dirigées par la droite.

5Dans la deuxième partie de son article, Eric Marlière mobilise la problématique de la construction d'une demande des jeunes pour expliquer la désaffection des élus communistes, pour les habitants des communes populaires. Ainsi, la perte rapide de légitimité des clivages de classes et des discours conflictualistes, parallèlement à la montée de la demande de « sécurité », ont contribué à stigmatiser davantage les jeunes des cités populaires. Il s'agit alors pour les élus de contenir cette jeunesse qu'on vient à qualifier de « délinquante » et surtout qui n'apparaît plus comme constituant un électorat fiable et fidélisé. Les élus municipaux sont souvent pris à partie par des habitants leur demandant de « régler le problème des jeunes » dans leur quartier. Des jeunes, qui bien souvent, n'ont comme seuls interlocuteurs les travailleurs sociaux et autres animateur associatifs, sont ainsi privé d'un accès aux responsables politiques. Cette réponse contribue à ne plus faire exister les revendications des jeunes comme une « demande » politique légitime.

6Cette contribution s'articule bien avec l'article d'Emilie Biland proposé en troisième partie de l'ouvrage. Prenant l'exemple de Gennevilliers, ville communiste depuis les années 1930, elle interroge le dispositifs de consultation de sa population mis en place en 2002. Elle montre ainsi que l'idée de démocratie participative peut être nuancée et comporte des limites certaines.

7Cet ouvrage propose des contributions de niveau de lecture variés, les articles plus académiques alternent avec les présentations d'enquêtes empiriques dont la lecture est plus accessible sans avoir un bagage théorique conséquent.

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Notes

1 Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard, Fayard, 1999

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Pour citer cet article

Référence électronique

Benoît Ladouceur, « Virginie Anquetin, Audrey Freyermuth, La figure de l'habitant. Sociologie politique de la "demande sociale" », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 24 février 2009, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/734 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.734

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