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Sylvette Denèfle, Utopies féministes et expérimentations urbaines

Frédérique Giraud
Utopies féministes et expérimentations urbaines
Sylvette Denèfle (dir.), Utopies féministes et expérimentations urbaines, Presses universitaires de Rennes, coll. « Géographie sociale », 2009, 213 p., EAN : 9782753507395.
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Texte intégral

1L'espace urbain est un espace sexué, où les différences sociales entre les sexes expriment toutes leurs dimensions: tel est le point nodal de cet ouvrage collectif Utopies féministes et expérimentations urbaine issu d'un colloque du même nom qui s'est tenu à Tours en 2006, dirigé par Sylvette Denèfle. Né de cette insatisfaction, cet ouvrage a vocation à approfondir la question de la place des femmes dans la ville, à démontrer la dimension genrée de la ville, qui ne saurait être occultée d'une appréhension des évolutions urbaines et sociales : la ville encourage-t-elle les « rêves égalitaires des féminismes » ou au contraire, manifeste-t-elle la immuabilité de la dimension sexuée ? Il s'agissait pour les auteurs ici réunir de questionner les expérimentations urbanistiques, les expériences éducatives qu'urbanistes et décideurs ont porté dans quelques grandes municipalités françaises. Utopies des temps lointains, utopies littéraires, rêves de femmes militantes en France et ailleurs en Europe, l'ouvrage Utopies féministes et expérimentations urbaine offre un parcours alliant recherche et connaissance académiques des idées anciennes et des expérimentations plus récentes.

2Prolongement des analyses sur les villes mythiques dédiées aux femmes, Nadia Redjel dans son article « L'affirmation de la différence à travers le cas du Boulevard Victor Hugo à Constantine, Algérie » (p 47-59) s'interroge, à partir d'une enquête qualitative, sur l'usage différencié des espaces de la ville entre hommes et femmes. L'exemple choisi est celui du boulevard Victor Hugo, qui se distingue des rues environnantes, par son maillage large, sa fonction circulatoire de transit, ses fonctions résidentielle et commerciale ; ce boulevard est donc fortement identifié dans la ville. S'appuyant sur une description précise des lieux constitutifs de cette rue, lieux masculins en ce qui concerne les deux cafés connus pour accueillir des supporters de football, lieu féminin pour le hammam. Si les usages masculins de la rue sont « créateurs d'une territorialité forte », ceux de la femme sont uniquement de transit : la prévalence masculine se bâtit dans la rue, faisant de la rue le territoire de sa sociabilité publique l'homme évince de fait la femme de l'espace. Interrogées sur cet espace, les femmes tentent de justifier leur présence dans la rue, « par cette attitude, c'est la discrimination sexuée qui est mise en avant » analyse Nadia Redjel.

3Katherine Roussos dans son article « Rêver, c'est construire : de l'utopie littéraire au militantisme féministe » (p 25-34) revient sur les utopies littéraires féministes : la littérature féministe utopique existe en France depuis le Moyen-Age. Christine de Pizan envisage alors en 1405 dans La Cité des Dames, une ville idyllique qui ne serait habitée que par des femmes. En 1915, Charlotte Perkins Gilman publie avec Herland un récit de voyage où un explorateur masculin découvre un pays uniquement habité de femmes, pays dont les mœurs étonnent avant que deux des explorateurs ne se convertissent. Liane Mozère (« Quelle actualité pour une utopie féministe ? », p 117-127) s'attache à comparer le roman Herland avec certains aspects de l'œuvre de Charles Fourier. Barnita Bagchi (« Education, women's narratives, and feminist civil society activism : Rokeya Sakhawat Hossain's feminist utopias », p 109-116) se concentre quant à elle sur deux utopies de Rokeya Sakhawat Hossain Sultana's Dream (1905) et Padmarag, or the Ruby (1924). Le point commun de tous ces mythes, les femmes réclament des espaces qui ne soient qu'ouverts aux femmes, il s'agit de compenser métaphoriquement la marginalisation fréquente dans les espaces « mixtes ». « Le féminisme cherche la réappropriation de l'espace public, afin que les femmes ne soient plus exposées aux insultes, aux harcèlements et violences de la part des hommes ». Yves Raibaud (« Masculinité et espaces publics : l'offensive des cultures urbaines » p 141-152) montre comment les garçons s'approprient les centres et écoles de musiques amplifiées et pointe ainsi les problèmes que pose la conception d'équipements publics utilisés en priorité par les garçons.

4Habiba Essahel s'interroge dans sa contribution « Sociabilités urbaines et actes au féminin dans les quartiers non réglementaires de la banlieue de Rabat » sur les conditions de vie des femmes dans les bidonvilles. Dans ces quartiers « irréguliers », les principaux services publics ne desservent pas ces quartiers, d'où la nécessité pour les habitants de se « débrouiller ». Ce sont les femmes qui arrivent tant bien que mal à s'organiser face au manque d'équipements urbains (mise en place de systèmes d'évacuation des eaux de pluie, bétonnage du sol, organisation de système de ramassage des ordures) : les femmes se substituent et pallient aux déficits de structures publiques.

5La plupart des contributions prennent pour objet des utopies littéraires, preuve s'il en est que les femmes ne sont pas dans l'espace public des « hommes comme les autres ». On regrettera de ce point de vue que la quatrième partie de l'ouvrage intitulée « Expérimentations urbaines » et qui est plus qu'annoncée dans le titre ne figure pas dans l'ouvrage. En effet, la surprise du lecteur est grande lorsqu'on le renvoie au site Crévilles.org pour y trouver quatre exemples d'expérimentation urbaine, qui sont quasiment impossibles à retrouver sur le site. Il aurait été pratique de créer sur ce site une page de référence de l'ouvrage, où le lecteur aurait pu retrouver les contributions désirées. De sorte que le lecteur reste sur sa faim : alléchés par les utopies littéraires, nous aurions aimé poursuivre notre lecture à la lumière des expérimentations urbaines. Cette note finale ternit la qualité générale d'un ouvrage bien construit et riche de perspectives.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Frédérique Giraud, « Sylvette Denèfle, Utopies féministes et expérimentations urbaines », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 14 décembre 2009, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/856 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.856

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Rédacteur

Frédérique Giraud

Allocataire-monitrice à l’ENS de Lyon, doctorante au Centre Max Weber, équipe DPCS (Dispositions, Pouvoirs, Cultures, Socialisations). Frédérique Giraud est rédactrice en chef de Lectures.

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