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Bertrand Geay, La protestation étudiante. Le mouvement du printemps 2006

Kévin Hédé
La protestation étudiante
Bertrand Geay (dir.), La protestation étudiante. Le mouvement du printemps 2006, Raisons d'agir, coll. « Cours et travaux », 2009, 247 p., EAN : 9782912107497.
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Texte intégral

1Dernier mouvement social de grande ampleur (les manifestations ayant réuni, au plus fort de la mobilisation, entre un et trois millions de personnes), la mobilisation contre le Contrat Première Embauche (CPE) a pour l'instant fait l'objet de peu de publications. Cet ouvrage, dirigé par Bertrand Geay, se propose de combler ce manque en tentant d'appréhender la « spécificité du mouvement de 2006 » (p. 12) à travers son analyse sociologique.

  • 1 Bertrand Geay note ainsi que « en traitant comme cas quasi expérimental cette mobilisation étudiant (...)

2Disons le d'emblée, l'ouvrage ne répond que partiellement à cet objectif et son titre est en partie trompeur. Loin de porter sur le mouvement étudiant contre le CPE du printemps 2006 dans son ensemble (à travers par exemple l'étude de la mobilisation dans des villes universitaires distinctes), l'ouvrage se focalise en réalité sur le cas poitevin. Cette focalisation, revendiquée et assumée 1, conduit à une succession de chapitres alternant analyses généralisables au mouvement étudiant dans son ensemble et analyses difficilement extrapolables en dehors de la mobilisation poitevine. Cet aspect restrictif pourrait constituer le point faible de l'ouvrage, mais elle en est, paradoxalement, son point fort. La méthodologie composite - entretiens, observations, questionnaires et analyse de la presse - et les données mobilisées pour étudier le cas Poitevin sont en effet extrêmement riches et permettent d'éclairer la structuration des mouvements étudiants, ainsi que les caractéristiques des individus qui y participent. Plus qu'une sociologie du mouvement étudiant contre le CPE, cet ouvrage doit donc d'abord se lire comme une décomposition précise et un examen méticuleux du processus de mobilisation poitevin.

3Le premier chapitre revient sur les conditions de la révolte en examinant le contexte socioéconomique général de la jeunesse dans lequel s'est inscrite la mobilisation nationale contre le CPE. Cette contribution, si elle n'apporte rien de particulièrement nouveau, synthétise les analyses développées ces dernières années autour du déclassement et de la dégradation de la situation des diplômés. Elle permet également de revenir sur le rapport à la politique des jeunes adultes et de nuancer leur manque supposé de politisation.

  • 2 Nous reprenons ici l'opposition établie par François de Singly et Claude Thélot dans Gens du privé, (...)

4C'est le second chapitre, et les données présentées en annexe l'accompagnant, qui constitue le point fort de l'ouvrage. En présentant une description précise de la temporalité de la mobilisation poitevine, et surtout, en apportant des informations importantes sur les propriétés sociales des acteurs de la mobilisation, les auteurs apportent une contribution éclairante aux processus de mobilisations étudiantes. Si les données présentées ne surprennent pas au regard des travaux classiques de sociologique politique sur la compétence et l'investissement politique, elles documentent une nouvelle dimension de ces inégalités de mobilisation politique. L'espace des positions des étudiants fait en effet apparaître une double opposition à l'intérieur du groupe étudiant. Opposition, d'abord, en fonction de l'origine sociale et de l'héritage culturel des étudiants, en terme d'engagement dans la mobilisation et de compétence politique quand à cette participation. Opposition, ensuite, entre « gens du privé » et « gens du public » 2quand à l'attitude à adopter face au blocage et à la réforme elle-même. Les étudiants ayant une origine familiale ou une situation future en lien avec la fonction publique se prononçant davantage contre le CPE et pour le blocus que les étudiants dont la trajectoire familiale et le projet futur sont en lien avec l'entreprise privée. Le rapport différent à l'engagement se retrouvant encore plus fortement dans la structure dirigeante du mouvement, la « coordination », dont les membres sont très majoritairement des enfants de classes supérieures et où est également marquée une sur-représentation masculine par rapport à la base étudiante soutenant le mouvement.

5Le troisième chapitre, bien qu'intéressant, est lui beaucoup moins généralisable, puisqu'il décrit plus précisément les spécificités de la mobilisation poitevine. Se trouve alors décrites et analysées les caractéristiques propres de cette mobilisation étudiante : revendication d'un mouvement apolitique ou tout au moins « sans étiquette partisane », importance accordée aux principes et pratiques démocratiques (vote à bulletin secret avec carte d'étudiant et respect de la parole en AG) et actions pacifiques et à caractère potache. Ces caractéristiques propres du mouvement poitevin sont analysées non plus à partir des propriétés sociales des agents, mais à partir de la constitution de l'espace local du conflit, notamment l'absence de tradition syndicale étudiante et l'importance de la mobilisation originelle des étudiants de STAPS sur la question des postes aux concours d'enseignement.

6Le quatrième chapitre s'intéresse à l'effet de la mobilisation sur les individus mobilisés mais également à la structuration du mouvement et à la construction de sa cohésion. Si l'instauration du blocus de l'université inaugure le début de ce processus, c'est dans la mise en place des commissions et de la « coordination » que se construit avant tout le groupe mobilisé. Les auteurs mettent bien en évidence que si le fonctionnement de ces groupes est basé sur le volontariat, il aboutit, de fait, à la constitution d'un « noyau dur » largement masculin, disposant d'un capital militant déjà constitué et largement issu d'un milieu de cadres et de professions intellectuelles supérieures. L'adoption d'un répertoire d'action innovant permet néanmoins de construire une solidarité plus large du groupe mobilisé qui, à travers les grands moments de mobilisations, acquiert et se met à partager des dispositions et des façons de penser.

7Le cinquième chapitre revient sur le traitement médiatique de la mobilisation et sur le rapport des étudiants poitevins aux médias. Au-delà de la description factuelle de l'évolution de l'intérêt médiatique pour le mouvement, la force du chapitre est de montrer comment les traits spécifiques de la mobilisation poitevine vont être utilisés pour produire un discours médiatique opposant deux jeunesses et deux formes d'engagement. Un engagement poitevin qui serait « authentique » et non « récupéré » et un engagement radical, politisé, dont l'occupation de la Sorbonne ou le blocus de la fac de Rennes 2 seraient l'illustration. Il permet ainsi d'illustrer comment les catégories de perception des journalistes influencent et informent les discours produits sur une mobilisation.

8Le dernier chapitre revient sur la fin du mouvement et sur les traces laissées par celui-ci. Cette « mémoire » du mouvement est analysée aussi bien à travers sa forme incorporée, c'est-à-dire les dispositions acquises par les individus dans la pratique de la lutte, qu'à travers ses formes objectivées (les traces matérielles laissées) et institutionnalisées (les structures crées ou régénérées par la mobilisation). On notera à ce sujet que le livre est fourni avec un exemple de cette mémoire, puisqu'il s'accompagne d'un DVD illustrant la mobilisation poitevine. Au final, on est donc face à un ouvrage intéressant, qui rentre avec précision dans la construction d'un mouvement social étudiant et vient donc compléter avec profit les nombreuses analyses empiriques développées par la sociologie des mouvements sociaux. On regrettera néanmoins que les analyses développées sur le cas poitevin n'aient pu être menées avec la même rigueur dans d'autres universités où la mobilisation à pris des formes différentes (comme l'université de Rennes 2 ou dans les facultés parisiennes par exemple). Cette perspective comparatiste aurait permis de distinguer plus clairement les spécificités du cas poitevin et certains invariants dans les processus de production d'une mobilisation étudiante.

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Notes

1 Bertrand Geay note ainsi que « en traitant comme cas quasi expérimental cette mobilisation étudiante très circonscrite, il ne s'agit ni de la traiter comme « représentative », ni d'en faire une sorte de témoignage de la globalité d'un mouvement à l'échelle locale. Il s'agit bien davantage de la traiter comme un analyseur des conditions dans lesquelles de larges fractions du groupe étudiant en viennent à protester contre les politiques qu'elles perçoivent comme leur étant hostiles. Il s'agit également d'y étudier un processus tout à fait exemplaire de production d'une mobilisation [...]. » (p. 18)

2 Nous reprenons ici l'opposition établie par François de Singly et Claude Thélot dans Gens du privé, gens du public : la grande différence, Paris, Dunod, 1988

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Pour citer cet article

Référence électronique

Kévin Hédé, « Bertrand Geay, La protestation étudiante. Le mouvement du printemps 2006 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 29 janvier 2010, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/922 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.922

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Rédacteur

Kévin Hédé

Professeur de sciences économiques et sociales au lycée Jean Renoir (Bondy)

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