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Genevieve Mottet, L'école et l'élève d'origine étrangère : genèse d'une catégorie d'action publique. Genèse d'une catégorie d'action publique

Benoît Ladouceur
L'école et l'élève d'origine étrangère : genèse d'une catégorie d'action publique
Genevieve Mottet, L'école et l'élève d'origine étrangère : genèse d'une catégorie d'action publique. Genèse d'une catégorie d'action publique, IES/HETS, coll. « du Centre de recherche sociale », 2009, EAN : 9782882240842.
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Texte intégral

  • 1 Lahire B. (1999). L'invention de « l'illettrisme ». Rhétorique publique, éthique et stigmates. Pari (...)

1Les discours sur l'école et « la crise » qu'elle traverserait sont nombreux, et pourtant ne parviennent pas à expliquer les problématiques de cette institution. Au contraire, ces discours semblent accentuer la confusion et la méconnaissance de l'école et de ses mécanismes sociaux, plutôt que de les rendre plus évidents et identifiables. Cela n'est cependant pas un constat isolé, les discours communs s'appuient et accentuent des facteurs qui seraient susceptibles de révéler par leur seule mobilisation les clés des problèmes sociaux. Ainsi, l'origine « ethnique » des élèves serait un élément central, voire unique, pour expliquer les inégalités des parcours scolaires. La prégnance de cette représentation culturaliste est manifeste, depuis les médias jusqu'aux enseignants, en passant par les représentants politiques. Il ne s'agit cependant pas pour les auteurs de cet ouvrage, de pointer le travail et l'action des acteurs du champ pédagogique qui travaillent avec des élèves d'origine étrangère. Leur approche reprend celle qu'avait adoptée Bernard Lahire à propos de « l'illettrisme » 1. Ainsi, leur regard se porte sur les structures et discours qui encadrent et modifient le travail et les représentations de ces acteurs de l'enseignement.

2Les enseignants, qui arrivent en dernière ligne de la « chaîne de production idéologique », sont donc directement identifiables comme les porteurs essentiels d'une explication culturaliste de l'inégalité des chances de la réussite scolaire. Ce livre permet d'une part de relativiser ce point de vue et, d'autre part, de mieux saisir les mécanismes à l'oeuvre dans la construction et la diffusion d'une explication « ethnicisante » des problèmes liés au constat de l'inégalité des chances entre les élèves. Il est à noter que l'étude appuyant cet ouvrage a été menée dans le canton de Genève, ce qui n'empêche pas en soi d'étendre leurs conclusions au cas suisse ou français, mais nécessite semble-t-il des nuances ou certaines modifications. D'une part, la Suisse, et plus particulièrement le canton de Genève ont connu une forte immigration dès le début du 20ième siècle. D'autre part, la situation de l'emploi est plus favorable en Suisse qu'en France, même si la région lémanique connait un taux de chômage parmi les plus élevés de Suisse. Pour avoir des données précises sur tous ces points on pourra se reporter au site de l'Office fédéral de la Statistique. Dès lors que le marché de l'emploi est moins concurrentiel, le rôle de l'institution scolaire, de sélection des individus pour des emplois relativement rares, devient moins nécessaire.

  • 2 Léger A., Tripier M. (1986). Fuir ou construire l'Ecole populaire ?, Paris, Méridiens-Klincksieck.

3Comme le rappellent les auteurs, l'immigration ne posa pas de problème politique et social tant qu'elle était liée au besoin de main d'oeuvre peu qualifiée à faible revenu. La conjoncture économique devenant nettement moins favorable dans les années 70 puis dans les années 80, la perception des populations immigrée s'est également retournée. L'école a dû faire avec deux éléments contradictoires. D'une part, son rôle de « tri social » dans un contexte de raréfaction des emplois s'est renforcé. D'autre part, la volonté croissante de prendre en compte les « spécificités culturelles » des populations immigrées, censée permettre une plus grande égalité et une meilleure intégration de ces populations. Cette double évolution concerne au premier chef l'école. Ainsi, les pédagogies interculturelles visant à prendre en compte la culture des élèves pour mieux la valoriser et ainsi favoriser leur réussite scolaire, comporte des effets pervers. Le risque est par exemple de « cristalliser » les immigrés dans des catégories ethniques immuables, confortant du même coup la vision commune de telle ou telle culture nationale. Cet effet se fait sentir à tous les niveaux, chez les enseignants bien sûr, mais également chez les parents d'origine immigrée. La culture devient ainsi une dimension naturelle des individus et sert à masquer les causes économiques et sociales des inégalités scolaires. Dans ce contexte les enseignants peuvent avoir le sentiment de subir une injonction paradoxale. D'un coté permettre la reconnaissance des différentes cultures à l'école et de l'autre maintenir la hiérarchie entre ces cultures et transmettre la culture légitime nationale. Sur le « marché scolaire » il semble que la part d'élèves immigrés constitue un signal fort exprimant le faible niveau de l'établissement, contribuant ainsi à sa stigmatisation et donc à son évitement par les parents dotés de ressources suffisantes. 2. Les populations immigrées assignées à ces établissements peuvent finir par « intégrer le stigmate », considérant que leur culture d'origine les pénalise dans la réussite scolaire.

4Cet ouvrage ne cherche pas à proposer une analyse généralisée du rapport entre les acteurs de l'institution scolaire et les familles immigrées. Il s'inscrit davantage dans la continuité des travaux de sociologie de l'éducation. Il s'appuie ainsi sur les conclusions des travaux antérieurs relatifs à cette thématique de recherche, et propose une analyse circonstanciée et complète de la manière dont, différents acteurs institutionnels ont élaboré et fait évolué le discours et l'action en direction des élèves d'origine étrangère. Les auteurs analysent et comparent, sur le long terme, les discours et mesures d'institutions plus ou moins directement en prise avec les élèves d'origine étrangère. Ainsi, ils croisent les discours de diverses institutions telles que le Centre de Contact Suisses-immigrés (CCSI), celui des instances éducatives et politiques suisses, des pédagogues, et des organisations internationales (comme l'UNESCO). Ce travail est donc très riche et intéressant en raison de son ouverture sur les prises de position d'institutions non directement concernées par la scolarisation des élèves d'origine étrangère. Il permet ainsi une prise de recul nécessaire face à une question très largement médiatisée, sur laquelle pèsent des discours qui se veulent largement normatifs.

  • 3 La Diversité contre l'égalité, Paris, éd. Liber, fév. 2009

5Il permet d'alimenter la réflexion concernant la prise en compte des spécificités culturelles des certaines populations, que le discours désigne parfois par celui de minorités ethniques. En effet, à l'heure où le modèle républicain universaliste peine de plus en plus à convaincre et trouver grâce aux yeux des acteurs et usagers du système scolaire, il est utile de relativiser la manière dont notre société traite les différences culturelles et nationales des populations. Dans un registre nettement plus engagé et critique, le livre de Walter Benn Michaels 3 montre en quoi la prise en compte effective ou affichée des différences culturelles contribue à maquer la réalité économiques et sociales qui prévalent dans les rapports sociaux. Sans vouloir mettre sur le pied ces deux ouvrages, on pourra simplement constater que leurs analyses peuvent se compléter ou au minimum alimenter notre réflexion.

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Notes

1 Lahire B. (1999). L'invention de « l'illettrisme ». Rhétorique publique, éthique et stigmates. Paris. La Découverte.

2 Léger A., Tripier M. (1986). Fuir ou construire l'Ecole populaire ?, Paris, Méridiens-Klincksieck.

3 La Diversité contre l'égalité, Paris, éd. Liber, fév. 2009

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Pour citer cet article

Référence électronique

Benoît Ladouceur, « Genevieve Mottet, L'école et l'élève d'origine étrangère : genèse d'une catégorie d'action publique. Genèse d'une catégorie d'action publique », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 18 juin 2010, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/1049 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.1049

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