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Sylvie Craipeau, Gérard Dubey, Pierre Musso, Bernard Paulré, La connaissance dans les sociétés techniciennes. Enjeux et dangers de l'industrialisation de la connaissance

Bruno Michon
La connaissance dans les sociétés techniciennes
Sylvie Craipeau, Gérard Dubey, Pierre Musso, Bernard Paulré (dir.), La connaissance dans les sociétés techniciennes. Enjeux et dangers de l'industrialisation de la connaissance, L'Harmattan, coll. « Sciences et Société », 2009, 222 p., EAN : 9782296101111.
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Texte intégral

1Les sciences de l'information et de la communication n'ont pas toujours bonne presse. L'ouvrage collectif codirigé par Sylvie Craipeau, Gérard Dubey, Pierre Musso et Bernard Paulré démontre pourtant les qualités de cette discipline. Cet ouvrage s'inscrit en effet dans la continuité d'un colloque qui s'est tenu en 2004 à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et d'un séminaire co-organisé par deux écoles de télécommunication (Institut Télécom & Management SudParis) et par l'équipe ISYS-MATISSE (centre d'économie de la Sorbonne, UMR Paris 1-CNRS). La mosaïque d'articles qui le compose croise les domaines de la sociologie, des sciences de l'information et de la communication, de l'économie et du management. Étrange agencement à première vue, qui permet néanmoins un traitement en profondeur de la problématique que se donne l‘ouvrage. Celle-ci est effectivement ambitieuse, les auteurs questionnent en effet les discours et pratiques qui s'inscrivent dans ce qu'ils nomment -non sans la critiquer- « une société de la connaissance ». Si l'ouvrage ne révolutionne pas la question, il a cependant le mérite de développer conjointement deux types d'approche qui composent une partie chacune.

2L'approche par l'imaginaire social occupe la première partie de l'ouvrage, malgré des contributions inégales, on peut relever la qualité de certains articles. La contribution d'Alain Gras étend ainsi la notion de pouvoir et de contrôle à celui de réseau grâce au concept de « macro-système technique ». L'auteur plaide pour une réévaluation de la dimension politique du réseau. L'apparition de techniques « contre-intuitives », car au-delà de l'expérience quotidienne de l'individu, est le point de départ de l'exposé de Xavier Guchet. À partir de l'exemple des nanotechnologies, il décrit le paradoxe inhérent aux « sociétés d'experts » qui créent parallèlement des connaissances ultra-spécialisées et des secteurs entiers de la connaissance inaccessibles aux non-spécialistes.

3Pascal Robert, Gérard Dubey et Pierre Musso questionnent quant à eux l'imaginaire de la technique. Contre des sociologues comme Patrice Flichy, Pascal Robert remet en question l'existence même d'un tel imaginaire. Il affirme en ce sens que la technique ne porte pas en elle-même d'imaginaire, elle serait selon l'auteur à l'origine de « macro-techno-discours » qui viennent justement masquer « le déficit global de symbolicité de la technique » (p. 132). L'approche sémiotique qu'il propose ne convainc toutefois pas d'abandonner la notion d'imaginaire qui gagnerait peut-être à s'articuler au concept de macro-techno-discours. L'imaginaire et l'utopie sont eux aussi le point de départ des réflexions de Pierre Musso qui décrit l'apparition d'un nouveau « vitalisme » dans l'utopie des « réseaux spirituels ». Celui-ci caractériserait le vieux rêve cybernéticien d'une intelligence collective de l'homme et de la machine. Enfin Gérard Dubey interroge le concept latourien de « grand partage » à partir de la description d'un cockpit de Rafale. Pensé pour suppléer aux carences du corps humain, le dispositif technique relègue ce dernier en simple auxiliaire d'une machine omnipotente. Pour l'auteur, cette « révolution » ne s'accompagne toutefois pas d'un changement des représentations du partage entre l'humain et le non-humain.

4La deuxième partie de l'ouvrage est consacrée à une approche organisationnelle, économique et managériale de la connaissance. La grande majorité des contributions proposent une critique intéressante du développement du « capitalisme cognitif ». Eddie Soulier propose à ce propos une épistémologie de l'ingénierie des connaissances en optant pour le paradigme de la « connaissance distribuée et située » développée par Hutchkins dans les années 80. L'auteur rappelle que cette conception socialisée de la connaissance a provoqué l'apparition du knowledge management qui prédomine aujourd'hui dans le monde entrepreneurial. L'auteur s'interroge finalement sur le bien-fondé et la possibilité même d'une rationalisation de la sociabilité et de la coopération telle qu'elle est développée dans le management cognitif.

5Dans le prolongement de ces réflexions, Sylvie Craipeau fait part de plusieurs enquêtes sociologiques sur ce type de management et décrit le paradoxe entre l'ultra individualisation du travail d'une part et l'injonction à la coopération de l'autre. Bien plus, en « colonisant » la dimension informelle du travail, le management cognitif provoque l'effet inverse de ce qu'il recherche. Il bride la créativité qui nécessite une marge de manœuvre, une zone du tacite en dehors du contrôle institutionnel. C'est ce que pointe Jean-Luc Bouillon dans sa contribution lorsqu'il décrit la rationalisation cognitive à l'œuvre dans le monde contemporain de l'entreprise. Selon lui, les outils techniques performeraient directement la forme organisationnelle permettant, pour reprendre la formule de Licoppe qu'il cite, « une mise en algorithme des séquences interactionnelles élémentaires » (p. 195). Véritable « dispositif de contrôle », ces outils informatiques gagneraient, pour l'auteur, à être étudié à partir des réflexions foucaldienne sur le pouvoir. Dans une perspective proche, Sébastien Broca bat en brèche les poncifs sur « l'intelligence collective » qui serait, au dire de nombreux acteurs scientifiques, politiques ou de la cybernétique, une voie royale vers une société plus démocratique. Il décrit au contraire tout en nuance, les risques engendrés par ce discours.

6Pour conclure, La connaissance dans les sociétés techniciennes apporte une synthèse efficace des recherches dans le domaine de la sociologie cognitive, de la sociologie des techniques et de l'imaginaire, du knowledge management et plus généralement sur la rationalisation de la connaissance à l'œuvre dans les sociétés contemporaines.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Bruno Michon, « Sylvie Craipeau, Gérard Dubey, Pierre Musso, Bernard Paulré, La connaissance dans les sociétés techniciennes. Enjeux et dangers de l'industrialisation de la connaissance », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 06 septembre 2010, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/1133 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.1133

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Rédacteur

Bruno Michon

Doctorant en sociologie, Laboratoire Cultures et Sociétés en Europe, Université de Strasbourg

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