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Jacques Ion, Le travail social en débat[s]

Christophe Nicoud
Le travail social en débat[s]
Jacques Ion (dir.), Le travail social en débat[s], La Découverte, coll. « Alternatives sociales », 2005, 267 p., EAN : 9782707144409.
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Texte intégral

1Le chômage de masse, l'apparition des notions d'exclus, de nouveaux pauvres, la dénonciation des inégalités socio-économiques ont remis en question le fondement de l'action du travail social, composé essentiellement de professionnels, du privé et du public, et de bénévoles, tentant de répondre aux défaillances des institutions de socialisation. Aussi, l'ouvrage collectif dirigé par Jacques Ion ne cherche pas à établir un bilan des connaissances sur le travail social, il a plutôt pour objectif de mettre en avant les questions que le travail social produit, suite à ces remises en question. Cet ouvrage est assez remarquable dans le sens où l'on ressort de sa lecture avec une bonne idée de ce qu'a été le travail social et des enjeux qui le traversent. Une impression d'ensemble claire se dégage en effet, bien que l'on soit face à quinze contributions de sociologues, chercheurs et/ou enseignants : le travail social serait passé, depuis le milieu des années 70, d'une logique solidariste d'intervention, assez bureaucratique dans l'attribution d'aides à des populations ciblées, à une logique contractualiste, ou de responsabilités, basée sur des projets. Ce changement se serait opéré en même temps d'une part que l'Etat social s'effaçait face à l'Etat de service, d'autre part que le processus de socialisation et de construction des normes ne suivait plus une unique filière descendante mais plutôt une filière inversée, remontant des individus, et enfin que l'exclusion envahissait notre quotidien. Le travail social ne devait plus seulement aider mécaniquement des catégories d'ayant-droit : il devait construire avec l'usager, le client, un projet de resocialisation, de réintégration, de réaffiliation, en utilisant des dispositifs territorialisés, individualisés, faisant appel à des acteurs partenaires (collectivités territoriales, associations, entreprises, guichetiers du service public...). Autrement dit, pour les différents contributeurs de l'ouvrage, on ne peut guère parler de désinstitutionnalisation, d'un déclin des institutions : malgré les apparences, l'Etat agit toujours, mais transforme son action.

2Et par voie de conséquence, les emplois du secteur social et socio-éducatif se sont profondément modifiés. A partir des années 80, avec l'impulsion de la politique de la ville et du développement social urbain, de nouveaux métiers sont apparus au sein des collectivités territoriales (médiation, intermédiation, accompagnateur de projet, coordinateur de programme). Les qualités requises pour les effectuer se basaient plus sur l'expérience du futur intervenant social et moins sur son diplôme, notamment lorsque le salarié était proche de la rue. Aussi, la profession s'est hétérogénéisée, regroupant des salariés diplômés et d'autres non, des précaires et d'autres non, des travailleurs sociaux classiques et des nouveaux venus... Les trajectoires professionnelles sont alors plus mobiles, instables et individuelles. La formation de ces intervenants sociaux devient une interrogation majeure, notamment avec la validation des acquis de l'expérience (VAE), la décentralisation des centres de formation à partir de 2005 et le recours à des intervenants non formés comme les guichetiers du service public amenés à établir une relation d'aide avec les usagers pour décharger les travailleurs sociaux. Seule constante : les métiers du social sont toujours féminins à 90%. Les hommes travailleurs sociaux ont plus souvent et plus rapidement accès aux postes hiérarchiques, malgré leur sous-représentation, ce qui leur fait percevoir un salaire moyen plus élevé. Marc Bessin dénonce la non prise en compte de cette constante dans l'analyse du travail social.

3Cette hétérogénéisation s'est accompagnée d'une homogénéisation du discours des intervenants, puis de la profession entière. Des notions managériales d'efficacité, de rentabilité, de projets, de proximité, de citoyenneté, de décentralisation et de partenariat, valorisantes pour les métiers du social, auparavant accusés d'être inefficaces, coûteux et producteurs d'assistanat, sont apparues. Pourtant, ces transformations, notamment le recours à la proximité dans la relation d'aide, comportent des risques. Les individus doivent pouvoir s'appuyer sur des règles générales édictées par un acteur collectif en dehors de la relation interindividuelle d'aide, pour ne pas vivre leurs démarches comme la conséquence d'échecs personnels. De plus, la distanciation permet de ne pas surestimer les bénéfices sociaux consécutifs à des liens inter-individuels. Un individu se fabrique via les interactions sociales, mais aussi en intériorisant des modèles déjà présents, une société déjà construite. Enfin, la distance crée un répertoire d'action pour les travailleurs sociaux, facilite la gestion du stress relationnel, et permet d'éviter les liens paternalistes, voire clientélistes. Ensuite, la personnalisation du destin social risque de désolidariser les individus les uns vis-à-vis des autres. Cependant, des bienfaits existent aussi : la proximité permet à l'usager exclu d'être rattaché au monde qui l'entoure, de créer de la confiance, de la crédibilité, et de permettre les confidences. L'individu est mis dans de bonnes dispositions pour préparer son projet d'insertion et affronter l'épreuve publique de la stigmatisation.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Christophe Nicoud, « Jacques Ion, Le travail social en débat[s] », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 31 août 2005, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/189 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.189

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Rédacteur

Christophe Nicoud

Professeur de Sciences Economiques et Sociales, chef d'établissement Lycée Saint Louis Saint Bruno (Lyon 1er)

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