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Jeunes d'aujourd'hui, France de demain

Eva Nada
Jeunes d'aujourd'hui, France de demain
« Jeunes d'aujourd'hui, France de demain », Problèmes politiques et sociaux, n° 970, 2010, La Documentation française.
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Texte intégral

1Invitation à sortir d'une « pensée cloisonnée et segmentée » (p.5) sur les jeunes, la nouvelle publication de Problèmes politiques et sociaux, coordonnée par Cécile Van Velde, propose une large réflexion sur la conception et la gestion des âges de la vie au sein de la société française. À partir d'une trentaine d'extraits tirés de récentes recherches françaises traitant de la jeunesse, Cécile Van Velde propose de voir comment les jeunes sont pensés au sein de la société française et, en retour, comment ils peuvent - ou ne peuvent pas - se constituer de manière autonome. Organisée en trois parties intitulées « ‘Une génération déclassée ?} », « Le jeune adulte, la famille et l'Etat» et « Etre jeune dans des sociétés vieillissantes», ce dossier entend répondre à trois questions centrales : Quelles sont les configurations politiques actuelles qui organisent les âges dans la société française ? Quelles en sont les implications sociales ? Quelles en sont les perspectives de développement dans un contexte de crise et face aux enjeux démographiques ? (p.9). Pour répondre à ces questions, un des intérêts spécifiques de ce dossier est d'analyser les modes d'inscription des jeunes à l'école, dans la famille et plus globalement au sein de la société, en tissant des complémentarités entre deux conceptions, traditionnellement opposées, des rapports entre générations, l'une conflictuelle et l'autre protectrice (p.9).

2Dès la première partie du dossier, l'analyse des processus de déclassement ainsi que de disqualification sociale et professionnelle des jeunes issus des classes populaires (S. Beaud ; C. Baudelot et R. Establet) illustrent les limites des politiques éducatives françaises. Si certaines recherches ont analysé le processus de déclassement, soit comme un sentiment dû à l'importance accordée au diplôme par les jeunes générations (E. Maurin), soit comme une réalité objective du fait de l'augmentation des mobilités sociales descendantes (C. Peugny), il apparaît, dans les deux cas, comme le produit des politiques éducatives menées en France au cours des trente dernières années. En effet, ces phénomènes mettent en évidence les formes d'inégalités intra et inter-générationnelles qui interrogent les limites du système éducatif français fondé sur la méritocratie (F. Dubet ; M. Duru-Bellat) et se définissant, en partie, par une sélection précoce et un modèle de trajectoire fixe et linéaire (p.5).

3Hormis les aspects liés au système éducatif, la gestion politique des âges repose principalement sur une responsabilisation des familles, même s'il existe quelques mesures de soutien individuel (C.Van Velde ; V. Cicchelli), ce qui conduit à des formes d'inégalité dans les processus de décohabitation et d'entrée sur le marché du travail pour les jeunes. Cette gestion politique renforce le rôle des solidarités familiales ouvrières dans l'accès à un emploi, tout en défavorisant la mobilité sociale des jeunes générations (T. Poullaouec). À l'inverse, les jeunes issus des classes moyennes bénéficient du confort du logement familial plus longtemps, ce qui leur permet d'allonger leurs études tout en repoussant l'incertitude de l'avenir professionnel (A.Laferère ; M. Cartier et al.). L'ensemble de ces recherches révèle que les politiques des âges, caractérisées de familialistes, font reposer sur les solidarités familiales les possibilités d'indépendance, de mobilité sociale et géographique des jeunes (N.Renahy). Malgré la représentation protectrice et bienfaitrice de cette forme de solidarité familiale (C. Attias-Donfut, S. Legay), celle-ci contribue pourtant à renforcer le sentiment de déclassement et les inégalités au sein d'une génération. Enfin, si les politiques d'insertion ont pris acte d'un relatif étalement de la période d'entrée sur le marché du travail (L. Lima), ces différents modes de gestion politique des âges ne tiennent pas compte des aspirations d'autonomie des jeunes. (p.8).

4Afin de compléter le tableau de la conception politique des âges, la dernière partie du dossier est consacrée aux recherches qui s'intéressent aux déséquilibres intergénérationnels. Dans ce débat, deux questionnements s'affrontent : celui qui met l'accent sur la question de la viabilité des politiques de redistribution (L. Arrondel et A.Masson) et celui qui met l'accent sur le conflit des générations ainsi que les risques relatifs aux difficultés de « socialisations transitionnelles » pour les jeunes générations par rapport à leurs aînés (L. Chauvel). S'ils sont en désaccord sur les termes du débat, chacun de ces deux questionnements interroge les inégalités entre générations et s'oppose, en ce sens, aux approches qui voient dans les solidarités familiales un filet de protection et d'entraide. Pourtant, comme le souligne Cécile Van Velde, la conception fixe et linéaire des âges, qui sous-tend le modèle politique de gestion des âges à la française, n'est pas mise en perspective à la lumière des constats de l'impuissance à réguler les inégalités intergénérationnelles (Jean-Philippe Viriot-Durandal). Face à l'ambivalence et aux inégalités dont sont porteuses les politiques de gestion des âges, le dossier se clôt sur des propositions de renouvellement de ces politiques. Deux conceptions de gestion des âges sont discutées : la première qui considère les jeunes comme une classe d'âge autonome, caractérisée par des épreuves spécifiques qu'il faut sécuriser, en investissant dans la formation et dans les parcours professionnels (O. Galland ; J-L. Dayan et M. Harfi ; F. Lefresne) ; la deuxième qui remet en cause la conception fixe et linéaire des âges en insistant sur la flexibilisation des trajectoires de vie. Dans cette deuxième perspective, les protections doivent alors s'attacher à sécuriser les parcours mobiles de l'individu et non plus être uniquement attachées à l'emploi (A-M. Guillemard ; G. Esping-Andersen).

5Au terme de la lecture, la mise en évidence des implications sociales de la politique des âges à la française pour les jeunes générations révèle que cette forme de gestion des âges, linéaire et segmentée, n'est plus en mesure de répondre aux besoins des jeunes engagés dans des trajectoires de vie de plus en plus flexibles, ainsi que de faire face aux enjeux d'une société vieillissante. Le dossier aurait néanmoins gagné à inclure des extraits de recherches qui traitent d'autres formes d'inégalités, par exemple, celles de genre. En effet, les inégalités intra et inter-générationnelles semblent, ici, principalement définies par l'origine sociale et la génération, indépendamment du sexe ou du statut migratoire. On pourrait, en particulier, se demander comment les inégalités de genre se configurent dans cette forme politique de gestion des âges et si les mêmes implications sociales et les mêmes enjeux existent. Il n'en reste pas moins que ce dossier offre, tant par la façon d'articuler des perspectives de recherches souvent mises en opposition que par la mise en évidence des mécanismes qui sous-tendent les modes d'inscription des jeunes, une lecture stimulante des politiques et conceptions des âges en France. Il laisse également entrevoir l'exploitation future d'importantes recherches dans le domaine de la sociologie de la jeunesse et des relations entre générations, tout spécifiquement dans le contexte actuel de mobilisations collectives contre la réforme du système des retraites.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Eva Nada, « Jeunes d'aujourd'hui, France de demain », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 29 octobre 2010, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/1175 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.1175

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Rédacteur

Eva Nada

Doctorante en sociologie et assistante d'enseignement, Université de Lausanne, Suisse.

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