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Frédéric Poulard, Conservateurs de musées et politiques culturelles. L'impulsion territoriale

Samuel Coavoux
Conservateurs de musées et politiques culturelles
Frédéric Poulard, Conservateurs de musées et politiques culturelles. L'impulsion territoriale, La Documentation française, coll. « Musées-Mondes », 2010, EAN : 9782110078056.
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Texte intégral

1Dans cet ouvrage, issu d'une thèse de doctorat, Frédéric Poulard examine un objet délaissé des travaux d'histoire des musées : les établissements de province. La plupart des travaux réalisés dans cette sous-discipline concernent en effet les musées nationaux, qui, du Louvre à Orsay, constituent l'archétype du musée dans les représentations communes. Ces établissements, qui ne sont qu'une cinquantaine contre plus de mille autres institutions, attirent, il est vrai, la moitié des 52 millions de visiteurs annuels. Les musées de province jouent pourtant un rôle moteur dans la diffusion de la culture et proposent des collections souvent bien plus diversifiées que celles des musées nationaux. Plus encore, comme le montre l'auteur, ils ont participé grandement aux différentes périodes de renouveau des politiques culturelles locales et nationales.

2Frédéric Poulard s'attache dès lors à éclairer deux aspects complémentaires de l'histoire des musées de province : les rôles respectifs et les relations entre Etat et collectivités territoriales dans l'impulsion des politiques culturelles, et les transformations et l'actualité de la profession de conservateur territorial. Le premier thème, relevant de l'histoire politique et administrative, occupe les deux premières parties de l'ouvrage, qui en compte trois. Invention de la Révolution Française, les musées, et en particulier le premier d'entre eux, le Louvre, ont pour vocation première d'ouvrir les collections royales au public, que l'on retrouvera au XXe siècle dans l'affirmation de leur vocation éducative. Dans les provinces, cependant, existent déjà nombre de galeries, plus ou moins ouvertes, et de collections privées autour desquelles se nouent les sociabilités des notables amateurs d'art. L'ouverture de musées municipaux est donc le fait à la fois de prêts et dons de pièces appartenant aux collections nationales, dès les premières années du XIXe siècle, et du rassemblement de collections existantes.

3A bien des égards, l'histoire des musées français est celle d'une lutte permanente, de la part de l'Etat, pour conserver, ou regagner, la mainmise sur la diffusion de la culture. La création en 1870 de l'Ecole du Louvre, chargée de former des conservateurs compétents dans les techniques de muséologie, ou la reprise en main par le Front Populaire de la qualification des conservateurs, par la création d'une liste d'aptitude à la fonction, en témoignent bien. Les musées de province sont placés sous le contrôle d'une Direction des Musées de France, chargée d'inspecter leurs actions, et le régime de Vichy ne fait que renforcer les prérogatives de l'Etat. Cependant, par la force des choses (le manque de personnel qualifié fait que la plupart des établissements sont longtemps dirigés par des notables locaux - sculpteurs, peintres, professeurs, etc. - parfois bénévoles) comme par désir d'indépendance, les collectivités locales résistent à cette force centrifuge. On voit ainsi très tôt les collections se diversifier, s'écartant du canon ministériel de l'art classique consacré : les musées de province sont également des musées d'art folkloriques, de traditions, d'art et d'artisanat préhistorique, etc.

4Quoi qu'il en soit, le balayage sur le temps long de cette histoire des musées territoriaux met bien en lumière le dynamisme ancien des politiques culturelles locales. Une telle affirmation s'oppose directement au mythe, souvent réaffirmé, selon lequel le renouveau des musées date de la victoire de la gauche en 1981, et de son ambitieuse politique culturelle. Cette période, à laquelle il faut adjoindre les années 1970, représente pourtant bien un tournant, en termes de moyens alloués à la culture comme de qualité des relations entre pouvoir central et collectivités territoriales. Pour l'auteur, c'est le passage d'une logique de tutelle à une logique de collaboration qui définit le mieux cette évolution. Il apparait par ailleurs que ces transformations sont particulièrement visibles dans les mutations de la profession de conservateur. Alors que les diplômés de l'Ecole du Louvre ou de formations universitaires équivalentes occupent progressivement les postes à responsabilités dans les musées territoriaux, ils voient leur formation et leur statut, alignés peu à peu sur ceux des conservateurs des musées nationaux. La création de l'Ecole Nationale du Patrimoine en 1986 consolide cette évolution. L'homogénéisation et la professionnalisation d'un corps des conservateurs constituent un pan de la stratégie du pouvoir central de contrôle des musées français. L'imposition, en particulier, de normes codifiées, à travers cours et stages de muséologie, doit permettre d'imposer une culture de la conservation sur l'ensemble du territoire. La profession, pourtant, ne saurait être réduite à cette fonction. Bien au contraire, elle est un acteur du renouveau des politiques territoriales, ce que montre une ethnographie de ce métier qui constitue le fondement empirique du troisième chapitre. La confrontation aux problématiques locales et aux réalités concrètes des responsabilités de leurs postes conduisent en effet les conservateurs à une négociation perpétuelle de leur position entre Etat et collectivités territoriales.

5L'ouvrage de Frédéric Poulard rend compte d'un travail très riche empiriquement, et parfois même trop riche, lorsqu'il multiplie les études de cas au détriment de la cohérence globale de l'argumentation. Il n'en constitue pas moins une très bonne histoire des musées territoriaux, précise et pertinente, assortie d'une étude habile de sociologie des professions qui mériterait plus de place que le livre ne lui en accorde.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Samuel Coavoux, « Frédéric Poulard, Conservateurs de musées et politiques culturelles. L'impulsion territoriale », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 16 décembre 2010, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/1217 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.1217

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