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Agathe Dreyfus, Christine Gabory, Ivora Cusack, Resf : un réseau de résistances

Lilian Mathieu
Resf : un réseau de résistances
Agathe Dreyfus, Christine Gabory, Ivora Cusack, Resf : un réseau de résistances, 360° et même plus, 2007.
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Texte intégral

1Le Réseau éducation sans frontière (RESF) a été fondé en 2004 pour défendre les enfants et les jeunes étrangers en situation irrégulière, dont la scolarité risque d'être interrompue par une mesure d'expulsion pesant sur eux-mêmes et/ou sur leurs parents. Si le RESF s'inscrit dans la continuité des luttes en défense des sans-papiers, son ancrage au sein de l'institution scolaire, dont témoigne la forte implication en son sein d'enseignants et de parents d'élèves, constitue son principal trait distinctif. Initié en région parisienne, le RESF s'est développé sur tout le territoire français, partout où des personnes, pas toutes dotées d'une longue expérience militante, se sont mobilisées pour s'opposer à l'expulsion d'un-e élève de leur classe ou d'un-e petit-e camarade de leur enfant. Comme son nom l'indique, RESF n'est pas une association formelle et structurée, mais un « réseau » qui mise sur la souplesse organisationnelle, selon ses animateurs gage de meilleures réactivité et spontanéité militantes. En adoptant cette forme réticulaire, RESF s'inscrit dans la tendance des mouvements sociaux actuels à s'écarter des modes d'organisations bureaucratisés et hiérarchisés. RESF se signale également par ses formes d'action misant sur des coups d'éclats protestataires, susceptibles de peser davantage par leur écho médiatique que par l'importance des troupes réunies.

  • 1 Charles Tilly, « Les origines du répertoire de l'action collective contemporaine en France et en Gr (...)

2C'est précisément le répertoire d'action collective (concept forgé par l'historien Charles Tilly pour désigner l'ensemble des modes de protestation accessibles à un groupe donné) 1 que cette série de courts-métrages donne à voir. Ces documentaires ont été tournés à Marseille et ses environs en 2006 et 2007 et rendent compte de plusieurs actions du collectif RESF des Bouches-du-Rhône : deux protestations à l'aéroport de Marignane pour empêcher l'expulsion de sans-papiers, un parrainage républicain (par lequel des Français s'engagent à prendre des sans-papiers sous leur protection) dans une mairie d'arrondissement de Marseille, un « happening » théâtralisant l'interpellation d'un sans-papiers (joué par une comédienne déguisée en chien) à la gare Saint-Charles, un rassemblement devant le Centre de rétention administrative (CRA) du Canet et une marche en mémoire d'un jeune sans-papiers qui s'est donné la mort dans ce même CRA où il était enfermé dans l'attente de son expulsion. Les films n'engagent à aucun moment un propos didactique ou de surplomb sur l'engagement au sein du RESF ou sur la cause qu'il défend. Les entretiens avec des militants sont peu nombreux et c'est davantage la parole des sans-papiers qui s'exprime. Surtout, ces prises de parole, qui explicitent les raisons de leur révolte et les motivations de leur séjour en France, prennent toutes place dans un contexte de mobilisation, et font partie intégrante de la protestation. C'est avant tout la contestation collective en train de s'accomplir qui est donnée à voir, et l'exposition cinématographique reproduit le rythme et l'atmosphère - joyeuse, recueillie, déterminée, tendue... - des actions filmées.

  • 2 Voir notamment Christophe Traïni (dir.), Emotions... mobilisation !, Paris, Presses de Sciences-po, (...)

3À ce titre, la succession des courts-métrages fait apparaître des contrastes saisissants, et fournit une éclairante démonstration de l'importance que revêt la prise en compte des émotions pour l'étude des mouvements sociaux. Les affects ont longtemps été tenus à l'écart par une sociologie des mobilisations empreinte d'utilitarisme, et ce n'est que depuis peu qu'elles ont retrouvé droit de cité dans les analyses2. Les courts-métrages soulignent combien différentes émotions constituent des ressorts de l'engagement - comme dans le cas de la marche, où la colère et l'indignation des proches du jeune suicidé se mêlent étroitement à la douleur - mais également comment la participation à l'action collective fait d'elle-même évoluer les états affectifs. Ainsi lorsque la mise en scène de l'interpellation à la gare Saint-Charles suscite tout d'abord une ambiance joyeuse de dérision puis provoque des prises de parole de plus en plus véhémentes dès que les militants se prennent au jeu et expriment le fond de leur indignation. Ainsi également lorsqu'une action à l'aéroport fait se succéder des séquences marquées par le calme de l'élaboration stratégique, la fébrilité de l'engagement dans l'action, la montée de la colère devant les obstacles qui lui sont opposés, et pour finir l'exultation de la victoire lorsque les militants voient les policiers débarquer de l'avion le jeune sans-papiers qu'ils ont vainement tenté d'expulser.

4L'apport de cette série de courts-métrages ne se limite bien évidemment pas à cette dimension illustrative des mécanismes de l'engagement contestataire. Son intérêt réside avant tout dans ce qu'il donne à voir et à comprendre de la lutte en faveur des sans-papiers, de ses enjeux politiques et humains comme des logiques d'engagement de ses militants. Les victoires remportées par les actions à l'aéroport (dans les deux cas la mobilisation est parvenue à empêcher l'expulsion des sans-papiers et a débouché sur leur remise en liberté) attestent que peu nombreux mais très déterminés, les militants du RESF sont en mesure de résister efficacement à l'actuelle politique d'immigration. Que ces victoires soient acquises au cas par cas, et après de longues et âpres mobilisations, indique cependant combien le rapport de force politique reste défavorable à la cause des étrangers en situation irrégulière.

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Notes

1 Charles Tilly, « Les origines du répertoire de l'action collective contemporaine en France et en Grande-Bretagne », Vingtième siècle, n° 4, 1984.

2 Voir notamment Christophe Traïni (dir.), Emotions... mobilisation !, Paris, Presses de Sciences-po, 2009.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Lilian Mathieu, « Agathe Dreyfus, Christine Gabory, Ivora Cusack, Resf : un réseau de résistances », Lectures [En ligne], Les notes critiques, mis en ligne le 05 décembre 2010, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/1360 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.1360

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