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Jane Mejias, Sexe et société. La question du genre en sociologie

Christophe Nicoud
Sexe et société
Jane Mejias, Sexe et société. La question du genre en sociologie, Bréal, coll. « Thèmes et Débats », 2005, 128 p., EAN : 9782749504568.
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Texte intégral

  • 1 Sex, Gender and Society, Oxford, Martin Robertson, 1972.
  • 2 Women's history in transition : the european case, Feminist Studies, vol.3, 1976, n°3-4, p.83-103.
  • 3 « Gender a useful category of historical analysis », in Le genre de l'histoire, Cahiers du GRIF, n° (...)

1Le genre ou gender, terme utilisé par Robert Stoller en 1968, rend compte des cas où l'écart entre le sexe social et le sexe biologique met mal à l'aise le patient psychanalysé. Ce concept a été repris en sociologie par Ann Oackley1 et Natalie Zemon Davis2, puis popularisé en France en 1988 par la traduction d'un article de 1986 de Joan W. Scott3, afin de distinguer le sexe social du sexe biologique, et donc de « dénaturaliser » la conception du masculin et du féminin. C'est dans cette optique que Jane Méjias fait le tour d'horizon de la question du genre dans les sciences sociales Elle tente de mettre en avant la construction sociale qui est à l'œuvre dans les relations de genre à travers huit problématiques.

  • 4 « Héritages sexués : incorporation des habitudes et des croyances », in Thierry Blöss, La Dialectiq (...)
  • 5 Les uns avec les autres, Armand Colin, 2003.

2Premièrement, la conception du masculin et du féminin est un construit historique et social et non une donnée naturelle. L'idéal masculin de notre société provient du XVIIIème-XIXème siècle. Etre un homme suppose l'effort de ne pas être efféminé et d'être supérieur aux autres, de cacher ses émotions et d'être audacieux voire agressif. Cet idéal est transmis à travers la socialisation primaire et secondaire et est entretenu par des pratiques sociales quotidiennes (faire le ménage ou passer la tondeuse) et par une confrontation à des situations sociales particulières (séparation des toilettes ou des vestiaires), selon Bernard Lahire4. Cela semble en contradiction avec les valeurs égalitaires de notre société actuelle et peut conduire à une redéfinition douloureuse de la masculinité puisque les rôles sociaux semblent moins imposés qu'auparavant et plus construits individuellement, selon François de Singly5.

3Deuxièmement, J. Mejias met en évidence la construction originelle des rôles parentaux par rapport à la maternité. La femme porte l'enfant et lui donne la vie. Ce point d'ancrage a permis de construire une séparation des rôles entre hommes et femmes. La mère doit avoir naturellement un instinct maternel, doit savoir automatiquement s'occuper d'un enfant et doit aimer cela. Il semble, par ailleurs, que des mécanismes autant biologiques que sociaux soient à l'œuvre pour que ces caractéristiques maternelles existent. Cette différenciation naturalisée des rôles s'est prolongée dans le droit du travail. Faible et fragile par nature (E. Durkheim, La division du travail social, 1893), les femmes sont des mineures au même titre que les enfants, « naturellement » cantonnées à la sphère domestique, à la reproduction.

4Cependant, ces rôles parentaux se transforment avec la déqualification de la valeur travail, la place plus grande accordée à un enfant plus rare, arrivant de manière tardive et choisie, le partage de l'autorité parentale, le nombre d'enfants, le milieu social, la qualité de la relation conjugale et le comportement de la mère vis-à-vis du rôle du père, sachant qu'un nourrisson a besoin d'un environnement affectif quel que soit le sexe du parent qui le lui garantit. De plus, le développement des méthodes médicales, chimiques et mécaniques contraceptives remet en cause la hiérarchie sexuelle au sein des couples : l'homme souhaite, la femme dispose. En outre, dès 1960, le taux d'activité féminin ne cesse de croître sans remettre en cause explicitement le modèle traditionnel de partage des tâches mais en permettant des rééquilibrages au sein des couples

5Troisièmement, la mixité scolaire ne semble pas être à l'origine de la progression des filles dans l'enseignement, ni de leur meilleure réussite par rapport à leurs camarades masculins. Cette tendance de fond proviendrait d'une socialisation sexuée différente entre les garçons et les filles permettant de placer celles-ci plus en adéquation avec les attentes du système scolaire et ce, bien que, d'une part, les filles opèrent dans leur orientation scolaire un choix « raisonné et raisonnable » (Marie Duru-Bellat, L'école des filles, 1990) eu égard à leur statut de dominées et que, d'autre part, les enseignants n'évaluent pas égalitairement et inconsciemment les compétences des garçons et celle des filles, selon Pierre Merle (Sociologie de l'évaluation scolaire, 1998). La mixité a simplement permis aux filles d'accéder à des études longues et de revendiquer une égalité de droit entre hommes et femmes.

6Cette mixité scolaire est à mettre en parallèle à la mixité du travail. D'une concentration des femmes dans des métiers faisant appel aux qualités « naturelles » des femmes et représentant un tiers de la population active depuis deux siècles, nous sommes passés à une féminisation des professions intermédiaires et des cadres et professions intellectuelles supérieures, reconnaissant des qualifications plus techniques, mais éloignant toujours les femmes du pouvoir. Le simple fait de faire travailler les hommes et les femmes ensembles ne semblent pas suffire à faire évoluer les rôles sexués. Les écarts salariaux (5 à 6% selon Gisèle Gauthier) et professionnels perdurent (surreprésentation dans les temps partiels et les emplois moins qualifiés), malgré les changements en cours.

7Quatrièmement, l'accès des femmes à la sphère du pouvoir politique n'est que très récent malgré les combats menés depuis Condorcet (Essai sur les femmes, 1789) à la loi sur la parité (2000) en passant par Olympes de Gouges (Déclaration des droits de la femme, 1791), les propositions d'égalisation des droits politiques de la Chambre des députés de la IIIème République (1919, 1922, 1932, 1935). Le pourcentage d'élues aux élections législatives est inchangé entre 1945 et 1993 (6%) et place la France loin derrière la Suède (45%) mais aussi l'Espagne, l'Allemagne, le Sénégal et la Tunisie. A partir de la deuxième moitié des années 90, la progression des femmes en politique devient réelle .Elles représentant 47% des conseillers municipaux et 40% des députés européens sont des femmes. Cependant, il y a toujours peu de femmes maires ou parlementaires, membres des gouvernements (20%), exception faîte du premier gouvernement de L. Jospin en 1997 (40%).

8Cette sous représentation dans la sphère supérieure du pouvoir politique peut se justifier par la double journée des femmes, laquelle laisse peu de place à une implication politique, et par la professionnalisation du personnel politique, laquelle ne peut laisser une place aux femmes qu'avec le départ en retraite des ténors politiques masculins, départ fort tardif en ce domaine. Le pas décisif à franchir est d'arriver à faire accepter l'idée que les hommes sont également, excellemment et de droit, représentés par des femmes élues, selon F. Héritier.

  • 6 Thomas Lancelot-Viannais, « le féminisme au masculin », propos recueillis par Margaret Maruani et C (...)

9A travers cet ouvrage, J. Mejias arrive avec brio à faire ce qu'elle a entrepris : déconstruire des rapports de genre fortement naturalisés. Un ouvrage claire, couvrant un large champ et donnant envie de se plonger ou de se replonger dans un thème central des sciences sociales et de notre quotidienneté : « avec le féminisme se joue l'émancipation des femmes mais aussi des hommes. »6.

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Notes

1 Sex, Gender and Society, Oxford, Martin Robertson, 1972.

2 Women's history in transition : the european case, Feminist Studies, vol.3, 1976, n°3-4, p.83-103.

3 « Gender a useful category of historical analysis », in Le genre de l'histoire, Cahiers du GRIF, n°37-38, 1988, p.125-129.

4 « Héritages sexués : incorporation des habitudes et des croyances », in Thierry Blöss, La Dialectique des rapports hommes-femmes, Presses Universitaires de France, coll. « Sociologie d'aujourd'hui », 2001, p. 9-25.

5 Les uns avec les autres, Armand Colin, 2003.

6 Thomas Lancelot-Viannais, « le féminisme au masculin », propos recueillis par Margaret Maruani et Chantal Rogerat, Harcèlement et violence : les maux du travail, Travail, Genre et Sociétés, n°5, mars 2001.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Christophe Nicoud, « Jane Mejias, Sexe et société. La question du genre en sociologie », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 09 janvier 2006, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/246 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.246

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Rédacteur

Christophe Nicoud

Professeur de Sciences Economiques et Sociales, chef d'établissement Lycée Saint Louis Saint Bruno (Lyon 1er)

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