Navigation – Plan du site

AccueilLireLes comptes rendus2006Littérature, Fiction/réel

Littérature, Fiction/réel

David Vrydaghs
Littérature, Fiction/réel
« Littérature, Fiction/réel », OPuS / Sociologie de l'Art, n° 7, 2005, L'Harmattan.
Haut de page

Notes de la rédaction

Un site à visiter : Sociologie de l'art

Texte intégral

1Cette nouvelle livraison de la revue OPuS (Œuvres, publics, sociétés) prolonge la réflexion entamée dans le numéro précédent, dont le dossier « Littérature, Arts, Sciences » s'interrogeait également sur la possibilité de « connaître avec la littérature, plutôt que de connaître la littérature » (Pierre Macherey). Quand le numéro 6 insistait sur les points de rencontre entre littérature et science (par exemple, la création d'un « roman scientifique »), le numéro 7 met l'accent sur l'acte de lecture comme acte productif et comme moyen de connaissance du monde.

2À ce titre, les quatre articles réunis dans le dossier ne sont pas également intéressants : s'ils sont irréprochables sur le plan de la qualité scientifique et de la clarté, tous ne traitent pas cette question de façon frontale. Ainsi l'article de Fanny Mazzone, consacré à la « Bibliothèque des voix », collection créée par les éditions Des femmes au début des années 1980 pour donner à entendre des textes littéraires de genres et de niveaux de difficulté variés, pose-t-il davantage les questions de la médiation (entre œuvre écrite et œuvre lue) et de la lecture comme recréation artistique d'une œuvre littéraire que celle de la lecture comme mode d'appréhension du réel. On nuancera cependant en rappelant que Fanny Mazzone s'intéresse aussi aux finalités éducatives de cette collection qui, dans l'esprit de sa responsable, Antoinette Fouque, devait donner aux femmes qui n'avaient pas le temps ou les moyens de lire un accès plus aisé aux productions culturelles les plus légitimes. De semblable façon, l'article que Corinne Iehl consacre à la Galerie Bovary, petit musée créé par un artisan à Ry, bourg de Normandie qui, selon certains, aurait servi de modèle à l'Yonville-L'Abbaye de Flaubert, vise surtout à comprendre comment une œuvre littéraire peut donner lieu à une œuvre d'artisan (le musée est constitué pour l'essentiel de saynètes réalistes dans lesquelles des automates rejouent les scènes du célèbre roman). Là encore, il nous faut nuancer, puisque l'auteur s'interroge également sur les pratiques de la lecture « ordinaire » (par opposition à la lecture « savante »), fondées sur la recherche de correspondances entre le fictionnel et le réel.

3Les articles suivants mettent davantage en évidence les façons dont les lecteurs s'approprient le monde du texte pour repenser le monde réel. Celui de Mary Leontsini et de Jean-Marc Leveratto est consacré à une communauté de lecteurs sur internet (critiqueslibres.com). L'observation participante à laquelle se sont livrés les sociologues et dont ils retracent ici les grandes lignes et les enjeux a permis de montrer que ces usagers ont fondé une communauté de communication littéraire - dont ils ont établi les critères, notamment de jugement, en commun - fondée sur le vécu des lecteurs : ce qui importe, à leur yeux, dans l'activité critique, c'est bien d'associer leurs histoires personnelles au jugement produit sur les livres. En somme, cet article montre ce que les goûts littéraires « ordinaires » doivent à la compréhension et l'interprétation du réel. Le dernier article, que l'on doit à Stéphanie Tralongo, aboutit à des conclusions similaires : ayant recueilli les impressions de cinquante lecteurs de Christian Bobin, elle montre combien ces livres leur ont donné des leçons de vie (programmées le plus souvent par le dispositif rhétorique des textes, dispositif que l'auteur met en évidence) et comment les lecteurs se sont ensuite réappropriés celles-ci pour comprendre le monde qui les entoure et les expériences qu'ils vivent.

4En plus du dossier, ce numéro contient également des varias et des notes de lecture. On signalera parmi les varias un article intéressant de Matthew Rampley qui introduit à la sociologie de Niklas Luhmann (1927-1998), peu connue et peu pratiquée en France. Très didactique, Rampley montre comment Luhmann apporte une réponse singulière à l'opposition de l'holisme et de l'individualisme en sociologie. S'il rejette l'idée que la société puisse exister indépendamment des agents qui y vivent comme la thèse selon laquelle la société est le résultat des conduites des agents, Luhmann renonce aussi à produire une théorie de la société. Cela eût été sans doute possible pour les sociétés médiévales et des Lumières, mais, depuis la modernisation, la création de sous-secteurs sociaux autonomes (les champs chez Bourdieu, les systèmes chez Luhmann) a rendu cette tâche irréalisable : chaque système s'autoproduit à partir de ses états antérieurs, et possède donc sa propre histoire et sa logique. En quelque sorte, les différents systèmes d'une société sont incommensurables.

5La seconde particularité de l'approche de Luhmann réside dans sa définition du système. Loin de le faire reposer sur des pratiques sociales spécifiques ou des institutions propres au monde de l'art (comme c'est le cas chez Bourdieu et dans la tradition marxiste), Luhmann ne fonde pas plus son existence sur l'action des agents, mais sur des opérations de communication (qui ne sont jamais directement le fait des agents : elles sont plutôt celui des œuvres d'art, des discours critiques, du journalisme, etc.) Ces différentes opérations de communication contribuent à fixer les frontières du système. Celles-ci ne sont pas rigides pour autant : chaque opération de communication peut avoir un effet sur elles, et contribuer ainsi à modifier l'état du système. Si la théorie de Luhmann propose peu d'études de cas et d'exemples précis - on peut le regretter -, les questions qu'elle pose à la sociologie française de l'art méritent réflexion. Ce n'est pas le moindre des mérites de Matthew Rampley d'obliger ses lecteurs à se les poser.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

David Vrydaghs, « Littérature, Fiction/réel », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 27 mars 2006, consulté le 19 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/277 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.277

Haut de page

Rédacteur

David Vrydaghs

David Vrydaghs est chargé de recherches au F.N.R.S (Université de Liège).

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search