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Lorraine Data, Le grand truquage. Comment le gouvernement manipule les statistiques

Guillaume Rollet
Le grand truquage
Lorraine Data, Le grand truquage. Comment le gouvernement manipule les statistiques, La Découverte, coll. « cahiers libres », 2009, 180 p., EAN : 9782707157935.
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Texte intégral

  • 1 Pour des raisons liées à l'obligation de réserve de certains fonctionnaires, notamment ceux travail (...)

1Depuis l'apparition des statistiques officielles, celles-ci ont joué un rôle au sein de la gestion des affaires publiques. Cependant, on constate, depuis le début des années 2000, un usage de plus en plus biaisé de ces statistiques par les dirigeants politiques, qui se livrent de plus en plus à un « bricolage statistique ». C'est à partir de ce constat qu'un collectif de statisticiens et de chercheurs 1 ont éprouvé la nécessité de mettre à la disposition des citoyens l'ampleur de ces manipulations. On retrouve ici la marque des éditions La Découverte qui permettent à des spécialistes de prendre position dans le débat public et de jouer leur rôle en rendant accessible au plus grand nombre des débats particulièrement techniques.

2Le collectif s'est constitué progressivement en réaction aux entraves de plus en plus fréquentes à l'indépendance de la statistique publique de la part des plus hauts responsables de l'État. On peut ainsi noter quatre principales techniques permettant de manipuler les statistiques. La première et sans doute la plus efficace vu la masse d'informations disponibles sur certains sujets est de ne retenir que ce qui arrange les décideurs. La seconde méthode, qui reste relativement proche, consiste à utiliser un indicateur « écran » qui donne l'illusion d'appréhender le problème dans sa globalité, alors qu'il contient des biais évidents pour le spécialiste. C'est le cas par exemple de l'usage de l'indice des prix moyens pour mesurer les évolutions du pouvoir d'achat des français, alors que cet indice masque les effets inégalitaires de l'inflation (la hausse des prix est plus forte sur les biens de première nécessité). Un autre moyen de tirer profit des statistiques consiste à changer l'outil de mesure, pour des raisons qui peuvent être parfaitement recevables, mais en gardant les mêmes chiffres de référence. Dès lors, comme l'on ne mesure pas exactement la même chose, il est facile d'avoir des chiffres en hausse ou en baisse selon son désir. Enfin, les dirigeants font parfois dire aux chiffres ce qu'ils ne disent pas ; on entre alors dans des formes plus ouvertes de manipulation comme cela peut être le cas avec les chiffres de la délinquance.

3L'ouvrage se compose de sept chapitres qui reviennent chacun sur un domaine statistique où l'on a pu constater d'importantes manipulations ces dernières années. Le premier chapitre est consacré à l'analyse de la politique mise en œuvre par Nicolas Sarkozy à partir de son slogan « Je serais le président du pouvoir d'achat ». Deux éléments sont dénoncés : la focalisation dans le débat public sur l'indice moyen des prix qui masque de nombreux problèmes d'inégalités sociales et la polémique lancée par Nicolas Sarkozy sur le crédit que l'on pouvait accorder aux chiffres de l'Insee. Le second chapitre, sans doute le plus complet et plus intéressant, revient sur les manipulations des chiffres du chômage sous le gouvernement de Dominique De Villepin dans un contexte de concurrence au sein du gouvernement pour savoir qui sera candidat à l'élection présidentielle. Le chapitre suivant revient sur le discours politique qui a présenté de manière positive les effets de la loi TEPA notamment en matière d'heures supplémentaires. Le quatrième chapitre aborde l'expérience particulière du Haut commissariat aux solidarités actives et montre comment la double nouveauté d'avoir fixé des objectifs chiffrés en matière de lutte contre la pauvreté et d'avoir cherché à évaluer le dispositif avant sa généralisation n'ont été suivi que par des trucages statistiques n'ayant pour seul but que de masquer le fait que rien n'avait changé.

4Les trois derniers chapitres sortent de la sphère économique et abordent de manière plus large trois grands domaines où les problèmes statistiques sont nombreux. Il s'agit tout d'abord de l'éducation, où le discours extrêmement chiffré de Xavier Darcos est passé au crible des données, puis le collectif aborde le problème des chiffres de l'immigration. Ce chapitre est très confus et se justifie davantage par le parti pris militant du collectif, que par un véritable souci de déconstruire l'usage des statistiques de l'immigration par le gouvernement. Enfin, le dernier chapitre aborde la question classique du problème des chiffres de la délinquance, en particulier sur la période 2002-2007.

5L'intérêt principal de cette critique réside essentiellement dans les chapitres traitant des statistiques économiques dans la mesure où y est développée une description fine de la manipulation de ces statistiques, ainsi que du contrôle exercé sur l'appareil statistique public. On peut aussi noter l'effort de pédagogie des auteurs qui parviennent à rendre aisément compréhensibles des problèmes qui peuvent apparaître complexes notamment lorsque le lecteur ne possède pas une importante culture statistique.

6Néanmoins, Le grand truquage n'est pas exempt de défauts. Le principal est l'absence d'une annexe riche qui permettrait de détailler les différents calculs. En effet, si le texte parvient à éviter les lourdeurs propres à ce genre de questions, ce qui fait sa force, il en résulte une argumentation basée sur des chiffres non expliqués. Cela pose deux problèmes. Tout d'abord, il ne convaincra sans doute que les personnes convaincues car, en l'absence d'explications précises des différents chiffres, le lecteur est obligé de croire en la bonne foi des auteurs. Mais surtout cela tend à renforcer le discrédit jeté sur les statistiques en ne précisant pas clairement la distinction entre l'usage des chiffres en sciences sociales et dans la communication politique. En effet, lorsque le gouvernement décide de changer d'indicateur, le nouvel indicateur peut avoir autant voire davantage de pertinence du point de vue scientifique que l'ancien. Or, le problème n'est pas dans la pertinence de l'indicateur mais dans l'utilisation de celui-ci en faisant croire aux citoyens que l'on continue de mesurer exactement la même chose. Par ailleurs, il est dommage que les auteurs n'abordent pas plus généralement la question des statistiques, notamment dans le débat public, en particulier autour du récent débat sur les statistiques ethniques.

7Au final, le lecteur-citoyen assidu n'aura pas forcément de nombreux éléments nouveaux (en particulier sur les chiffres de la délinquance dont la critique est vulgarisée depuis plusieurs années). Néanmoins, la mise en perspective et la reprise chronologique des événements est intéressante. De plus, enseignants et étudiants pourront y tirer de nombreux exemples des usages et mésusages des chiffres que se soit en politique ou en sciences sociales.

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Notes

1 Pour des raisons liées à l'obligation de réserve de certains fonctionnaires, notamment ceux travaillant au sein des ministères, le collectif a choisi un pseudonyme (Lorraine Data) pour assurer son anonymat.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Guillaume Rollet, « Lorraine Data, Le grand truquage. Comment le gouvernement manipule les statistiques », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 11 décembre 2009, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/862 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.862

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Rédacteur

Guillaume Rollet

Elève de l'Ecole Normale Supérieure de Cachan

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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