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Tristan Poullaouec, Le diplôme, arme des faibles. Les familles ouvrières et l'école

Christophe Delay
Le diplôme, arme des faibles
Tristan Poullaouec, Le diplôme, arme des faibles. Les familles ouvrières et l'école, La Dispute, coll. « L'enjeu scolaire », 2010, 147 p., EAN : 9782843031922.
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Texte intégral

  • 1 Terrail, J-P. (2002) De l'inégalité scolaire. Paris, La dispute

1Dans la lignée des travaux de Terrail1, Tristan Poullaouec s'interroge dans cet ouvrage à la fois : sur la manière dont les familles ouvrières ont vécu en France depuis les années 1960 l'ouverture des possibles scolaires liés à la démocratisation scolaire et ont tenté de s'en approprier l'enjeu ; et à la fois sur les effets des diplômes obtenus sur les destinées professionnelles des jeunes générations. Ses investigations reposent essentiellement sur la collecte, l'élaboration et l'analyse de données quantitatives issues de grandes enquêtes de la statistique publique - INSEE, INED, Céreq etc.- ainsi que sur une vaste revue de la littérature d'études monographiques portant sur divers aspects du monde ouvrier et ses transformations historiques (Hoggart, Willis, Wylie, Schwartz, Chombart de Lauwe etc.).

2L'ouvrage permet de revisiter et de donner des éléments de réponses à quelques questions qui font débat aujourd'hui en France :

31) la politique visant l'accès de 80% d'une classe d'âge au niveau du bac n'a-t-elle pas suscité artificiellement des illusions chez beaucoup d'enfants d'ouvriers ?

42) Les atouts familiaux favorables à la réussite scolaire relèvent-ils d'abord d'une forme d'héritage culturel ou plutôt de la richesse matérielle ?

53) Face à la dévalorisation des titres scolaires, au chômage des diplômés et aux déclassements à l'embauche ne faudrait-il pas privilégier des études courtes pour les enfants d'ouvriers ?

  • 2 Bourdieu, P. et Passeron, J-C. (1985) [1964] Les héritiers. Les étudiants et la culture. Paris, Min (...)

6Adoptant une perspective historique large, l'auteur montre tout d'abord la véritable révolution culturelle qu'a constitué la reconversion des ouvriers au modèle des études longues : en 2003, une majorité des ménages d'enfants ouvriers scolarisés dans le secondaire souhaitent que leurs enfants obtiennent le bac alors que ce taux était en 1962 d'une faible minorité. Le baccalauréat est ainsi devenu aujourd'hui l'ambition minimale des parents - mais aussi des enfants - y compris parmi les ouvriers qui ne s'auto-excluent plus désormais de l'école. Par ailleurs, les parcours scolaires effectifs des élèves populaires connaissent aussi une évolution réelle : en une trentaine d'années, la part des enfants d'ouvriers qui décrochent un bac général a doublé, passant de 11 % parmi les élèves sortant de CM2 en 1962 à 23% chez ceux qui entrent en sixième en 1989. On ne peut dès lors plus parler de « miraculés scolaires » comme le faisaient encore Bourdieu et Passeron 2 dans les années 1960 à propos des élèves ouvriers qui accèdent aux études supérieures car cet accès est « en passe de se banaliser » (p.52). Cet élargissement de l'accès à la voie générale s'explique, selon l'auteur, par les effets d'encouragement à la poursuite des études donnés par la politique scolaire au milieu des années 1980 mais aussi par la crise des emplois ouvriers ou encore par la désormais forte préoccupation scolaire des familles. Finalement, conséquence de l'allongement des études des enfants d'ouvriers, les chances d'accéder à des postes de cadres pour les jeunes de milieux populaires âgés de 30 ans ont légèrement augmenté depuis les années 1970, passant de 19 à 26% en 2000. Ces constats invitent l'auteur à un certain nombre de commentaires.

  • 3 Beaud, S. et Pialoux, M. (1999) Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux usines de Sochaux-Mon (...)
  • 4 Schwartz, O. (1990) Le monde privé des ouvriers. Hommes et femmes du nord. PUF.

7Tout d'abord à une critique de la thèse développée par Beaud et Pialoux 3 d'une rupture entre les générations ouvrières qui serait apparue dans un contexte de chômage et d'absence de perspectives d'avenir professionnel à l'usine dans les années 1990, ce qui aurait convaincu les familles ouvrières d'orienter leurs enfants vers des études longues et indéterminées plutôt que de les inciter à devenir ouvriers. Poullaouec ne nie pas que les rêves d'ascension sociale des parents ouvriers se soient accrus à cause de leur crainte du chômage, mais ces rêves s'inscrivent dans un état antérieur de la structure sociale et apparaissent dans les années 1950 déjà: ils se développent dans un contexte d'expansion économique et d'élévation des niveaux de vie qui rendent désormais une « déprolétarisation possible » (Schwartz) 4. De plus, cette norme de prolongement indéfini des études ne s'impose pas forcément de l'extérieur aux familles, elle est d'abord portée par l'expérience biographique des parents qui regrettent d'autant plus l'arrêt précoce des études de leur enfant qu'eux-mêmes ont le sentiment d'avoir interrompu trop tôt les leurs. Il semblerait dès lors que les parents reportent leurs aspirations déçues sur leurs enfants et qu'on ne puisse pas réduire ces relations - comme le font Beaud et Pialoux - à une distance entre générations devenues complètement étrangères l'une à l'autre.

  • 5 Mauger, G. (1998) « La reproduction des milieux populaires en crise » Ville Ecole Intégration, n° 1 (...)
  • 6 Delay, C. (2009) « Le rapport des classes populaires à l'école : de l'obligation scolaire à l'appro (...)

8Ensuite à une critique de la théorie bourdieusienne (reprise par Mauger 5 notamment) qui voit dans la fuite en avant des enfants d'ouvriers vers les études longues une forme « d' onirisme social », des « illusions promotionnelles » qui relèveraient d'une « perte de sens des limites » marquée par un « désajustement entre leurs espérances subjectives et leurs chances objectives de réussite scolaire et de promotion scolaire ». Car les cas de réussites accrues au bac général pour les élèves des classes populaires indiquent que les stratégies et préoccupations ouvrières parentales sont aujourd'hui bien « réalistes » et pas « illusoires ». Bien que ce dernier argument soit convaincant, il faut néanmoins rappeler qu'aujourd'hui encore les parcours scolaires des élèves restent très inégalitaires en fonction de leur origine sociale : les risques de connaître l'échec à l'école obligatoire et d'entrer dans des filières professionnelles touchent toujours beaucoup plus les élèves des classes populaires par rapport à ceux des classes moyennes et supérieures. De même, les processus de reproduction sociale à l'école sont des phénomènes toujours très persistants. Ainsi donc, les risque de connaître des désillusions et de revoir à la baisse les ambitions scolaires, « d'en rabattre » (Mauger) sont toujours d'actualité en milieu populaire - bien que moins fréquents - comme le montre une récente étude de Delay 6. Les phénomènes d'ajustement par le bas des aspirations scolaires aux chances effectives de les réaliser continuent à toucher tout particulièrement les familles ouvrières.

  • 7 Goux, D. et Maurin E. (2000) « La persistance du lien entre pauvreté et échec scolaire » in INSEE, (...)

9Autre résultat important qui va dans le sens de la révolution culturelle : l'auteur montre l'essor des mobilisations scolaires des parents ouvriers auquel on assiste au fil des générations : les parents vérifient de plus en plus le travail scolaire de leurs enfants. Mais cette mobilisation reste malgré tout différente à celle existante dans d'autres milieux sociaux : les enfants d'ouvriers reçoivent - plus souvent qu'au sein des classes moyennes et supérieures - un soutien supplémentaire d'un autre membre de la famille en plus de celui des parents, souvent des grandes sœurs. Tentant ensuite de répondre au débat concernant les inégalités scolaires qui seraient, selon certains chercheurs tels que Goux et Maurin 7 imputées en majeure partie aux inégalités de revenu parental, l'auteur montre que les conditions d'existence (revenu, nombre de pièces par logement, nombre d'enfant par famille) n'ont qu'un effet marginal sur les performances scolaires de l'enfant et confirme, suite aux travaux de Bourdieu et Passeron, que ce sont bien les diplômes des parents qui exercent l'influence la plus forte sur la réussite scolaire des enfants : « la transmission de l'héritage culturel continue donc d'être l'une des principales clefs d'interprétation des inégalités scolaires » (p.93-94).

  • 8 Baudelot, C. et Establet R. (2000) Avoir trente ans en 1968 et en 1998. Paris, Seuil

10Dernier résultat : se positionnant contre les travaux de Baudelot et Establet 8 qui estiment que les diplômes CAP ou BEP industriels valent mieux pur les enfants d'ouvriers en termes de salaire et d'emploi que des formations générales inachevées, Poullaouec défend l'idée que l'accès à des diplômes élevés reste la meilleure protection contre le chômage et la précarité (d'où le titre de son ouvrage : le diplôme, arme des faibles). Il montre que les écarts de taux de chômage entre les moins diplômés et les plus diplômés se sont considérablement accrus depuis 1975. Plus que jamais donc, le diplôme reste d'autant plus protecteur face au chômage qu'il est plus élevé. Il est d'autant plus essentiel aux élèves de condition modeste que ces derniers ne disposent le plus souvent pas - comme ceux des classes moyennes et supérieures - de carnets d'adresses ni de la richesse de leurs parents pour s'insérer sur le marché du travail.

11L'auteur réfute encore la thèse de l'inflation scolaire : une dévalorisation en cascade de diplômes délivrés en trop grand nombre que ne permettrait pas d'absorber le nombre de places disponibles sur le marché. S'il y a bien sûr une proportion non négligeable d'enfants d'ouvriers (23%) qui occupent en 2003 et à 30 ans une position d'employé après avoir décroché un diplôme universitaire (égal au moins à la licence) - proportion inexistante en 1970 puisque ces diplômés occupaient tous une position de cadre supérieur alors - ceci n'est pas lié à l'abondance des diplômes (et donc à une logique scolaire de dévaluation) mais d'abord à la persistance du chômage de masse, à la dégradation du rapport de force des salariés face aux employeurs et aux conditions d'emploi faites aux jeunes. Finalement la thèse de l'inflation scolaire néglige aussi le fait que le déclassement actuel des bacheliers du général est en grande partie temporaire et limité aux débuts de carrière ; avec le temps, les bacheliers finissent en majorité par atteindre des positions d'encadrement.

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Notes

1 Terrail, J-P. (2002) De l'inégalité scolaire. Paris, La dispute

2 Bourdieu, P. et Passeron, J-C. (1985) [1964] Les héritiers. Les étudiants et la culture. Paris, Minuit.

3 Beaud, S. et Pialoux, M. (1999) Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux usines de Sochaux-Montbéliard, Paris, Fayard

4 Schwartz, O. (1990) Le monde privé des ouvriers. Hommes et femmes du nord. PUF.

5 Mauger, G. (1998) « La reproduction des milieux populaires en crise » Ville Ecole Intégration, n° 113.

6 Delay, C. (2009) « Le rapport des classes populaires à l'école : de l'obligation scolaire à l'appropriation partielle des enjeux scolaires » in F. Schultheis, A. Frauenfelder, C. Delay, N. Pigot et alii Les classes populaires aujourd'hui. Portraits de familles, cadres sociologiques. Paris, Harmattan, pp. 385-434

7 Goux, D. et Maurin E. (2000) « La persistance du lien entre pauvreté et échec scolaire » in INSEE, France. Portrait social 2000-2001, Paris

8 Baudelot, C. et Establet R. (2000) Avoir trente ans en 1968 et en 1998. Paris, Seuil

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Pour citer cet article

Référence électronique

Christophe Delay, « Tristan Poullaouec, Le diplôme, arme des faibles. Les familles ouvrières et l'école », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 08 juillet 2010, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/1069 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.1069

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Rédacteur

Christophe Delay

Boursier Fonds National Suisse, chercheur invité au Groupe de Recherche sur la Socialisation, ENS-LSH Université de Lyon

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