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Jean-Louis Tornatore, L'invention de la Lorraine industrielle. Quêtes de reconnaissance, politiques de la mémoire

Alexis Zimmer
L'invention de la Lorraine industrielle
Jean-Louis Tornatore (dir.), L'invention de la Lorraine industrielle. Quêtes de reconnaissance, politiques de la mémoire, Riveneuve, coll. « Actes académiques », 2010, 244 p., EAN : 9782360130207.
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Texte intégral

1L'invention de la Lorraine industrielle est la publication collective, «substantiellement transformée», des interventions données à l'occasion d'une journée d'étude organisée le 30 juin 2006, à l'université Paul Verlaine, à Metz et dont l'intitulé était : «politique de la mémoire et de la reconnaissance, et sciences sociales : le cas de la “Lorraine Industrielles”. De fait et à l'exception des contributions de Magali Demanget et de Béatrice Fleury, l'intégralité des contributeurs exercent leurs activités d'enseignement et de recherche à cette même université. Ceci semble s'expliquer par le «double projet» à l'origine de cette journée : d'abord réunir et confronter des analyses élaborées par quatre disciplines différentes (sociologie, anthropologie, histoire et sciences de l'information et de la communication) à l'égard d'un même “objet” ; ensuite, prendre la mesure de la contribution de ses disciplines à la construction de cet “objet”, lequel n'est rien d'autre que celui de la «patrimonialisation de la Lorraine industrielle».

2L'ouvrage se découpe en trois parties, introduites par une contribution (très) importante (près de 60 pages) du socio-anthropologue Jean-Louis Tornatore, initiateur de cette journée d'étude et directeur de la publication. Cette introduction tente notamment de faire le point sur la complexité des questions qui sont ici en jeu et dont l'ambivalence pourrait être le maitre mot. Car dans la construction («invention» nous dit même le titre de l'ouvrage) de mémoires, dans la patrimonialisation d'une histoire et de ces objets, il y va autant d'une neutralisation des forces souvent vives et encore violentes qui la façonnèrent, d'une normalisation des rapports entretenus avec celles-ci, d'une quête légitime et salutaire de reconnaissances, que de la possibilité de façonnement et d'appropriation collective et plurielle de “ce” passé, permettant de lui conférer une consistance et des teintes qui jusqu'alors peut-être lui étaient déniées. C'est sous ces ambivalences multiples et dont il est bien difficile ici de retranscrire les nuances que l'on peut lire alors les contributions qui suivent.

3Dans une première partie intitulée «Représentations historiennes», Laurent Commaille interroge et déconstruit par le menu l'entité «Lorraine industrielle», en interrogeant successivement l'importance et la pertinence des termes de l'expression qui rallie aujourd'hui les acteurs de cette patrimonialisation, en indiquant notamment la problématique consistance historique de celle-ci. Luc Delmas quant à lui recense les travaux historiens relatifs à l'histoire ouvrière de la région en y déplorant le peu d'intérêt des institutions universitaires à son égard et le rôle majeur de travaux effectués à l'extérieur de celles-ci.

4La seconde partie, intitulée «Reconnaissances au pays de l'Homme de fer», seule partie véritablement “multi-disciplinaire” accueille quant à elle, les contributions de toutes les disciplines invoquées plus haut. C'est ainsi que les textes de Jean-Marc Leveratto et Fabrice Montebello d'une part et de Béatrice Fleury et Jacques Walter d'autre part interrogent la manière dont le cinéma a participé d'une mise en avant et de constructions de traits propres à la population, essentiellement issue de l'immigration, et à son histoire (soit pour l'un «une construction domestique de l'ethnicité», pour l'autre une construction de la mémoire et du patrimoine via une culturalisation et une ethnicisation des identités). Ces constructions sont ambivalentes au sens où elles participent d'une neutralisation des violences politiques et sociales liées à cette histoire, en même temps qu'elles font voir et vivre des aspects souvent négligés et irréductibles à la figure de “l'Homme de fer”. Enfin, Jean-Louis Tornatore explore «l'espace de la mémoire» de cette “Lorraine industrielle”, espace dans lequel se jouent autant de gestes visant à inscrire ou à biffer de manières diverses la mémoire de l'histoire industrielle de la région, autant de gestes de compensation et/ou de reconnaissance participant de cette patrimonialisation de l'industrie et dont l'auteur dresse les particularités. La troisième partie au titre plus laconique de «Réparations» se penche davantage et de manière plus directe sur la mémoire de certaines «minorités» et sur les processus d'invisibilisation dont elles sont les héritières. La contribution de Ahmed Boubecker et de Piero Galloro procède ainsi à l'analyse de l'émergence progressive, dans cette histoire, des figures de l'immigration, en prenant soin de problématiser les liens ambiguës entre histoire(s) et mémoire(s) et leurs usages, appropriation et récupération dont elles peuvent faire l'objet. Enfin, Magali Demanget et Virginie Vinel interrogent la mémoire des femmes et la manière dont cette mémoire particulière surgit et se fabrique à l'intersection de commandes institutionnelles, des regards et des pratiques des sciences sociales et de la parole de ces femmes.

5C'est donc selon des approches différentes et en mobilisant des objets eux-aussi variés que cette ouvrage collectif tente d'éclairer ces phénomènes relativement récents de patrimonialisation de l'industrie et d'attention accrue à l'égard la mémoire ouvrière, phénomènes contemporains et engoncés dans la continuité de la déshérence économique qui frappe la région Lorraine.

6Sans reprendre alors les critiques déjà élaborées dans les deux textes introductifs (celui de JL Tornatore déjà cité et celui de Jean-Yves Trépos, qui est le compte-rendu «à chaud» de la journée d'étude), de façon très succincte et de la part d'un non-spécialiste de ces questions, deux critiques seront émises. La première concerne l'absence complète de référence aux pollutions diverses et aux transformations radicales des paysages et des environnements que connut la région conséquemment à son industrialisation. C'est tout un chapelet de problèmes qui se noue ici à l'intersection des préoccupations environnementales, de santé publique et de « mémoire », et que les aménagements nécessaires à la patrimonialisation ne manquent certainement pas de susciter, qui est ici négligé. La seconde concerne l'adresse de l'ouvrage et son exigence à croiser les approches disciplinaires. Le lecteur pourra peut-être, comme l'auteur de ce compte-rendu, être quelque peu noyé sous les références académiques et le trop plein d'implicites qu'elles charrient qui, si elles semblent permettre de relativement bien baliser le champ de questions déployées, semblent en même temps enfermer la lecture dans des cadres trop restrictifs et par là-même empêcher de véritables confrontations disciplinaires.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Alexis Zimmer, « Jean-Louis Tornatore, L'invention de la Lorraine industrielle. Quêtes de reconnaissance, politiques de la mémoire », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 06 janvier 2011, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/1222 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.1222

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