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Daniel Mercure, Mircea Vultur, La signification du travail. Nouveau modèle productif et ethos du travail au Québec

François Granier
La signification du travail
Daniel Mercure, Mircea Vultur, La signification du travail. Nouveau modèle productif et ethos du travail au Québec, Laval, Presses de l'université Laval, 2010, EAN : 9782763790916.
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Texte intégral

1Depuis plus d'une génération, l'Europe et l'Amérique du Nord partagent le même nouveau modèle productif. Qualifié de « postfordiste », il confère au marché un rôle central au détriment des fonctions régulatrices des politiques publiques. Ce modèle s'appuie sur l'éloge d'un nouvel individu qui place la réalisation de soi comme finalité existentielle. Ce primat irrigue les outils de gestion des entreprises. Il conduit leurs responsables, sans qu'ils aient clairement conscience du paradoxe énoncé, à valoriser les performances individuelles tout en invitant les collectifs de travail à coopérer. Dans ce contexte profondément renouvelé, les relations que les salariés entretiennent avec le travail se trouvent-elles modifiées ?

2Daniel Mercure, Professeur de sociologie à l'Université de Laval et Mircea Vultur, Professeur en socio économie du travail auprès de l'INRS de Québec, ont entrepris d'analyser l'éthos du travail d'adultes québécois. Par éthos du travail, les auteurs ne désignent pas une quelconque éthique distinguant le bien du mal. S'inscrivant dans la tradition wébérienne, ils considèrent que l'éthos désigne « les valeurs, attitudes et croyances à partir desquelles un individu dans un contexte socioéconomique particulier définit, façonne ou tente de façonner sa manière de vivre selon ce qu'il juge bon et désirable pour lui ». Etudier l'ethos : « ... c'est aussi repérer des attitudes, [...] ensemble de dispositions généralement durables, attitudes surtout cognitives mais aussi affectives qui témoignent de l'adhésion à des énoncés dont la vérité ne peut pas toujours être démontrée, c'est à dire des croyances ». Après une large revue de littérature consacrée aux facteurs de motivation au travail, ils exposent les dispositifs mis en œuvre pour recueillir leurs matériaux. Ils ont administré par téléphone mille questionnaires à un échantillon représentatif d'adultes québécois puis ont conduit cinquante-huit entretiens semi-directifs.

3En première analyse, ils font émerger une opposition entre des finalités axées sur « l'avoir » pour lesquelles les dimensions économiques et instrumentales du travail sont dominantes, et celles centrées sur « l'être », ou finalités d'ordre expérientiel. Celles-ci sont à entendre non comme fondées sur l'expérience mais « comme étant par essence expérience ». Ces finalités expérientielles se scindent en deux sous-ensembles : des finalités à dominantes personnelles : « Le travail me permet de me réaliser comme personne » et des finalités à dominantes plus collectives : « Le travail me permet d'être utile socialement, d'avoir des liens intéressants, d'acquérir de la reconnaissance ». Le travail est ici appréhendé comme un lieu de liens.

4En analysant les aspirations formulées par les adultes questionnés, les auteurs ont en outre le projet de mettre en évidence les composantes d'idéaux du travail tels qu'ils s'expriment notamment lors d'une recherche d'emploi, c'est-à-dire, non d'une manière « innéiste », mais avec une claire prise en compte des contraintes et exigences propres à la vie au travail et à celle hors du travail. Les auteurs prêtent en outre une attention particulière aux attitudes des salariés à l'égard des normes managériales contemporaines. Dans les questionnaires, ils ont privilégié trois interrogations.

5Les salariés :

6• valorisent-ils le travail au-delà de son strict contenu, c'est à dire quel est le degré d'engagement moral du salarié à réaliser l'objectif fixé ?

7• adhérent-ils à trois indicateurs majeurs de flexibilité : acceptation de la polyvalence, assentiment d'un lien entre salaire et rendements obtenus et enfin accord pour que le volume de la main d'œuvre s'adapte aux exigences du marché ?

8• sont-ils disposés à s'investir personnellement au-delà du temps de travail prévu sans rémunération supplémentaire mais aussi se considèrent-ils comme responsables de l'actualisation de ses compétences ?

9L'identification d'idéaux types est conduite principalement autour de deux dimensions. La première, que les auteurs nomment « centralité absolue », est mesurée par la question : « Quelle place accordez-vous au travail ? » ; question à laquelle les adultes sont invités à répondre avec une échelle allant de « la plus importante » à « pas du tout importante. ». La seconde, dénommée « centralité relative », vise à identifier le rang du travail par rapport aux autres sphères de la vie : vie de couple et de famille, loisirs et amis, engagements sociaux et communautaires. Combinés avec l'orientation économique ou expérientielle du travail, ces dimensions conduisent à l'identification de six formes générales d'orientation au travail (FGOT) qui sont longuement analysées dans la seconde partie de l'ouvrage (p. 89 à 180).

10En résumé, à l'ethos de l'autarcie qui caractérise la FGOT à dominante économique centrée sur le travail, répond un ethos de la professionnalité propre à la FGOT à dominante expérientielle centrée sur le travail. Si un ethos utilitariste caractérise la FGOT à dominante économique, c'est un ethos égotéliste qui est associé à la FGOT à dominante expérientielle équilibrée. Les ethos des deux dernières formes générales d'orientation du travail s'opposent. Si celui de la FGOT à dominante économique centrée sur la vie à l'extérieur du travail renvoie à la résignation, celui à dominante expérientielle centrée sur la vie à l'extérieur du travail s'avère être celui de l'harmonie. Dans l'ultime partie de leur ouvrage, les auteurs questionnent les différents ethos mis en lumière avec le modèle productif postfordiste.

11Selon eux, les ethos de la professionnalité et de l'égotélisme s'avèrent plutôt en phase avec les normes managériales. Cependant ils notent que les salariés qui s'y reconnaissent disposent de ressources qui les rendent capables de mieux négocier les exigences de flexibilité imposées par les dirigeants d'entreprises. A l'inverse, des salariés au capital social plus modeste optent pour l'ethos d'autarcie et d'utilitarisme. Héritiers du monde fordiste, ils aspirent à la sécurité de l'emploi et résistent autant que possible à l'individualisation des normes gestionnaires. Enfin, les ethos de la résignation et celui de l'harmonie à la recherche de la plus grande expressivité dans la vie observent avec circonspection les dispositifs mis en place dans le modèle productif dominant. Peu enclins à un investissement personnel au travail et a fortiori à la prise en charge de leur employabilité, ils s'inscrivent à la marge des tendances contemporaines de gestion des ressources humaines.

12En conclusion, D. Mercure et M. Vultur nous livrent trois tendances générales quant à la place du travail dans la société québécoise du début du vingt et unième siècle. D'abord, et contrairement à nombre de travaux antérieurs, ils constatent que le travail n'est pas une « valeur en déperdition » (p. 246) : 75% des adultes lui reconnaissent une place au moins importante. Ensuite, et contrairement à ce que laissaient entrevoir des études conduites dans les années 1980 - 1985, l'essor de culture d'entreprise n'a pas généré de nouvelles formes identitaires au travail. La multiplication des fusions-acquisitions a brouillé les repères et la grande majorité des salariés optent résolument pour une conception polycentrée de l'existence.

13Enfin, les auteurs constatent que l'ethos de devoir au travail ne subsiste que marginalement. Il est massivement remplacé par des valeurs et attitudes axées sur la réalisation de soi. Aussi la majorité des salariés sont-ils en quête d'un équilibre entre vie au travail et vie privée. Dès lors, le sujet à la recherche de l'autoréalisation de soi sera particulièrement exigeant quant au sens des activités et missions qui lui sont confiées. Ces aspirations, largement partagées par des salariés jeunes et diplômés, constituent assurément un enjeu majeur pour le modèle postfordiste et un défi pour les managers.

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Pour citer cet article

Référence électronique

François Granier, « Daniel Mercure, Mircea Vultur, La signification du travail. Nouveau modèle productif et ethos du travail au Québec », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 30 décembre 2010, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/1226 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.1226

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