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Marie-Hélène Bacqué, Yves Sintomer, La démocratie participative. Histoires et généalogies

Corinne Delmas
La démocratie participative
Marie-Hélène Bacqué, Yves Sintomer (dir.), La démocratie participative. Histoires et généalogies, La Découverte, coll. « Recherches », 2011, 320 p., EAN : 9782707157201.
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Texte intégral

  • 1 Issu du programme de recherche partenarial « Partenariat Institutions – Citoyens pour la Recherche (...)
  • 2 Plusieurs auteurs en théorisent alors le principe : C. Pateman, Participation and Democratic Theory(...)
  • 3 S’inscrivant dans le sillage des textes de J. Habermas et de John Rawls, elle renvoie pour sa part (...)
  • 4 Parmi les effets pervers rappelés par l’auteur figurent l’ « effacement du citoyen bénévole » et l’ (...)

1Cet ouvrage collectif prolonge un important programme de recherche et éditorial sur la démocratie participative1 en orientant le regard sur « l’histoire et la généalogie » de la notion. Il propose ainsi d’aborder la contribution citoyenne « sur la longue durée » et par une mise en miroir des dispositifs expérimentés en France et aux Etats-Unis. Constitué de trois parties, le livre regroupe une quinzaine de chapitres émanant de sociologues, historiens, politistes, urbanistes, d’une économiste et d’une anthropologue. La première éclaire l’histoire de catégories devenues usuelles, tant pour les acteurs que pour les observateurs. Les six contributions rassemblées ici soulignent les évolutions de ces notions et de leurs usages sociaux liées notamment à leur circulation, la porosité entre différents mondes, en particulier les multiples passages et emprunts entre les acteurs et des chercheurs s’impliquant souvent à titre d’experts ou d’intellectuels dans l’action publique. Catherine Neveu, explorant les usages des catégories de citoyens et d’habitants, à rebours d’une vision dépolitisante de cette dernière notion opposée à celle de « citoyen », propose de la saisir « en tant que processus de re-polisation » (p. 46) en prenant en compte sa polysémie sémantique, le terme d’« habitants » ayant « désigné des publics différents au cours des quatre dernières décennies : peuple ou classe ouvrière ; forces vives organisées ; exclus ; individus dotés de compétences spécifiques. » (p. 41). Rémi Lefebvre et Hélène Hatzfeld éclairent pour leur part les sens conférés au concept d’autogestion, dans les années 1970. Cette dernière s’intéresse au passage de cette catégorie à celle de démocratie participative et montre combien ces deux notions relèvent de traditions politiques différentes. Rémi Lefebvre souligne pour sa part les enjeux de l’autogestion pour un Parti socialiste alors à la conquête du pouvoir municipal, d’où une forte articulation de cette notion avec celle de local. Les victoires socialistes, aux élections municipales de 1977, puis nationales en 1981, contribuent toutefois à la dépolitisation de la campagne municipale de 1983 et à l’effacement de la thématique participative de l’offre électorale socialiste. Le chapitre suivant, de Carole Biewener et Marie-Hélène Bacqué, interroge la circulation de la notion d’« empowerment » du militantisme radical féministe aux ONG et aux institutions internationales, du Sud au Nord, et les glissements de sens corrélatifs d’une notion qui, à l’origine subversive, est finalement mise au service de politiques néo-libérales. Pour leur part, Samuel Hayat et Yves Sintomer, confrontant les catégories de démocraties participative, apparue dans le monde anglo-saxon dans les années 19602, et de démocratie délibérative, qui tend à la supplanter dans la philosophie anglo-saxonne à partir des années 19803, montrent qu’elles ne sont pas portées par les mêmes acteurs et qu’elles s’inscrivent dans des logiques politiques et des temporalités contrastées. Samuel Hayat insiste sur le potentiel émancipateur et radical de la démocratie participative, et formule l’hypothèse d’une contradiction forte avec l’impératif délibératif, qui l’aurait dénaturée. La critique féministe aurait toutefois ouvert la voie à une réactivation de ce potentiel émancipateur en mettant en évidence l’impasse représentée par l’idéal d’impartialité de la délibération rationnelle. Yves Sintomer, retraçant l’histoire contrastée des démocraties participative et délibérative aux Etats-Unis, en France et au Brésil, insiste pour sa part sur les tensions entre ces deux notions hypothéquant un rapprochement, faute d’expérimentations sociopolitiques d’une plus grande ampleur que celles réalisées jusqu’à présent. La seconde partie de l’ouvrage vise les dispositifs participatifs expérimentés en France et aux Etats-Unis à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Marie Hélène Bacqué et Claire Carriou étudient l’évolution de la question de la participation, dans le domaine de l’habitat, sous la IIIe République tandis que Paula Cossart, analysant les transformations des réunions publiques en France entre 1868 et 1939, souligne combien ces réunions, pensées aux premières heures de la République comme des instances délibératives visant à favoriser l’essor de la culture civique, vont peu à peu se transformer en mode d’action collective. Il s’agit désormais moins de se rassembler pour débattre et se rapprocher du consensus que pour « manifester une opinion commune au groupe formée antérieurement à la réunion ». Le « meeting » (mot tendant alors à supplanter celui de réunion) vise désormais à rassembler les partisans d’une même cause et à montrer sa force. L’auteure consacre également un chapitre à l’institutionnalisation des instruments de démocratie directe que constituent l’initiative populaire, le référendum et la révocation des élus (recall) aux Etats-Unis, en signale les enjeux et les effets pervers jusqu’à nos jours4, en insistant particulièrement sur les conséquences des premières réformes, sociales et fiscales, issues de l’initiative populaire. Kevin Mattson examine pour sa part l’essor des centres sociaux aux Etats-Unis sous l’ère progressiste, au cours des vingt premières années du XXe siècle, comme incarnant un espace délibératif largement autogéré, tandis que William Keith, abordant le mouvement qui aboutit aux forums civiques, présente leur échec systématique « comme le signe d’une forme perverse de réussite » : « En restant éternellement hors d’atteinte, les forums servent de point de référence aux idéaux démocratiques et permettent à une autre conception de la démocratie de subsister, tout en obligeant les médias à conserver un niveau élevé d’exigence. » (p. 226) La dernière partie, intitulée « Sciences, participation, démocratie », regroupe trois contributions mettant en perspective historique l’essor des débats scientifiques et techniques. Andre Rubião, retraçant l’expérience argentine de Cordoba, des années 1910 et 1920, propose de dépasser l’opposition entre le modèle prônant l’adaptation de l’université au marché et celui d’une université autonome vis-à-vis de la société pour promouvoir une « université participative » favorisant sa mission critique en l’articulant plus étroitement à la société. Brice Laurent y retrace l’histoire de la participation du public dans les politiques scientifiques aux Etats-Unis, et invite à nuancer le supposé tournant participatif actuel, qui hérite de modèles de participation fortement marqués par les décennies néolibérales. Dominique Pestre, retraçant, dans un chapitre conclusif, l’histoire des relations entre les sciences, les pouvoirs politiques et l’économie, relativise également le tournant que constituerait l’avènement d’une « société du risque » et d’une « démocratie technique ». Le livre se signale par la richesse des thèmes et des cas abordés. Le double décentrement, historique et géographique, qui le caractérise, n’est pas sans présenter plusieurs avantages, dont celui, accentué par les auteurs, d’éviter les « effets de site » ou de contexte. Il faut particulièrement souligner l’intérêt du regard comparatif, nonobstant ses limites ici, assumées par les auteurs selon lesquels : « Il s’agirait maintenant de lancer des programmes historiques comparatifs de plus grande ampleur sur la question de la participation, la systématisation pouvant être fructueuse sur plusieurs plans » (p. 28).

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Notes

1 Issu du programme de recherche partenarial « Partenariat Institutions – Citoyens pour la Recherche et l’Innovation » (PICRI) de la Région Ile-de-France, sur « Les dispositifs participatifs locaux en Ile de France et en Europe : Vers une démocratie technique ? », associant deux laboratoires CNRS (de sociologie politique et d’urbanisme) et l’Association pour la démocratie et l’éducation locale et sociale (Adels), cet ouvrage fait suite à plusieurs publications (ouvrages, numéros de revue, articles) sur le sujet, dont : M.-H. Bacqué, Y. Sintomer, avec A. Flamand, H. Nez, La démocratie participative inachevée. Genèse, adaptations et diffusions, Gap, Adels/éditions Yves Michel, 2010 ; M.-H. Bacqué, H. Rey, Y. Sintomer, Gestion de proximité et démocratie participative. Une perspective comparative, Paris, la Découverte, 2005 ; Y. Sintomer, C. Herzberg, A. Röcke, Les budgets participatifs en Europe. Des services publics au service des publics, Paris, La Découverte, 2008. Sur le PICRI : http://www.adels.org/formations_etudes/picri.htm

2 Plusieurs auteurs en théorisent alors le principe : C. Pateman, Participation and Democratic Theory, Cambridge, Cambridge University Press, 1970 ; C. B. Macpherson, Principes et limites de la démocratie libérale, Paris, La Découverte, 1985 (1971).

3 S’inscrivant dans le sillage des textes de J. Habermas et de John Rawls, elle renvoie pour sa part à un idéal de gouvernement où la légitimité de la décision repose sur l’existence d’une discussion préalable ouverte à tous les acteurs concernés par la décision. Cf. L. Blondiaux, Y. Sintomer, « L’impératif délibératif », Politix, 2002 ; L. Blondiaux, « Démocratie délibérative vs. démocratie agonistique ? Le statut du conflit dans les théories et les pratiques de participation contemporaines », Raisons politiques, 2008/2, n° 30, p. 131-147.

4 Parmi les effets pervers rappelés par l’auteur figurent l’ « effacement du citoyen bénévole » et l’utilisation de la législation directe par les intérêts particuliers. A cet égard, pourrait être évoqué l’exemple de la Californie, où le débat autour des initiatives populaires est aujourd’hui central et qui rend compte de certaines limites d’une démocratie directe et participative : dispositifs sources d’immobilisme et de blocage, gonflement de la constitution à chaque scrutin électoral suite à des referenda d’initiative populaire, instrumentalisation par le mouvement conservateur d’une procédure référendaire initialement prévue pour lutter contre la corruption des élus… Cf. C. Mulard, « Faut-il réviser la constitution californienne ? », Pouvoirs, 133, 2010, p. 17-27 ; V. Michelot, « Le processus référendaire en Californie : un travestissement démocratique ? », Pouvoirs, op. cit., p. 57-68 ; F. Douzet et K. Mac Donald, « La représentation des minorités dans le système politique californien », Pouvoirs, op. cit., p. 69-79.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Corinne Delmas, « Marie-Hélène Bacqué, Yves Sintomer, La démocratie participative. Histoires et généalogies », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 15 avril 2011, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/5217 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.5217

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Rédacteur

Corinne Delmas

Professeure de sociologie à l’Université Gustave Eiffel, membre du Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés (LATTS, UMR 8134).

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