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Michel Forsé, Olivier Galland, Les Français face aux inégalités et à la justice sociale

Éric Keslassy
Les Français face aux inégalités et à la justice sociale
Michel Forsé, Olivier Galland (dir.), Les Français face aux inégalités et à la justice sociale, Armand Colin, coll. « Sociétales », 2011, 288 p., EAN : 9782200259181.
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Texte intégral

1La société française est fortement imprégnée par la valeur « égalité ». Ce n’est pas un hasard si le triptyque républicain – « Liberté, égalité, fraternité » –, celui qui est placé aux frontons de tous nos bâtiments officiels fait de l’égalité la norme sociale centrale. Si bien que le « vivre ensemble » hexagonal est d’abord fondé sur le souci de justice sociale – qui d’ailleurs suppose l’égalité comme une fin, pas nécessairement comme une méthode (ce qui nous renvoie au débat sur l’équité). Or, aujourd’hui, tout paraît indiquer que les inégalités ne cessent de se creuser : la classe moyenne serait à la dérive, l’émergence puis le maintien d’une pauvreté de masse, des privilégiés peu nombreux parviennent à concentrer toujours plus de richesses etc. Mais qu’en pensent réellement les Français ? Sont-ils tombés dans le « désespoir social ou le cynisme désabusé ? Ce sont ces questions qui guident l’ambitieuse enquête sociologique menée par Michel Forsé et Olivier Galland en septembre et octobre 2009 auprès d’un échantillon de 1711 individus représentatifs par quota de la population de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine. Il s’agit de la première étude systématique permettant de mesurer la perception de la société française sur cette thématique si fondamentale.

2Les résultats sont très intéressants. Les Français ont bien le sentiment de vivre dans une société inégalitaire. Nous savons d’ailleurs depuis Tocqueville que dans un « état social » démocratique, qui se caractérise par la recherche de l’égalité des conditions, la sensibilité aux inégalités est forte. Idée qui ne nous renseigne pas directement sur la vision des Français – qui ne nous dit rien sur l’écart entre les inégalités perçues et les inégalités objectives. Il faut entrer dans le détail pour bien qualifier le jugement de la population : si les Français ont une appréhension globalement juste de la hiérarchie des rémunérations (niveau objectif), ils en tirent un ressenti quelque peu déformé au regard de la situation moyenne des pays de la zone OCDE. Conformément à leur « culture » démocratique, les Français se distinguent par un écart important entre l’état objectif des inégalités de revenu (mesuré par les indicateurs habituels) et leur sentiment relatif à ces inégalités. Sans doute cette approche rend très difficile la possibilité de « justifier » les inégalités : les Français considèrent massivement qu’elles sont inacceptables.

3Ainsi, la société française se caractérise par une perception sévère des inégalités – qui sont à la fois répandues et inacceptables – qui pourraient laisser penser que le pays est au bord d’une grave crise sociale. En réalité, l’ensemble des réponses permet de nuancer cette vision pessimiste : tout d’abord, les inégalités jugées les plus présentes – comme celle liée au revenu – ne sont pas celles qui sont perçues comme les plus condamnables ; ensuite, à contrario, les inégalités considérées comme les plus insupportables – comme les discriminations reposant sur l’appartenance ethnique ou le genre – ne sont pas celles qui sont estimées les plus fréquentes. Enfin, les Français portent un jugement beaucoup plus sévère sur l’état des inégalités sociales que sur le degré auquel ils sont eux-mêmes personnellement affectés : une majorité se voit en position favorisée (plutôt ou très) – sauf pour ce qui concerne les revenus où le rapport est plus équilibré.

4Même si les Français ont la sagesse de ne pas établir leur opinion sur le niveau des inégalités dans la société en extrapolant leur situation personnelle, on peut noter que certaines caractéristiques sociales influent sur la formation de leur jugement : les femmes affichent une sensibilité plus élevée aux inégalités que les hommes ; les jeunes et les plus âgés sont au contraire moins sensibles que les Français dans « la force de l’âge » ; sans surprise, le positionnement politique et/ou idéologique impose une certaine perception des inégalités : les « interventionnistes » les considérant comme plus graves que les « libéraux » ; par contre, la position sociale n’impacte quasiment pas la perception des inégalités sociales.

5Ce ne sont pas moins de 23 questions décryptées (autour par exemple de la justice scolaire, de la politique fiscale ou encore du rôle de l’Etat) par une équipe de sociologues de premier que nous offre cet ouvrage passionnant. Il nous livre finalement le « portrait moral » d’un peuple qui présente des appréciations étonnamment fines et équilibrées, qui continue globalement à croire à sa devise républicaine, « pourvu qu’on sache la décliner avec les nuances et la sagesse qui conviennent. » Il ne faut donc pas s’étonner que les Français préfèrent très majoritairement s’en remettre à des solutions raisonnables plutôt que de retenir les pistes démagogiques pour favoriser la justice sociale.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Éric Keslassy, « Michel Forsé, Olivier Galland, Les Français face aux inégalités et à la justice sociale », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 14 avril 2011, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/5212 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.5212

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