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A quoi servent les sciences humaines (I)

Un numéro hors-série de la revue "Tracés" (2009)

publié le vendredi 11 juin 2010

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Par Julie Wetterwald [1]

L’intérêt principal de ce numéro hors-série de la revue Tracés est d’aborder les sciences humaines par un biais un peu différent. Il n’y est en effet pas question d’une approche « définitionnelle » qui donnerait les critères épistémologiques qui font d’une science humaine une science humaine. Le mérite de cette contribution est de s’inscrire d’emblée dans une dimension pratique : on ne cherche pas exactement à savoir ce qu’est une science humaine, mais à quoi elle sert. La question paraît d’autant plus brûlante dans le contexte de ces dernières années marqué par de fortes inquiétudes quant à l’avenir des chercheurs et des enseignants en sciences humaines. L’ouvrage entre alors dans le détail des usages des différentes sciences humaines, des lieux et des acteurs, par l’intermédiaire de la notion de « public ».

Le « public » c’est l’ensemble des personnes, collectifs ou institutions (associations, État, citoyens, entrepreneurs, partis politiques...), qui se sentent concernés par les sciences humaines. Il s’agit de mettre en évidence pour la dépasser l’opposition malheureusement encore prégnante entre le monde académique du chercheur « dans sa tour d’ivoire » et les sciences humaines telles qu’elles sont en usage dans la société, notamment via leur « vulgarisation » médiatique. Il ne s’agira ici pas de définir mais de « décrire » les pratiques des acteurs en sciences humaines (personnes, associations, institutions) qui se situent aussi en dehors du monde académique : on va voir comment les sciences humaines se trouvent concrètement injectées dans divers domaines sociaux, culturels, économiques, politiques.

Les deux premières journées de ce numéro abordent ainsi la question « à quoi servent les sciences humaines ? » en cherchant à lier les sphères où se pratiquent les sciences humaines. Car il ne s’agit pas non plus de mépriser la recherche académique - bien au contraire - en réduisant les sciences humaines à des techniques d’information, des moyens neutres qui ne serviraient qu’à répondre à des besoins définis en dehors du monde de la recherche, comme dans les situations de consulting. Les interventions réunies dans ce recueil s’articulent alors autour de quatre thématiques : la question des compétences pour lesquelles les sciences humaines sont sollicitées (capacité rhétorique d’organisation des connaissance, techniques d’enquête, analyses de réseaux, capacité à modéliser la réalité en la simplifiant et en recherchant des explications, capacité à poser des problèmes encore inaperçus...), la question des lieux plus ou moins institutionnalisés où s’épanouissent ces usages (où se jouent les rapports plus ou moins lisses ou tendus entre acteurs privés et acteurs publics), celle des formats d’expression dans lesquels se coulent les sciences humaines lorsqu’elles sont utilisées hors champ académique (conseil, expertise, témoignage...), et enfin celle des relations de pouvoir qui se jouent entre les acteurs impliqués dans ces usages.

Ces questions sollicitent la notion de « traduction » ou de « transposition », car le premier problème pour les professionnels des sciences humaines est d’être intelligibles. Ils doivent faciliter le passage d’une scène à l’autre, le glissement du langage scientifique à d’autres modes de discours et d’action. Souvent, ce sont des « médiateurs » qui éclairent l’espace public et amènent certains problèmes encore peu discutés sur le devant de la scène publique. D’ailleurs, tous les nouveaux chantiers de recherche historique au XXème siècle (l’immigration, la question ouvrière, la place des femmes, la Shoah) ont été ressaisis sous forme de « problèmes publics » et ont même parfois donné lieu à des actions politiques et à des réactions conflictuelles, comme à l’occasion de la création de la Cité nationale de l’immigration.

La première partie de ce volume s’intitule qui « mémoires,justice et sciences sociales » s’articule autour du constat que les chercheurs sont aujourd’hui invités ou convoqués à des places qui ne leur étaient pas habituelles : à la barre des témoins, au sein d’associations, auprès des législateurs à propos de réformes pénales... Il s’agit d’interroger un certain nombre de positions nouvelles de recherche (histoire, sociologie, criminologie), autour d’objets particulièrement sensibles dans les sociétés démocratiques : les mémoires et les identités collectives d’une part, les institutions et les pratiques judiciaires de l’autre. Il s’agira alors par exemple de parer aux tentatives de « liquidification » de l’histoire (Antoine Garapon). Jean-Paul Jean souligne que les termes « arrêt » et « verdict » engagent le rapport de la justice à l’histoire sur le mode de la clôture de la vérité, alors que les concepts de l’historien sont, eux, interprétatifs. Alors que l’historien s’empêche de juger afin de mieux comprendre, le magistrat lui doit prononcer une sentence. Comment encourager les usages de la recherche en sciences sociales tout en les contrôlant ?

La deuxième partie de l’ouvrage, intitulée « sciences sociales et action publique » attire particulièrement l’attention. Elle part du constat que l’initiation universitaire aux sciences sociales s’efforce de promouvoir des sciences objectives, fondées sur des méthodes bien établies et un contrôle des préjugés. Les chercheurs en sciences sociales occuperaient ainsi une position d’extériorité vis-à-vis de leur « objet » et donc, en tant que chercheurs, vis-à-vis de la société. Le problème de cette vision est qu’elle n’explicite pas les conditions concrètes du déroulement de la recherche et la position effective que les chercheurs occupent dans l’espace public, en particulier lorsqu’ils traitent de questions auxquelles d’autres acteurs cherchent à répondre. Par exemple, même si la prison est à l’exact opposé d’une relation de soin, la condition d’une recherche réelle en prison est l’inscription du chercheur dans les relations personnelles au sein de l’institution. Mais d’autres questions, comme le statut des prostituées, les problèmes du mal-logement et le chômage sont autant de « terrains » où les chercheurs sont en prise avec l’action publique, définie comme l’ensemble des dispositifs, matériels, humains ou financiers, mis en œuvre pour résoudre un « problème public ». Par exemple, dans son article au sujet de la prostitution au sein de l’association Cabiria, Lilian Mathieu investit deux enjeux de recherche : les conditions de mobilisation d’une population stigmatisée et largement dépourvue en ressources (travail sur Cabiria) et les logiques et structurations du monde de la prostitution (dont relève le travail avec Cabiria). Lilian Mathieu illustre de manière vivante l’articulation entre le monde de la recherche et les autres acteurs sociaux : il rappelle au début de sa contribution qu’il a été partie prenante de la genèse et du développement de l’association puisqu’il a participé à la recherche-action dont la création de Cabiria a été l’aboutissement, et que son accès à ses activités l’a en partie été au titre d’une évaluation menée pour un de ses financeurs. Par ce biais, il a été associé à la défense d’une démarche de santé publique objet de vives polémiques, ce qui a tendu à doter son investissement sociologique d’une dimension « militante ».

NOTES

[1Elève de l’ENS de Lyon

Note de la rédaction

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