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Anatomie du dégoût

Un numéro de la revue Ethnologie française (PUF, N°1, 2011)

publié le jeudi 21 avril 2011

Domaine : Philosophie , Sociologie

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Par Patrick Cotelette [1]

Depuis 1971, la revue Ethnologie Française, fondée par Jean Cuisenier et dirigée actuellement par Martine Segalen, s’attache à l’analyse des faits culturels occidentaux en proposant des dossiers thématiques par thème (comme par exemple : les « nouvelles adolescences », les handicaps, la censure, l’art au travail, l’école, le poison, etc.) ou par pays (avec la longue liste suivante : Italie, Roumanie, Russie, Allemagne, Portugal, Espagne, Bulgarie, Suisse, Finlande, Ukraine, Grèce, Hongrie, Grande-Bretagne, Suède, Norvège, Pologne, Irlande). Le premier numéro de 2011 s’est attaqué frontalement à un objet rare en sociologie, celui du dégoût.

La revue propose également diverses analyses annexes dans ses Varia. Toutes ont pour point commun de s’intéresser à l’entretien et la gestion des ressources locales : réseaux de voisinage dans « Voisiner en Turquie urbaine » de Bayard-çan ; réputation locale dans les domaines de la bière (« Bière belge et image monastique » de Jonveaux) et du vin (« Réputation et division du travail » de Chauvin) ; langues régionales dans leur rapport à la nation (« Appartenances régionales et sentiments nationaux » de Filhon).

Mais revenons au principal objet d’analyse qui occupe la revue : le dégoût. Memmi, Raveneau et Taïeb y consacrent une introduction extrêmement riche (« La fabrication du dégoût ») , en rappelant les différents courants de sciences sociales ayant abordé la question du dégoût. Ils montrent par la même occasion l’intérêt de ce numéro spécial de la revue Ethnologie Française : tandis que les approches classiques font du dégoût un médium et un instrument de lecture du monde social (à la manière de Bourdieu par exemple qui montre que le dégoût sert à rendre sensible la hiérarchie sociale), les articles de la revue ont pour ambition de « s’arrêter sur le dégoût comme bloc somatique irréductible […] et comme un phénomène particulièrement présent dans l’exercice de certains métiers, et, du coup, comme problème pour les uns, comme outil pour les autres » (page 11). Même si tous les articles ne correspondent pas parfaitement à cette présentation, on peut noter qu’ils permettent véritablement un approfondissement des analyses classiques.

Deux articles philosophiques portent sur la question de la définition du dégoût. Tandis que Margat (« Phénoménologie du dégoût. Inventaire des définitions ») propose une histoire rapide de la notion de dégoût en philosophie esthétique, Vollaire (« Le tabou du dégoût. L’anesthésie du soignant  ») en propose une exploration plus personnelle, mêlant souvenirs subjectifs et références philosophiques, axée sur la question du dégoût dans le rapport du soignant à son patient. A ce titre, le premier article permet une meilleure appréhension des analyses philosophiques du dégoût que le second qui souffre de son indétermination quant à l’objectif heuristique suivi.

Un angle d’attaque plus sociologique est pris par les articles de Bromberger (« Note sur les dégoûts pileux ») et Mardon (« Honte et dégoût dans la fabrication du féminin. L’apparition des menstrues »). Bromberger y expose différents exemples de dégoût relatif à la pilosité (son excès ou son absence). Son apport particulier au numéro repose dans l’utilisation d’une enquête sur les patients de chimiothérapie souffrant d’alopécie (perte de cheveux) : il y montre bien dans quelle mesure le dégoût est un révélateur d’une crise identitaire des patients (« Pendant plusieurs jours, je ne me suis pas regardée, j’avais peur » ; « Je me suis sentie miséreuse, misérable, dépouillée, vulnérable, je n’avais plus la protection de mes cheveux » ; « J’avais l’impression d’être quelqu’un d’autre » ; « Quand ça repousse, on retrouve sa dignité et on retrouve son identité, on a sa carte d’identité, on redevient soi », pages 29 et 30). Mardon s’attache quant à elle à analyser la genèse du dégoût corrélative à l’apprentissage de l’identité féminine en observant la socialisation des adolescentes relatives aux premières règles. Elle montre de manière très précise que « les adolescentes apprennent à considérer le sang menstruel comme une source de honte et de dégoût. Cette perception a des effets sur l’expérience qu’elles font de cet événement et les pousse à considérer leur statut de femme comme contraignant et négatif » (page 34).

Cette dimension identitaire du dégoût se retrouve en filigrane des six autres articles qui composent le dossier mais elle est minorée au profit d’une analyse du rapport des institutions au dégoût. Un premier groupe d’articles s’intéresse à la manière dont le dégoût contraint le fonctionnement de diverses institutions : les centres de recueil de sperme (Giami, « Le glauque ou la production de sperme infertile »), les centres sportifs (Raveneau, « Suer. Traitements matériels et symboliques de la transpiration »), les morgues et les égouts (Jeanjean, « Travailler à la morgue ou dans les égouts »). On y observe ainsi dans quelle mesure les dispositifs techniques et symboliques arrivent plus (les centres sportifs) ou moins (les centres de recueil de sperme) à réduire le sentiment de dégoût que pourraient éprouver les utilisateurs (face à l’animalité de la sueur ou face au déficit de virilité lié à la remise en cause de la fertilité masculine) et la manière dont le dégoût éprouvé par les travailleurs conditionne le fonctionnement des institutions (par exemple : les travailleurs des égouts élaborent « une division (observable) du travail en décalage avec l’organisation officielle », page 62) et leur évolution.

Un second groupe d’articles s’intéresse plutôt à la façon dont le dégoût est une ressource politique ou artistique. Constance et Peretti-Watel (« Prévenir le tabagisme par l’image ») et Pezeril (« Le dégoût dans les campagnes de lutte contre le sida ») proposent une analyse des discours d’avertissement face aux dangers du tabac et du sida. Tous trois révèlent quatre types de stratégies argumentatives faisant appel au dégoût pour lutter contre le tabac et le sida : présenter « des dégradations invisibles du corps, des dégradations visibles du corps, des mimiques du dégoût et des comportements considérés comme répugnants et proches de l’incivilité » (page 70), autrement dit présenter « des corps malades, des corps mutants, des corps déviants et des corps malfaisants » (page 80). Par là même, ils interrogent tous les trois la problématique suivante : « comment lutter contre une maladie [ou un comportement] sans lutter contre ses malades [ou ceux qui adoptent le comportement] ? » (page 80) ; et montrent que la frontière entre les deux objectifs est très mince et souvent franchie dans les discours. Cette même fragilité se retrouve dans la présentation artistique du dégoût pour autant que l’on essaie de penser l’art comme une source de satisfaction esthétique, comme l’explicite Talon-Hugon en faisant appel aux théories de l’art (« Les pouvoirs de l’art à l’épreuve du dégoût ») : « l’art peut-il continuer à poursuivre ce but en choisissant ses sujets dans les objets intentionnels du dégoût ? » (page 100).

Ainsi ce numéro 2011/1 de la revue Ethnologie Française permet-il une analyse approfondie d’un objet repoussant en la figure du dégoût. On ne saurait que conseiller au lecteur curieux de s’atteler à la lecture de l’introduction. Les approfondissements sont à réserver aux lecteurs désirant questionner les définitions du dégoût, la socialisation au dégoût et la gestion institutionnelle, politique et artistique du dégoût.

NOTES

[1Professeur de sciences économiques et sociales

Note de la rédaction

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