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Après les camps, la vie

Un film de Virginie Linhart (Cinétévé, 2009)

publié le vendredi 4 juin 2010

Domaine : Histoire , Sociologie

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Par Elodie Wahl [1]

Sur 75 700 déportés juifs Français dans les camps nazis, moins de 2 500 sont revenus. Virginie Linhart en a interrogé une dizaine, déportés entre 1942 et 1944. Ceux-là ont pu affronter la vie « retrouvée », et ne se sont pas suicidés comme bien d’autres. Ils racontent sous la caméra ces retrouvailles avec la vie. Tout d’abord le retour en France, en wagons de marchandises, sur la paille, alors que les Résistants rentrent en places assises... L’arrivée à la gare, où ils voient les mêmes autobus dans lesquels ils sont montés pour partir, mais qui, cette fois, les ramènent, « et peut-être avec les mêmes chauffeurs », suggère un déporté. Ils décrivent précisément leur prise en charge, à l’Hôtel Lutetia ; celle-ci précède leur retour vers leur famille, si elle existe encore en partie, ou vers le travail.

Les témoignages redisent un phénomène maintenant bien connu : à la Libération, nul n’avait envie d’entendre cette histoire infernale. L’Histoire et les histoires seront tues, au moins jusqu’en 1967, alors qu’Israël sort victorieux de la Guerre des Six Jours. Désormais, le peuple Juif méritera plus de considération de la part de l’opinion publique...Dès lors comment ont-ils pu vivre dans leur silence ? Les témoignages concordent : c’est la rencontre d’un compagnon ou d’une compagne, puis éventuellement la naissance d’enfants, qui a permis la vraie réconciliation avec la vie.

L’intérêt du documentaire est en outre de montrer des individus issus de milieux sociaux très différents. Alors que certains reprennent de brillantes études, d’autres s’en vont à la recherche d’un premier emploi, que l’on trouve facilement dans ces années de reconstruction. Le documentaire rend bien sensible que la difficulté de la vie fut la même pour tous les Français : les déportés juifs n’ont eu aucun traitement de faveur, les pensions n’arriveront que bien plus tard. Mais à la différence des autres Français, eux étaient pour la plupart sans famille, eux revenaient de l’enfer et devaient garder leur histoire pour eux. Confrontés aux familles qui recherchent leurs disparus sans les retrouver, les rescapés ont pu également être soupçonnés d’on ne sait quelle collaboration...

Les récits se recoupent et se complètent dans un ordre chronologique et thématique. La facture du documentaire est très classique, et les interviews sont illustrés d’images d’archives. Sans apporter à l’historiographie d’éléments vraiment nouveaux, le documentaire apporte quelques précisions intéressantes, et souligne bien à quel point la reconnaissance officielle de la responsabilité de l’État Français dans la déportation des Juifs ainsi que les excuses faites aux victimes, a été tardive. On peut regretter que la voix-off ne mette à aucun moment ces retours à la vie en perspective du nombre de suicides des déportés ayant échappé à la mort dans les camps. Néanmoins les récits détaillés dont le documentaire rend compte sont d’un grand intérêt.

On notera enfin que c’est dans le chapitre 6 du livre de Virginie Linhart, Le jour où mon père s’est tu (Seuil, 2008), intitulé « Survivants », que l’on trouve la raison d’être de ce documentaire. Petite-fille de juifs ayant échappé à la déportation, l’auteure écrit : « Avoir échappé au destin tragique de la majorité des juifs de ces années-là n’a pas renforcé ma famille, cela l’a détruite. ... Je n’aurais jamais imaginé que l’on pouvait être heureux d’avoir survécu. Et je comprenais soudain que mes grands-parents en avaient eu honte. Je crois que mon père a été élevé avec la profonde culpabilité d’être vivant et une immense difficulté à jouir de cette chance-là. Je crois qu’à son tour il nous a élevés dans cette culpabilité-là, mon frère, ma sœur et moi. »

Virginie Linhart est la fille de Robert Linhart, leader maoïste de mai 68 et auteur de L’établi (1978). Elle a évoqué dans Le jour où mon père s’est tu (op.cit.), la tentative de suicide de son père en 1981 et le mutisme de son père résultant de celle-ci. Elle a tenté d’interpréter l’expérience de 68 à laquelle de nombreux juifs ont pris part en tant que « leaders » comme une tentative, pour eux, de tenter l’expérience de la « vie » au-delà de celle de la « survie ». Elle écrit : « Ce que je sais maintenant c’est que nous, les enfants, étions comme lui [R. Linhart] enfermés dans cette question du survivant qui ne nous a à aucun moment été énoncée. Nous avions la chance d’être là, point à la ligne. ... Me revient en mémoire la brusque sécheresse de mon grand-père, lui dont j’aimais tant la bienveillance rassurante, à qui j’osais demander d’où venait ce nom de Linhart qui n’a rien de typiquement juif : « Virginie, à une époque tu n’aurais pas été là pour poser la question. » Oui, mais j’étais là, c’était comme ça, et j’avais envie de savoir. Mais je n’ai pas su. On ne nous racontait rien. ... Le silence sur leur histoire, le silence sur leur mort. Puis, plus tard, le silence de mon père. Et nous les enfants, silencieux sur le silence. Jusqu’à étouffer d’angoisse. »

NOTES

[1Docteur en Sociologie, PLP Lettres-Histoire

Note de la rédaction

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