Ceux qui s’intéressent à la ville sont-il condamnés, partout, à constater la gentryfication des quartiers populaires au cœur des métropoles ? Et l’éviction ou l’expulsion de leurs habitants d’origine ? C’est le sentiment que l’on a parfois à la lecture des travaux qui analysent les mécanismes économiques, sociaux et culturels qui affectent les centres urbains anciens en tous points du monde. Les ressorts en sont tellement puissants qu’ils ruinent par avance les velléités de s’y opposer.
D’où l’intérêt d’une observation et d’une analyse qui, renonçant à l’examen académique des faits et à ses conclusions par avance désenchantées, se mettent au service des habitants. Certes, on connaît le risque de cette pratique militante de la sociologie de terrain : celui de transformer le chercheur en porte-parole, oublieux de sa position singulière et des exigences de sa discipline. Mais point de cela dans la recherche-action rendue publique ici. Avec pugnacité et modestie, l’équipe, associant sociologues et artistes, a trouvé une place au sein même de l’arène publique naissante de la rue de la République, apportant aux acteurs du quartier (habitants plus ou moins engagés, militants politiques et associatifs, représentants des institutions...) un regard autre sur les transformations urbaines à l’œuvre et à la communauté des chercheurs, le bénéfice d’une expérience réflexive. C’est là que ce travail est sans doute le plus significatif : alors que la brutalité peu commune de l’opération immobilière pouvait conduire, par effet de symétrie, à une sociologie guerrière, dénonciatrice à juste titre des procédés employés et de leurs conséquences sociales, les chercheurs ont eu la sagesse d’éviter de se placer dans la dépendance d’un objet "ennemi" pour s’intéresser à ceux qui tentaient d’y faire face, se plaçant à leurs côtés et non au-dessus...
Cela change-t-il quelque chose à l’issue finale de l’opération ? Oui, car en faisant place - par la parole, l’image et l’écrit - aux histoires singulières de chacun et à l’action de tous, la recherche aura contribué à rendre visible ceci : les habitants de la rue de la République sont bien les sujets de leur histoire, ceux qui y sont restés comme ceux qui en sont partis.