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Aux frontières de l’expertise. Dialogues entre savoirs et pouvoirs

Un ouvrage sous la direction de Yann Bérard et Renaud Crespin (Presses Universitaires de Rennes, Coll "Res Publica", 2010)

publié le mercredi 12 janvier 2011

Domaine : Science politique , Sociologie

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Par Alexandra Levasseur [1]

L’ouvrage met en avant l’expertise comme analyseur des sociétés contemporaines configurant « un certain type d’engagement des Sciences dans la cité » (Trépos, p.11). Il s’agit dès lors de considérer l’ensemble des positionnements présent au sein de la question de l’expertise comme provenant d’une variété de « connaissances-en-action » (Trépos, p.12). Cette variété est appréhendée au regard des apports de la notion de flou qui est « positivée » avec le travail de l’expertise comme objet-frontière. Cette notion permet d’articuler les idées de croisement de mondes, d’interprétations différentes, de concurrence et d’inégalités. Il s’agit d’autant de frontières « vives » (Bérard et Crespin, p.15) qui mettent en avant, selon nous, une « in-disciplinarité » caractéristique d’une part d’une volonté d’hybridation et de remise en question des différentes autorités sociales et scientifiques, tout en étant symptomatique d’autre part d’un croisement des catégories et d’un transfert de compétences entre les différentes figures de l’expert, les acteurs profanes ayant recours à l’expertise alternative et les chercheurs.

Face à ces différentes reconfigurations et créations, les objectifs de l’ouvrage sont de « rendre plus explicites les usages des notions d’experts et d’expertise » (Bérard et Crespin, p.16) à la fois au niveau de la société tels qu’ils se construisent et sont utilisés par les acteurs, mais aussi tels qu’ils sont construits et utilisés par les chercheurs. L’interrogation porte ainsi sur ce qui différencie et rapproche d’une part l’expert de l’expertise et d’autre part le chercheur, le décideur proclamé et l’acteur profane aussi expert alternatif. Au travers la mise en avant d’une « variabilité des usages socio-sémantiques des termes « experts » et « expertise » » (Bérard et Crespin, p.17), c’est la compréhension de l’expertise et du flou qui la qualifie « comme le résultat de la multiplication de ses usages dans l’espace social : espaces de production d’expertises (expertises de gouvernement, judiciaire, privée, collective, etc.), mais aussi espaces d’interprétation de l’expertise (mondes académique, politique, professionnel, ordinaire, etc.) » (Bérard et Crespin, p.18) qui est visée.

La première partie s’intéresse à « la construction souterraine des figures de l’expert » (p.34). Au moyen d’une entrée par les situations d’expertise, ce sont les figures de l’expert comme constructions hybrides liées à des configurations de savoirs et des pouvoirs spécifiques qui sont mis en avant. La partie commence par l’adoption d’une perspective généalogique dans laquelle Mathieu Quet s’intéresse aux conditions d’apparitions de la figure de l’expert au travers l’institutionnalisation de la critique des sciences. Puis, c’est au moyen de l’interrogation du travail rhétorique qui construit les problématiques dans lesquelles un savoir d’expert est mobilisé, que Sandrine Garcia nourrit l’interrogation de l’ouvrage. A une autre échelle, Harold Mazoyer met en avant l’impact du local et du national dans la construction et la stabilisation des figures de l’expert en prenant l’exemple de l’étude des métros de Lyon. Dans la même ligne, Virginie Saliou met en avant la construction d’une catégorie spécifique, celle des experts nationaux détachés à la Commission Européenne. L’auteure montre comment la formulation hybride de cette catégorie, prise entre celle de l’expert et du fonctionnaire, participe à un processus de compromis entre Etats membre et commission.

La seconde partie s’attache à relever un double mouvement, celui « de l’hybridation des savoirs à la politisation des passions » (p.100). Le double intérêt relève, d’une part de l’étude du travail des passions sur l’institution en appuyant l’impact et la manière dont les acteurs travaillent les institutions, et d’autre part de l’analyse du travail des institutions sur les passions en s’attachant aux moyens mis en œuvre par les dispositifs de pouvoirs pour régler les possibles déstabilisations induites par les pratiques. Cette tension, présente dans les contributions des auteurs, met en avant le côté contraignant et créateur au cœur des hybridations. Et c’est en partant de l’idée selon laquelle l’expertise est un processus d’hybridation au triple mouvement « contextualisation, déstabilisation et recontextualisation que Philippe Terral et Julien Weisbein ouvrent la seconde partie en montrant comment les frontières se redistribuent. Cette redistribution est également au cœur de la contribution suivante, celle de Marcel Clavez qui montre comment l’hybridation peut permettre d’ouvrir le processus d’expertise aux acteurs intermédiaires. Il recourt par ailleurs à l’utilisation de la notion d’expertise interactionnelle pour souligner la création d’une tension entre les experts mandatés et l’expertise alternative. Dans la même ligne, Corinne Delmas travaille sur la tension entre « le militantisme de dossier » dans l’action syndicale et l’expertise patronale. C’est ainsi que les expertises se caractérisent par un mouvement de distanciation en liant raisons et ressources sociales, cognitives et politiques. Enfin, Marc-Olivier Déplaude souligne, avec l’exemple du développement du succès de la théorie économique de la demande induite, la transformation des savoirs experts lors de leurs mises en application par les acteurs qui s’en saisissent.

La troisième partie met en avant « la persistance et l’adaptation de modèles d’expertise » (p.160). Il s’agit dans cette section de repérer l’évolution des modèles d’expertise en tant qu’un certain type d’agencements des rapports de savoirs et de pouvoirs dans les sociétés démocratiques contemporaines. Au travers des terrains et des thèmes divers tels que l’impact du modèle technocratique de l’expertise d’état dans la gestion des risques avec l’exemple de la catastrophe d’AZF (Laure Bonnaud et Emmanuel Martinais), les think tanks américains comme organisation politique (Thomas Medvetz), les modèles d’expertise dans le juridique (Rafael Encinas De Munagorri et Olivier Leclerc) ou encore le lien entre expertise et chercheur en sciences sociales (Joseph Fontaine), ce sont les questions de la délimitation des espaces de savoir et de pouvoir pour les prises de décisions, leurs stabilisations et leurs persistances qui sont en jeu.

L’ouvrage, en prenant l’expertise comme entrée met en avant la volonté de saisir l’imbrication des sciences et des techniques au regard des rapports conflictuels entre savoirs et pouvoirs au sein des situations d’expertise. Nous soulignons la volonté des auteurs d’articuler un raisonnement prenant en compte les logiques institutionnelles et structurelles à l’égard des dispositifs de pouvoir tout en accordant de l’importance aux contextes et à leurs effets émergents, aux interactions et à la capacité des acteurs d’adopter une posture réflexive. Par ailleurs, l’ensemble de cette perspective se fait tout en considérant les distributions inégales des capitaux et des différentes mobilisations des dispositions.

Selon nous, l’intérêt de l’ouvrage se trouve principalement dans la mise en visibilité des effets de l’évolution des figures des experts au regard de la naissance d’autres catégories et de modifications des rapports entre les savoirs et les pouvoirs. Ainsi, la mise en lumière des effets des mécanismes émergents du déploiement de l’expertise permet la compréhension de la montée des contres expertises et de la remise en question des experts au regard d’agencements plus complexes et hybrides d’organisations et de revendications publiques. Autrement dit, la situation d’expertise n’est jamais neutre et l’ouvrage montre d’une manière pertinente les entrelacements et les luttes entre autorité scientifique, les revendications profanes, les techniques et les équipements. Par ailleurs, ces observations permettent une attention particulière à la circulation des savoirs qui questionnent l’organisation des relations de pouvoirs et la place de chacun, les dispositions et les compétences nécessaires dans le processus de décision et de gestion des activités et pratiques sociales.

NOTES

[1Doctorante en sociologie à l’université Lyon 2, Centre Max Weber

Note de la rédaction

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