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Borges face au fascisme. 1. Les causes du présent

Un ouvrage d’Annick Louis (Aux lieux d’être, 2006, 320 p., 28,50€)

publié le jeudi 30 novembre 2006

Domaine : Histoire , Littérature

Sujets : Littérature

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Par Thibault Roques [1]

Dans cet ouvrage, Annick Louis, spécialiste de Borges, montre comment l’écrivain argentin, plutôt que de se s’opposer frontalement au fascisme comme nombre de ses contemporains, a privilégié ce qu’elle nomme une « stratégie d’obliquité » : contrairement à ce que l’on a parfois dit, l’auteur rappelle que le fascisme (comme l’antisémitisme) a préoccupé Borges dès les années vingt bien que la question ne fût alors présente dans son œuvre que par « incrustations », de manière fragmentaire et indirecte. Au-delà de la « bataille textuelle » systématique que Borges souhaitait livrer contre les fascistes, Annick Louis affirme qu’il ne s’est pas moins opposé à une grande partie des antifascistes de l’époque dont il combattait la rhétorique et l’esthétique. Et si l’on a principalement retenu de Borges les récits fantastiques courts apparemment dépourvus de toute référence à la réalité contemporaine la plus « brûlante », Annick Louis suggère que c’est avant tout parce que Borges parlait de cette réalité de façon « illisible » pour ses contemporains.

Le livre est composé de trois parties : une première intitulée « Contre la persuasion » qui décrit et analyse les problèmes posés par les références de Borges au contemporain ; une seconde, « les causes du présent », où l’auteur évoque en détails les formes qu’a revêtues la militance borgésienne contre le nazisme. « Tout et la fin de tout », enfin, où les croisements entre idéologie, conceptions esthétiques et production littéraire sont mis en lumière.

Dans la première partie, Annick Louis rappelle qu’entre 1930 et 1945, les réflexions sur le fascisme sont omniprésentes dans l’œuvre de l’écrivain mais jamais explicitement ou directement : on les trouve exclusivement dans des textes qui traitent de questions purement littéraires. C’est à dessein que Borges refuse de quitter le terrain littéraire. Il « déploie », c’est à dire qu’il ne cherche pas à discuter un problème pour émettre une hypothèse ou aboutir à une conclusion ; son objectif est « d’exhiber les aspects d’une problématique déconnectés de leur contexte ». Au plan rhétorique, Borges expose et exhibe bien plus qu’il ne cherche à démontrer ou à persuader. Ainsi, Annick Louis rappelle que Borges fut tout sauf un « écrivain engagé » au sens sartrien du terme ; il s’est borné à « proposer une série », soit « une continuité de références multiples que le lecteur est susceptible de relier au réel contemporain ». Mais comme le souligne encore l’auteur, « son domaine à lui, c’est la littérature ». Il s’attachait donc à exhiber les discours et les textes des autres (qu’ils soient amis ou ennemis politiques d’ailleurs) afin de mieux défendre l’autonomie de son propre discours.

Dans la seconde partie, décrivant plus précisément le contexte national, Annick Louis s’efforce de montrer ce « qu’être nationaliste » signifiait dans l’Argentine des années vingt et trente ; elle explique notamment le rôle déterminant qu’a joué le congrès du PEN club à Buenos Aires en 1936 qui réunissait des intellectuels argentins et qui a conduit chacun à préciser sa position face aux évènements internationaux. La question de la fonction sociale de l’écrivain surgit inévitablement pendant les débats, certains affirmant que politique et littérature doivent être tenues séparées, d’autres considérant les deux comme allant nécessairement de pair. Or Annick Louis souligne que ces deux conceptions sont également étrangères à Borges. Les années vingt et trente sont pour lui l’occasion de définir une « identité argentine urbaine qu’il conçoit comme un projet idéologique et culturel ». Et dans les années qui suivent, Borges livre effectivement ses premières fictions qui mêlent matériau extrait de sources historiques officielles et versions réinterprétées ou réinventées de cette même Histoire. Par conséquent, si Borges ne cesse de combattre dans ses textes le fascisme de manière oblique, il n’épargne pas pour autant les tenants d’un « humanisme classique » (au sens de Barthes) qui prônent le « culte de la culture » et qui réduisent trop vite, selon lui, le fascisme à une barbarie. Selon Borges, les « humanistes » ne voient pas suffisamment que, d’une part, le fascisme produit bien quelque chose que l’on peut appeler « culture » et, d’autre part, que la confusion entretenue par les dirigeants fascistes entre le politique et le culturel met en péril l’autonomie de l’art. Or, ce que défend l’écrivain argentin plus que tout, c’est la coupure entre le monde culturel et le monde politique, soit « l’autonomie des sphères ». Il tient absolument à distinguer le réel et la littérature, autre réalité selon lui.

Dans la troisième et dernière partie de l’ouvrage, Annick Louis revient sur les raisons qui peuvent expliquer que l’œuvre de Borges antérieure aux années 50 ait été occultée, notamment son contenu « politique », le souci d’autonomie de l’écrivain argentin ayant sans doute largement contribué à brouiller la réception de son travail. Adversaire du « dualisme dans la pensée », homme de littérature s’efforçant de concilier les contraires (apparents), Borges parlait effectivement du présent, mais à sa manière, « en restant fidèle à ses conceptions littéraires », en « créant une esthétique non réaliste pour parler de la réalité contemporaine », comme le souligne Annick Louis. Selon elle, l’une des originalités de Borges est de n’avoir jamais cessé de « postuler le réel comme une énigme » et non comme un donné transparent. C’est ce traitement original qui l’a rendu pour nombre de ses contemporains « illisible ». L’auteur continue d’explorer l’esthétique fictionnelle oblique de Borges, mais cette fois pour les œuvres postérieures aux années quarante, dans un second volume à paraître intitulé Les fictions du contemporain.

NOTES

[1Thibault Roques est étudiant en Master 2 de sociologie à l’ENS Lettres & Sciences Humaines.

Note de la rédaction

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