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Chantier interdit au public. Enquête parmi les travailleurs du bâtiment

Un ouvrage de Nicolas Jounin (La Découverte, coll. "Textes à l’appui / enquêtes de terrain", 2008)

publié le lundi 8 septembre 2008

Domaine : Sociologie

Sujets : Travail

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Par Guillaume Rollet [1]

Il s’agit ici du premier ouvrage d’un jeune maître de conférence de Paris VIII, Nicolas Jounin, rattaché au laboratoire URMIS (Unité de recherches Migrations et société). Cet ouvrage s’inspire de sa thèse de doctorat Loyautés incertaines. Les travailleurs du bâtiment entre discrimination et précarité, mais comme l’indique l’auteur, il ne s’agit pas d’une « version allégée, plus accessible de la thèse, une sorte de sous-produit, mais bien d’une autre forme d’exposition ». De plus, il est à noter la collection dans laquelle est éditée cet ouvrage. Il s’agit de la collection Textes à l’appui / enquêtes de terrain, aux éditions La Découverte, qui est dirigée par Stéphane Beaud. Cette collection a clairement pour but de mettre en valeur les travaux sociologiques d’inspiration ethnographique, dans la même veine que le manuel d’enquête de terrain qu’avaient co-écrit Stéphane Beaud et Florence Weber. Ceci constitue l’une des premières caractéristiques de l’ouvrage, il s’agit de la description d’une enquête de terrain, qui est donc assez facile d’accès pour le néophyte. L’auteur insère de nombreux extraits d’entretiens ou de dialogues entendus sur les chantiers, et rend ainsi son ouvrage plus vivant, et permet de mieux éclairer son propos.

L’auteur fournit la thèse de son enquête dans sa conclusion : « contre les risques contre-productifs d’un travail marchandisé où le seul ressort de la fourniture de force de travail est la discipline (par la surveillance en chantier, mais aussi les statuts d’emploi, le chômage, les conditions de séjour...), le secteur du bâtiment développe parallèlement aux mécanismes de marché des protections ponctuelles, locales, informelles, créatrices de loyautés, qui dépassent le contrat de travail. Ces protections prennent la forme d’allégeances individuelles, mais aussi de « préférences ethniques », de discriminations racistes (la valorisation des uns impliquant la dévalorisation des autres). Le passage entre ces deux formes de protection est assuré par la généralité du recrutement par cooptation ». L’auteur examine cette thèse en articulant deux dimensions de la stratification sociale qui a lieu sur les chantiers : la multiplicités des statuts (embauché/intérimaire, entreprise principale/sous-traitant, ...), et sur les divisions « ethniques » et/ou de nationalités. C’est sans doute l’apport le plus important de l’ouvrage de Nicolas Jounin, notamment dans le premier chapitre (« Les « Mamadou » : l’humiliation ordinaire »), qui montre comment les positions et les jugements sociaux (y compris les formes de racisme et de discrimination) ne tiennent jamais à un unique élément mais à un ensemble de caractéristiques sociales des individus, qui relèvent davantage de la construction sociale, que d’un élément objectif, « naturel ».

Par ailleurs, au fil de la chronique de son enquête, Nicolas Jounin, cherche à théoriser certaines de ses observations, dans le cadre d’une sociologie du travail, et plus particulièrement d’une sociologie de l’intérim. Il met ainsi en évidence le problème de la « spirale de déloyauté » entre les intérimaires et les agences d’intérim, du fait que par le statut précaire les intérimaires ne sont pas incités à se rendre sur la mission, ce qui oblige les agences à envoyer plus d’intérimaires qu’il n’en faut, et cela renforce la « spirale ». Il contribue aussi à préciser la notion de précarité. En effet, au vue du droit du travail, la précarité sur le marché du travail est défini par le fait d’avoir un contrat à durée déterminée, et donc d’avoir une situation d’instabilité. Or les débats sur les nouveaux contrats de travail (CNE/CPE), ont remis en cause cette définition de la précarité qui ne pouvaient s’appliquer dans ces cas-là. L’auteur montre qu’il en est de même pour l’intérim, où la précarité se situe moins dans l’instabilité (de fait certains intérimaires restent sur un chantier du début à la fin), mais sur l’incertitude sur la fin du contrat, car celle-ci peut arriver à tout moment. Enfin, avec le phénomène qu’il nomme « l’externalisation des illégalités », il montre que le recours à l’intérim et à la sous-traitance ne s’avèrent rentables qu’au prix de certaines illégalités.

Cependant, on pourra reprocher à l’ouvrage son aspect « chronique d’enquête ». En effet, le seul fil directeur est la chronologie de l’enquête (excepté pour les deux derniers chapitres), ce qui rend assez confus la démonstration de l’auteur. L’auteur justifie ainsi ce parti pris : « le texte perd en références théoriques et en rigueur démonstrative, mais il gagne en clarté quant aux circonstances de l’enquête ». De fait, l’auteur cherche à partager l’expérience particulière du sociologue en observation participante sur un terrain méconnu du grand public, et il y parvient assez bien. Toutefois, ceci se fait au détriment d’une certaine rigueur scientifique, et le lecteur intéressé ne peut qu’être un peu déçu face à des développements théoriques qui ne sont pas poussés à leur terme.

En définitive, cet ouvrage intéressera particulièrement les non-sociologues, ou les étudiants qui connaissent mal les méthodes d’enquête de terrain, et en particulier l’observation participante. A cet égard, l’annexe méthodologique, ainsi que les nombreuses questions déontologiques abordés au fil de l’ouvrage (comme lorsque l’auteur prend la décision d’alerter l’inspection du travail), sont très intéressantes et très éclairantes sur cette façon de travailler, et permettent de répondre de manière satisfaisante à la plupart des problèmes que posent cette méthodologie. Certains économistes pourront aussi trouver leur compte dans cette approche empirique d’un élément du marché du travail, qui relève comment s’opère la rentabilité des différentes politiques d’entreprise. Le sociologue qui cherche des développements théoriques plus aboutis préféra se référer directement à la thèse de Nicolas Jounin, qui est disponible en ligne sur le serveur TEL (Thèses en ligne) [2].

NOTES

[1Etudiant en sociologie à l’ENS Cachan

[2La thèse de Nicolas Jounin est accessible à l’adresse suivante : http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00182439/fr/.

Note de la rédaction

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