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Classe laborieuse, orientations politiques et engagements militants

Un dossier de la revue "Les Mondes du Travail" (n° 6, septembre 2008, 10 €)

publié le lundi 2 mars 2009

Sujets : Travail

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Par Igor Martinache

Parler de classe laborieuse, comme le fait l’intitulé de ce dossier des Mondes du travail n’est pas anodin. Les auteurs se sont ainsi démarqués du qualificatif plus courant de « populaire », comme pour insister sur leur place déterminante dans les rapports de production. Mais c’est surtout le singulier de l’expression qui peut intriguer. Faut-il en déduire qu’il y aurait une homogénéité suffisante dans la condition de ses membres, et partant dans leurs attitudes et comportements ? Et en particulier dans leur rapport au politique, puisque tel est l’objet du présent dossier ?
La question n’est pas réellement abordée, mais reste que le simple emploi du singulier oblige le lecteur à se la poser, là où le pluriel fourre-tout la dissimule par routine. La notion de « classes populaires » fait cependant elle l’objet d’une remise en question par Samia Moucharik. Se plaçant dans le domaine strict de l’étude des représentations et subjectivités politiques, celle-ci remarque tout d’abord le succès de cette notion depuis les années 1990 dans les analyses des attitudes politiques. Celle-ci devient ainsi une clé d’explication centrale des résultats électoraux, comme de la défection dont font l’objet certaines organisations de gauche. Ce n’est pourtant pas faute de mises en garde de politistes quant au flou sémantique et aux fortes connotations dont sont entourées les deux composantes de l’expression, « classe » et « populaire ». Remarquant que la notion de « classes populaires » a succédé à celle de « classe ouvrière », frappée de disqualification au tournant de la crise des années 1970, mais a au passage été vidée de l’essentiel de sa substance pour être le plus souvent réduite à sa seule dimension politique. Une subjectivité « néoclassiste » est souvent prêtée aux membres des classes populaires, qui, selon les chercheurs, se définiraient ainsi par opposition aux « classes supérieures ». Or, l’appartenance au « peuple » est davantage plaquée par le chercheur que réellement vécue subjectivement comme telle par les intéressés pour Samia Moucharik. Celle-ci repère une autre imputation posée a priori par les chercheurs aux membres des « classes populaires » : la conscience ethnique, qui se serait substituée à l’identification ouvrière. Les critiques de l’auteure touchent assez juste et la nécessité affirmée à enquêter de manière non directive sur cette question des subjectivités, sans être nouvelle [1] , mérite d’être rappelée.

L’article de Karel Yon s’avère ainsi une mise en application de ces recommandations. Celui-ci propose ainsi quelques pistes de compréhension des modes de politisation de travailleurs peu qualifiés à travers une seule étude de cas : celle d’une femme d’une quarantaine d’années devenue permanente au Syndicat Général de la Police (SGP) lui même membre de la Confédération Générale du Travail-Force Ouvrière (CGT-FO), alors que sa socialisation initiale ne l’y inclinait guère. L’auteur restitue ainsi toute la progressivité de la « carrière » [2] qui l’ont menée à cet engagement improbable. Adhérant initialement pour des raisons « utilitaristes » (une « accélération » de son intégration à l’école de police), il lui a fallu ainsi entre autres pénétrer la spécificité du langage syndicaliste, ce qu’ont largement permis les formations internes, et l’idéologie relativement ouverte de l’organisation concernant les questions politiques hors-travail. Karel Yon met cependant bien en évidence le repérage approximatif de son enquêtée quant au paysage politique et le rôle déterminant de « leaders d’opinion » dans la détermination de débouchés partisans possibles. Il met ce faisant en évidence, contre les prénotions courantes, un « désamorçage initial des potentiels effets de l’engagement syndical » qui a permis paradoxalement une légitimation progressive de l’activité politique aux yeux de son enquêtée. Ce renversement des logiques de politisation, qui explique notamment pourquoi de tels processus peuvent souvent être déniés comme tels, n’est pas sans présenter un certain intérêt, et gagnerait à ce titre à être « testé » dans d’autres formes d’organisation collective.

Le dossier est complété par une réflexion théorique de Salvo Leonardi sur les transformations des orientations politiques de la classe laborieuse à partir du cas italien. Le propos de l’auteur est parfois dur à suivre, et la convocation de très nombreuses, mais pas nécessairement cohérentes, références bibliographiques n’est sans doute pas étrangère à cela. On trouvera également un entretien avec Guy Michelat et Michel Simon, qui reprennent certains éléments de leur ouvrage Les ouvriers et la politique, dont certains éléments méthodologiques comme leur fameuse définition des « attributs ouvriers » qui permet une approche plus fine de l’appartenance à la classe ouvrière, ainsi que les échelles d’« autoritarisme » et de « libéralisme économique » élaborées avec Etienne Schweisgut. Ils remarquent ainsi à la suite de ce dernier [3] que si l’on constate que s’affirme depuis quelques années une demande de « remise en ordre » particuliérement marquée parmi les classes populaires, les attitudes xénophobes connaissent dans le même temps un reflux massif. Enfin, contre le lieu commun de la « dépolitisation » des ouvriers, ils constatent au contraire que l’intérêt déclaré pour la politique a au contraire bondi entre 2002 et 2007 et affirment ainsi que l’on assiste à une « détérioration, non de l’intérêt pour ce que « politique » veut dire, mais du rapport au système politique institué et aux personnels qui l’incarnent » (p.45).

Dans leur contribution, Damien Bucco et Dominique Loiseau explorent à un phénomène peu et mal connu mais qui devrait gagner en importance du fait des évolutions démographiques : le syndicalisme des retraités [4]. C’est plus particulièrement des épouses de syndiqués dont il est question dans cet article, et plus particulièrement de leur rapport ambigü aux organisations représentatives. Souvent reléguées à un statut de « femme de » et aux activités conviviales qui rythment la vie syndicale, elles peuvent aussi prolonger l’engagement de leur époux quand celui-ci vient à disparaître, qui rend bien compte de la dimension centrale de la « fidélité » dans ce type d’engagement. La conversion d’un engagement de « complémentarité » à une participation directe à l’action syndicale est en tout cas loin de s’opérer sans tension. Cette problématique illustre en tous cas, s’il fallait encore le prouver, que que l’engagement direct des femmes dans l’espace professionnel, et a fortiori syndical ou politique, « reste indissociable des charges domestiques et éducatives leur incombant, si bien que leur accès à cette forme de citoyenneté est encore loin de constituer un combat pleinement abouti » (p.88).

Enfin, pour clôre ce dossier, Valérie Cohen revient pour sa part sur les mobilisations de chômeurs. C’est plus particulièrement leur devenir depuis leur acmé de l’hiver 1997-1998 [5]] qui fait l’objet de son questionnement. Après avoir retracé l’essor d’AC ! (Agir contre le Chômage !), elle montre comment les conflits internes au mouvement se sont intensifiés quand l’action militante s’est affaiblie après avoir pourtant reçue une reconnaissance institutionnelle. Parallèlement, la cause du chômage a vu sa place se transformer et reculer dans l’espace militant, ce qui a favorisé un désengagement des militants, et surtout le non-renouvellement de ceux qui vieillissaient. Les plus jeunes chômeurs semblent ainsi ne plus assumer - et même reconnaître avec la flexibilisation du « marché » du travail - le stigmate lié à leur situation et qu’impliquerait l’engagement pour cette cause. 

A noter enfin « hors-dossier » un éditorial très pédagogique et « engagé » de Jean-Jacques Chavigné sur les réformes en cours du système de retraite. L’auteur y voit sans ambiguîté une « marchandisation » progressive et rappelle utilement après Bernard Friot la dimension de salaire indirect - et non différé comme on le dit parfois à tort - que représentent les cotisations sociales [6], la lecture catastrophiste très idéologique des réformateurs du système de retraite qui ne tient pas compte du doublement annoncé de la richesse nationale d’ici 2050. A lire également un entretien avec Oskar Negt, héritier de l’école de Francfort mais critique d’Habermas et d’Honneth et, sans doute à ce titre insuffisamment connu de ce côté-ci du Rhin. Rappelant le rôle primordial de l’espace physique dans les conflits sociaux et la socialisation politique, il y présente également (trop) brièvement son concept heuristique d’espace public oppositionnel, construit en opposition directe à celui d’espace public chez Habermas.

Quoique dépaysant, l’article de Paul Jobin ne permettra pas vraiment au lecteur de s’aérer. L’auteur y revient sur la difficile reconnaissance au Japon du karôshi, la « mort par surtravail », à travers l’exemple du procès intenté en 2007 à Toyota par une jeune veuve dont le mari est mort à trente ans d’un infarctus du myocarde suite à un nombre impressionnant d’heures supplémentaires réalisé. Mettant en évidence la face sombre du toyotisme encore trop souvent vanté sous nos latitudes, ce procès et son issue - la condamnation de la firme automobile- a contribué avec d’autres décisions similaires et surtout la mobilisation d’associations de victimes de karôshi à faire reconnaître par le système public d’indemnisation le caractère pathogène du surtravail et du « maltravail ». Même si la conception en reste encore restrictive à plusieurs égards, le progrès est notable et gagnerait à être suivi en Europe, où la reconnaissance de l’origine professionnelle de nombreux accidents ou maladies cardiaques ou cérébrales reste encore un « angle mort de la santé publique ».

Jean-Philippe Melchior s’intéresse enfin dans son article à la question du temps de travail, défendant la thèse que celle-ci se situe « au centre du rapport capital/travail ». En témoignent le brouillard idéologique qui entoure la question. La confusion entre durée légale et durée réelle de travail est ainsi soigneusement entretenue par les pourfendeurs des « 35 heures » : avec 38 heures hebdomadaires en moyenne, les salariés français sont ainsi nettement au-dessus de la moyenne de l’Union Européenne à 15 (37,2 heures), et en particulier des pays pris pour modèles par nos dirigeants, Royaume-Uni en tête (36,9 heures) [7]. Contre l’idée reçue qui voudrait ensuite que les lois sur les 35 heures aient été préjudiciables à l’emploi, il rappelle ainsi que toutes les études convergent à montrer l’effet inverse de cette mesure, y compris celle de la DARES, qui appartient au ministère du Travail. Il rappelle également quelques éléments centraux et -pourtant ?- occultés du débat actuel : la question de la productivité horaire [8], qui, il n’est pas inutile de le rappeler, est en France une des plus élevées au monde, mais aussi l’annualisation du temps de travail [9] qui a représenté une contrepartie plus que compensatrice pour les employeurs de la RTT sans perte de salaire. Enfin, la défiscalisation des heures supplémentaires n’est pas sans contradiction avec le discours de justification qui l’entoure - le fameux « travailler plus pour gagner plus », puisque les nouvelles heures se concentreraient très largement -90% selon l’Observatoire Unitaire des Politiques Sociales [10] sur les salariés qui en effectuaient déjà [11]. Ce sont en effet très largement les employeurs, et non les salariés eux-mêmes, qui déterminent les horaires de travail. Avec de surcroît à l’allongement du « forfait cadre » à 282 jours par an à condition d’un accord d’entreprise, on assiste selon l’auteur avec les récentes réformes à une suppression de fait de la durée collective de travail. Outre les conséquences que ce cocktail d’intensification et de flexibilisation du travail risque de faire peser sur la santé physique et mentale des salariés, il semble préfigurer une désynchronisation complète des temps sociaux, comme le récent débat sur « le travail du dimanche » l’a illustré. Autrement dit, l’affirmation de Stephen Bouquin dans son habilitation à diriger des recherches selon laquelle « nous sommes passés à une société où l’ensemble des secteurs tend à basculer dans une activité continue » tend bel et bien à se réaliser. Reste qu’à force d’être ainsi maltraitée, la « valeur travail » tant vantée par les dirigeants actuels pourrait bel et bien choir de son piédestal.

NOTES

[1Cf notamment le texte classique de Pierre Bourdieu, « L’opinion publique n’existe pas », Les temps modernes, n°318, janvier 1973, pp.1292-1309. Repris dans Questions de sociologie, Paris, Minuit, 1984, pp.222-235

[2Cf Howard Becker, Outsiders, Paris, Métaillié, 1985 [1965]

[3Cf Etienne Schweisgut, « Le trompe-l’oeil de la droitisation », Revue Française de Science Politique, vol.57, n°3-4, juin-août 2008

[4Voir cependant sur l’action collective de ce groupe social hétérogène l’ouvrage de Jean-Philippe Viriot-Durandal, Le pouvoir gris, Paris, PUF, coll. « Le lien social », 2003

[5Cf Emmanuel Pierru et Sophie Maurer, « Le Mouvement des Chômeurs de l’hiver 1997-1998. Retour sur un "miracle social" », Revue Française de Science Politique, vol. 51, n° 3, juin 2001, pp. 371-407

[6Et que dissimule effectivement le terme très biaisé de « charges » pour les désigner

[7D’après Eurostat pour le deuxième semestre 2006

[8C’est-à-dire la « valeur ajoutée »- richesse d’un point de vue économique-, créée en moyenne par une heure de travail d’un salarié

[9Autrement dit la comptabilisation du temps de travail sur un an au lieu d’une semaine, qui permet une gestion beaucoup plus flexible de la main-d’oeuvre par les employeurs

[10Voir les analyses de ce groupe de « contre-expertise » sur http://sarkoups.free.fr/

[11Voir notamment le billet de Denis Clerc sur le site du mensuel Alternatives économiques : "Le scandale des heures supplémentaires"

Note de la rédaction

À lire aussi dans la rubrique "Lectures"

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