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Coalitions partisanes

Un numéro de la revue "Politix" ( De Boeck, n° 88-vol.22, 2009, 248 p.)

publié le mardi 30 mars 2010

Domaine : Science politique

Sujets : Politique

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Par Igor Martinache

La récente campagne des élections régionales a rappelé, s’il en était encore besoin, que le fonctionnement concret des institutions délibératives restait largement inconnu des citoyens. Les enjeux démocratiques d’une telle méconnaissance n’ont pas besoin d’être développés, et nul doute en la matière que la manière dont les « grands » médias (ne) rendent (pas) compte de la vie politique n’est pas étrangère à la question [1]. Parmi les aspects les moins avouables du fonctionnement routinier des assemblées territoriales, la formation fréquente de coalitions interpartisanes figurent incontestablement en bonne place. C’est donc tout le mérite de cette dernière livraison de Politix que de se pencher sur cette pratique non dénuée de contradictions.

Dans un article introductif, les coordinateurs du dossier, Nicolas Bué et Fabien Desage, proposent un état de la littérature sur le sujet. Exercice délicat, car comme les deux auteurs le constatent d’emblée, « reflet de l’omniprésence du phénomène, l’étude des coalitions de gouvernement constitue l’un des domaines les plus actifs de la recherche internationale en science politique depuis une cinquantaine d’années ». Mais évidemment, un village de chercheurs « résiste à l’envahisseur », en l’occurence le champ de la science politique française. Les auteurs avancent quatre hypothèses pour expliquer ce relatif désintérêt de la communauté scientifique - qui laisse la part belle aux essais journalistiques et « psychologisants », avant de suggérer que ce sous-champ à part entière de la discipline sur le plan international a été dominé par le paradigme du choix rationnel, ensuite tempéré par l’introduction des croyances individuelles au principe des « actor-oriented theories ». Ce relatif monisme théorique laisse de nombreux aspects du phénomène dans l’ombre, que les travaux actuels - dont ceux rassemblés dans ce dossier [2]- s’efforcent d’explorer, tels certains éléments de contexte plus difficilement objectivables, l’unicité partisane - un parti pouvant lui-même être envisagé comme une forme de coalition, comme le contexte français actuel tend à le suggérer...-, l’institutionnalisation des coalitions - c’est-à-dire leur dimension dynamique, à la fois leur « inscription dans des relations partisanes plus anciennes » et la manière dont elles acquièrent une consistance propre-, et leur autonomisation, et enfin leurs processus concrets de gouvernement et la façon dont elles sont vécues par les militants des formations impliquées.

Dans leur contribution, Elie Burgos, Oscar Mazzoleni et Hervé Raynier reviennent ainsi sur la genèse et l’institutionnalisation de la « formule magique » en Suisse, alliance gouvernementale qui a assuré pendant près d’un demi-siècle - de 1959 à 2003- une stricte répartition des sièges entre les quatre principaux partis du pays (Parti Socialiste (PS), Parti Radical-Démocratique (PRD), Parti Démocrate-Chrétien (PDC) et, à partir de 1971 - année où, rappelons-le, les femmes ont obtenu le droit de vote et d’éligibilité aux scrutins fédéraux-, Union Démocratique du Centre (UDC) ) : 2 sièges au Conseil fédéral chacun et un seul pour le dernier nommé. Reconduite tous les quatre ans mais dépourvue de programme, celle-ci s’appuyait comme souvent sur un accord non contraignant, mais néanmoins strictement respecté dans la mesure où il constituait un « point de convergence des attentes entre les différents compétiteurs à leurs jeux tactiques ». Les auteurs notent ainsi que cette solution de compromis est à envisager à la fois comme une série de connivences soigneusement entretenues et de micro-ajustements souvent inconscients, dont l’apparente stabilité ne doit pas occulter les « luttes incessantes pour les places ». C’est précisément la rupture de ces équilibres précaires et nécessitant donc un travail d’ajustement constant avec l’irruption de la « nouvelle UDC », qui compte notamment le désormais célèbre millionnaire zurichois Christoph Blocher dans ses rangs, qui viendra progressivement rompre cette alliance particulière de gouvernement, non sans changer la représentation attachée aux membres du Conseil fédéral.

Les tensions qui animent les coalitions sont bien plus manifestes dans le cas belge, qu’analyse pour sa part Cécile Vigour. Celle-ci met tout d’abord en évidence les caractéristiques structurelles du champ politique national -quatre en l’occurence- qui pèsent sur la formation de coalitions Parmi elles, dans une perspective quelque peu rokkanienne, les trois clivages qui structurent la société belge au-delà du seul jeu électoral : entre laïcs et catholiques, progressistes et conservateurs et bien entendu entre Wallons et Flamands. Autant de tensions potentielles que le jeu coalitionnel a finalement pour fonction de juguler, ainsi que le suggère la règle tacite d’une « parité linguistique » entre francophones et néerlandophones.La question essentielle est cependant celle du périmètre des coalitions, qui évolue d’’un scrutin à un autre en fonction des rapports de force entre partis. Ceux-ci jouent ainsi un rôle important dans la définition du programme d’action de gouvernement négocié à l’issue des élections, mais également pour l’ensemble des réformes de lois initiées en cours de mandature. Les partis représentent ainsi les principaux veto playersreprésentent ainsi les principaux veto players, comme l’explique l’auteure en s’inscrivant dans l’approche de George Tsebelis [3], c’est-à-dire les acteurs incontournables dans l’impulsion des textes, mais également dans les modalités de leur négociation et leur contenu même, au point que certains députés se plaignent d’être réduits au rôle de « presse-bouton ». Une institution particulière sise au sein du gouvernement est ainsi centrale dans la fabrication des compromis : l’intercabinet, dont l’auteure décrit le fonctionnement.

Autre lieu et autre échelle avec l’article de David Guéranger, qui s’intéresse à la fixation du Plan Local d’Urbanisme dans la municipalité parisienne sous la mandature 2001-2008, dirigée par une coalition entre socialistes et Verts. Inversant la focale habituelle des travaux sur la coalition qui étudient la politisation de l’administration en résultant, il étudie au contraire les effets de l’administration sur les coalition. Les relations entre élus et fonctionnaires, comme il le rappelle après d’autres, sont en effet animées par un jeu d’anticipations croisées. Et dans le cas étudié, la mise en scène publique de leurs désaccords par certains élus écologistes - sous pèse d’un poids important sur cette dynamique. L’auteur montre ainsi comment les membres de l’administration érigent un certain nombre de « remparts » pour prévenir une éventuelle « contamination politique », c’est-à-dire un conflit qui paralyserait leur travail.

Autre coalition municipale qui sert de cadre à la contribution de Nicolas Bué : celle de l’union de la gauche à Calais entre communistes et socialistes entre 1971 et 2008. Celui-ci sert cependant une analyse plus générale de l’auteur sur le rôle et les effets des accords de coalition. Ces contrats, comme il l’explique, sont loin de se réduire à leur contenu formel. Celui-ci est en effet volontairement suffisamment labile pour laisser la place à l’expression de rapports de force - que la forme contractuelle, occulte d’une manière plus générale [4]- ainsi qu’à leur instrumentalisation par les différents acteurs de la coalition. « Ils font office de cadre au triple sens de répertoire de ressources et de contraintes stratégiquement mobilisées par les acteurs, de structure donnant sens à la situation d’alliance, et de dispositif d’ajustement des actions entreprises par les coalisés » (p.110) et constituent en fin de compte principalement « un ensemble de ressources et de contraintes qui encadre plus ou moins les comportements des coaliés, particulièrement en conjoncture routinière » (p.113).

C’est cependant au niveau intercommunal que les alliances « contre nature », entre forces partisanes a priori opposées sont le plus courantes, au point de constituer la norme, comme le détaille Fabien Desage dans sa contribution. A partir du cas lillois, l’auteur étudie le mode de cogestion interpartisane particulier de l’action publique locale qui se développe dans ces structures de politiques publiques locales au poids aussi croissant qu’elles ne sont récentes. L’auteur déconstruit en particulier le discours indigène des participants qui met en avant le « consensus » qui règnerait dans ces arènes, et qui contribue ce faisant largement à la dépolitisation de leurs prérogatives. Loin d’être dénué d’ambiguïté, ces consensus constituent en fait bien davantage des compromis, comme le montre l’auteur en mettant en évidence l’intense travail de conciliation des intérêts des différentes parties prenantes à la coalition qui s’effectue en amont et a institutionnalisé ce mode de gouvernement particulier. Ce « régime de consensus » permet ainsi aux différents groupes qui y participent de se partager la « manne intercommunale » au profit de leurs municipalités respectives, mais également de minimiser les risques et incertitudes de la compétition partisane ordinaire, en agissant comme un « pacte de non agression » entre les parties prenantes. Il contribue ce faisant à l’ « autonomisation du jeu politique par rapport aux prescriptions externes et aux contraintes de clivage, et dans une certaine mesure, vis-à-vis des effets du scrutin eux-mêmes » (p.145-146). Pour l’auteur, c’est une véritable « révolution silencieuse » du pouvoir local qui est ainsi à l’oeuvre, qui participe plus largement du « mouvement de standardisation idéologique de l’action publique locale » repéré au cours des deux dernières décennies par d’autres auteurs [5].

Pour conclure ce dossier, Stéphanie Dechezelles s’intéresse à la réception des coalitions sur les militants des formations impliquées dans celles-ci. Le cas étudié est cette fois celui de la Casa della Libertà au gouvernement italien de 2001 à 2006. Dirigée par Silvio Berlusconi, celle-ci regroupait notamment le parti de ce dernier, Forza Italia, la Ligue du Nord d’Umberto Bossi, Alliance Nationale ainsi que plusieurs petites formations réunies dans l’Unione Democristiana di Centro. A travers une démarche méthodologique intéressante, l’auteure réinterroge le matériau de sa thèse - à savoir 90 entretiens réalisés auprès de jeunes membres des trois premières formations évoquées- pour examiner les conséquences de cet accord sur ces derniers. Elle met ainsi en évidence les effets différenciés, à la fois sur la carrière militante que les discours - deux dimensions en fin de compte indissociables-, en fonction des formations à laquelle appartiennent les enquêtés considérés. Elle montre ainsi notamment comment le passage de leur formation d’un statut d’« opposant » à celui de « dominant » place les jeunes militants des formations face à des prescriptions de rôles contradictoires, et les oblige à mettre en œuvre des stratégies de réduction de la dissonance. Sans surprise, les moins critiques sont ceux de Forza Italia, qui sont également ceux qui ont le plus à attendre en termes de rétribution du militantisme, à l’inverse de ceux de la Ligue du Nord, formation la plus idéologisée - porteuse en l’occurence de l’ « héritage » fasciste-, où les perspectives de carrière juvéniles sont les plus faibles, et où la coalition est donc la plus critiquée.

Dans la partie Varia, deux articles complètent ce numéro, non sans faire du reste résonnance avec le thème du dossier. Elsa Vivant revient en effet pour sa part sur l’abandon par François Pinault en 2005 de son projet de fondation d’art contemporain sur l’emblématique Île Seguin de Boulogne-Billancourt. Elle montre ainsi comment ce milliardaire qui, rappelle-t-elle, « comme beaucoup d’hommes d’affaires français de [sa] génération [...] a su tirer profit de la privatisation des entreprises publiques dans les années 1980 », a tenté - et partiellement réussi- un coup symbolique contre les pouvoirs publics, tant dans le montage du projet que dans la justification de son retrait. Mais au-delà de cette affaire particulière, ce sont les ressorts de la montée d’une conception instrumentale de la culture dans la production urbaine que l’auteure met en lumière, elle-même à mettre en lien avec la mise en concurrence généralisée des territoires locaux [6]. Un mythe s’est ainsi constitué autour des retombées « forcément » positives des équipements culturels - comme du reste sportifs- qui amène également le déni des conflits d’intérêt et rapports de force dans le partenariat public-privé qui se généralise dans ce domaine comme dans d’autres, conformément aux prescriptions du New Public Management.

Changement radical de décor avec Sylvaine Bulle, qui nous emmène à Jérusalem-Est. A partir d’une longue immersion sur ce territoire on ne peut plus traversé de tensions - et de la « clôture de sécurité »...-, elle adopte un cadre d’analyse interractionniste et pragmatique pour rendre compte des actions mises en œuvre par les Palestinien-ne-s vivant dans cette zone. Entre autres exemples, le fait pour de jeunes femmes réfugiées de déclarer faussement leur enfant né dans un hôpital de Jérusalem comme naturel ou adultérin pour lui permettre d’acquérir le statut de résident de la ville, alors même que l’adultère et la conception hors mariage font l’objet d’une stigmatisation aiguë parmi les Musulmans. Pour comprendre ces pratiques, il s’agit cependant pour l’auteure de se rapporter au sens particulier de la justice que ces agent-e-s déploient en situation. « Une approche structurelle, explique-t-elle au terme de son étude, n’est pas suffisante pour expliciter les conduites individuelles [...] les tactiques, ruses et autres opérations illégales ne sont pas des effets mécaniques ou systémiques de la souveraineté israélienne, qui commanderait à elle seule les rôles distribués aux dominants et aux dominés. Il apparaît nécessaire alors de reconsidérer les actions personnelles, non pas sous le prisme de l’intériorisation individuelle des contraintes politiques et systémiques mais des capacités individuelles et de l’affermissement de soi ». Une recommandation méthodologique qui dépasse de loin le cas limite étudié ici, et peut s’appliquer à l’ensemble des études de « déviance ».

NOTES

[1Le contraste est assez frappant entre la lecture de la presse quotidienne régionale, et celle des journaux « alternatifs » bien plus confidentiels - comme le bimestriel amiénois Fakir, le bimensuel provençal Le Ravi, ou La Brique lilloise - sur cette question. Pour une interrogation critique sur le rôle des médias, voir le récent dossier « Critiquer les médias » de la revue Mouvements (n°61, janvier-mars 2010)

[2Lui même issu d’un colloque organisé fin 2008

[3Veto Players. How Political Institutions Work, Princeton, Princeton Unversity Press, 2002

[4Voir par exemple sur cette question les travaux d’Alain Supiot sur la contractualisation qui ébranle le droit du travail. Pour une bonne synthèse sur cette question, voir également Laurent Willemez, Le droit du travail en danger, Bellecombe-en-Bauges, éd.du Croquant, 2006

[5Lionel Arnaud, Christian Le Bart, Romain Pasquier, Idéologies et action publique territoriale, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007

[6Tant au niveau des grandes métropoles « globales », analysées notamment par Saskia Sassen (notamment La ville globale. New-York, Londres, Tokyo, Paris, Descartes et Compagnie, 1996 (éd.originale : 1991)) - voir aussi la conférence de cette dernière à l’Université de tous les savoirs ; voir aussi plus généralement l’article de François Cusset, « La foire aux fiefs », Le Monde diplomatique, mai 2007

Note de la rédaction

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