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Comment sont reçues les oeuvres

Un ouvrage sous la direction d’Isabelle Charpentier (Créaphis, 2006, 288 p., 35€)

publié le jeudi 1er mars 2007

Domaine : Sociologie

Sujets : Culture , Littérature

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Par Anne-Cécile Broutelle [1].

Cet ouvrage collectif se veut un bilan des études de réception des biens symboliques, qui constituent depuis les années 1970 un ensemble foisonnant et hétérogène de travaux issus de plusieurs disciplines, parmi lesquelles la sociologie tient une place majeure. Il fait suite à un colloque international et pluridisciplinaire qui s’est tenu sur ce thème en novembre 2003 au Centre de recherche en Science Politique de l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.

Le propos des études de réception des biens symboliques est d’appréhender les appropriations et usages multiples de ces biens culturels, artistiques, médiatiques et/ou politiques, par les différents publics. Elles puisent leurs orientations théoriques à des sources variées, et mobilisent notamment les concepts d’ « horizon d’attente », forgé par Hans-Robert Jauss, de « braconnage », issu des travaux de Michel de Certeau, ainsi que les conclusions de l’historien des mentalités Roger Chartier et les méthodes et objets d’étude développées par les Cultural Studies britanniques, courant inspiré par les travaux de Robert Hoggart sur la « culture du pauvre ».

Le paradigme central, qui unit la diversité des travaux sur la réception des œuvres, est l’idée que la réception est une appropriation, un processus actif donnant aux individus une prise sur le matériau consommé, renversant la vision d’un producteur omnipotent capable d’imposer le sens qu’il a voulu donner à son œuvre et, de ce fait, l’unicité de l’interprétation. La différenciation entre les individus s’opère autant, si ce n’est plus, par la pluralité des modalités d’appropriation des œuvres que par l’inégale distribution de ces dernières. Le récepteur n’est donc pas une victime passive, ce qui va à l’encontre des inquiétudes véhiculées depuis l’Ecole de Francfort sur la manipulation des masses par les médias.

Plusieurs articles viennent illustrer cet aspect de la théorie dans l’ouvrage considéré. Ainsi, Christine Détrez montre que les adolescents se livrent, face aux produits de l’industrie culturelle, à des appropriations actives et créatives qui sont le contraire d’une aliénation. A travers une enquête sur la réception chez les jeunes des adaptations télévisées ou cinématographiques d’œuvres littéraires classiques, elle revient en outre sur la notion de légitimité culturelle pour questionner son évolution actuelle. Sara Bragg et David Buckingham se consacrent également aux réceptions des adolescents, interrogeant l’idée de sens commun selon laquelle les enfants sont débauchés par les programmes et revues médiatiques qu’ils consomment, y perdent leur innocence et leur autonomie de pensée. En réalité, affirment les auteurs, les médias offrent aux jeunes un ensemble de ressources symboliques et de figures genrées parmi lesquelles ils doivent faire un choix. Loin d’imposer une représentation, ils encouragent donc la réflexivité et la négociation des identités sexuées. Ils donnent aux jeunes les clés de leur développement personnel, les rendant responsables du maintien ou du dépassement de leur statut d’enfant.

Quittant le terrain des publics jeunes mais demeurant dans le champ d’investigation des identités sexuées, Isabelle Charpentier s’attache aux réceptions d’une « écriture de l’intime » à travers l’étude du courrier des lecteurs de Passion simple, d’Annie Ernaux. Elle montre que ce roman est reçu par les correspondantes comme un acte de courage subversif, dans la mesure où l’expression (crue) du désir féminin demeure largement taboue dans l’ordre social dominant. En outre, elle souligne que les nombreux épistoliers masculins se livrent à une appropriation sentimentale du roman sans s’en sentir dévirilisés. Afin de permettre une interprétation fine de ce type de dimorphisme sexuel, l’auteure lance un appel en faveur du développement en France de travaux sociologiques sur les masculinités hétérosexuelles.

Si les études sur la réception éclairent ainsi certains angles morts thématiques de la recherche, elles soulèvent aussi un certain nombre de questions de méthode. Lyn Thomas s’interroge ainsi sur la posture du sociologue et sur la difficulté de situer socialement les individus, entre risque de sur-interpréter des indices subjectivement perçus depuis sa propre position sociale et impossibilité de se renseigner de façon exhaustive sur tous les éléments d’une trajectoire et situation sociales. A partir d’un exemple de résistance d’une enquêtée dans la (re)construction de son identité par la sociologue, l’auteure met en évidence « l’importance de l’identité - si provisoire et construite soit-elle - , qu’il s’agisse d’identité de genre, d’identité ethnique ou de classe ». Elle propose dès lors d’engager la réflexion sur la négociation des identités très tôt dans la recherche, en demandant aux enquêtés de se définir eux-mêmes socialement préalablement à tout travail d’enquête, tout en conservant une attitude critique lors de l’interprétation.

Si le champ étudié se focalise, évidemment, sur la réception de l’œuvre, la volonté des auteurs est aussi de fragmenter le moins possible le procès de communication, et de décloisonner les catégories d’ « émetteur », de « message » et de « récepteur », notamment en montrant comment, bien que les récepteurs s’approprient activement les œuvres, les producteurs de l’œuvre (de l’artiste au(x) diffuseur(s)) peuvent et veulent souvent mettre en place des stratégies qui orientent les interprétations possibles. Plusieurs contributions de l’ouvrage illustrent ce point. Ainsi, Rémy Ponton montre comment les frères Goncourt, forts de leur intuition selon laquelle le succès d’une œuvre et ses publics ne sont pas déterminés uniquement par son contenu mais aussi par les présentations et médiations qui en sont faites, ont toujours voulu encadrer au plus près la réception immédiate de leurs œuvres. Ainsi, ils n’ont eu de cesse de développer des stratégies telles que l’adresse au lecteur par l’intermédiaire de pré- ou post-faces, la dédicace d’un certain nombre de volumes, l’attention aux supports choisis et à la maison d’édition (pour un roman) ou au journal (pour un feuilleton), et surtout la « course de leurs volumes », technique novatrice consistant à déposer eux-mêmes des exemplaires de leur ouvrage aux bureaux des journaux ou au domicile des critiques de profession, afin de les forcer à commenter leurs œuvres et donc à les faire connaître du grand public.

Par ailleurs, Frédérique Matonti analyse la revue « Nous les garçons et les filles », organe officiel du Mouvement de la Jeunesse Communiste Française dans les années 1960, pour montrer les tentatives constantes d’imposition de problématique dont elle est le support. Elle présente ainsi le magazine comme un cas limite de réception « présumée politique », pour reprendre l’expression développée par Brigitte Le Grignou dans sa synthèse des travaux sur la réception des programmes télévisés à contenu politique. Une autre contribution, de Fabrice Thumerel, analyse non plus l’action volontaire exercée par le volet « production » sur la réception d’une œuvre mais les effets sur cette dernière de la trajectoire et du positionnement dans le champ de son auteur, à travers l’étude de la carrière du dramaturge Valère Novarina. Enfin, Boris Gobille analyse la réception de trois romans d’Olivier Rolin, ancien responsable clandestin d’actions violentes de la Gauche Prolétarienne, comme une « fable contemporaine sur les ambivalences du vieillissement social » chez la génération de Mai 68, « ce passé qui ne passe pas ».

Un grand nombre d’autres contributions, ayant trait au contrôle des programmes télévisés, aux appropriations du roman à succès Les Particules élémentaires de M. Houellebecq, et aux réceptions transnationales des œuvres, complètent ce tableau des enjeux des études de réception. Ce champ demeure largement ouvert, comme en témoignent les problèmes soulevés en conclusion par David Morley, qui revient (entre autres) sur le modèle Encoding/Decoding de Stuart Hall, qu’il a déjà personnellement revisité, pour insister sur les questions qu’il suscite encore aujourd’hui.

NOTES

[1Anne-Cécile Broutelle est élève en sociologie à l’ENS Lettres et Sciences Humaines, où elle prépare actuellement l’agrégation de sciences économiques et sociales.

Note de la rédaction

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