« Le don quichottisme, me semble-t-il, c’est, pour l’essentiel, un désir obsédant de retrouver le passé derrière le présent. Si d’aventure un original se souciait un jour de comprendre quel fut mon personnage, je lui offre cette clé ». Ainsi parlait Claude Lévi-Strauss à Didier Eribon en 1988. Il avait alors quatre-vingts ans, et cette année 2008 est celle de son centième anniversaire que l’on se prépare à célébrer. Au cours de ce siècle C. Lévi-Strauss a accompli ce que peu de scientifiques réalisent : une carrière d’ethnologue des Amériques, une renommée d’écrivain et un rôle de déclencheur d’une révolution intellectuelle nommée « structuralisme ».
Acceptons donc cette clé qui nous est tendue. Ouvrons avec elle quelques portes dans l’œuvre du scientifique, du philosophe, du mémorialiste. Au présent, avec les exposés des meilleurs connaisseurs de son œuvre ou de ceux qui eux-mêmes l’ont eu pour maître et guide dans leurs études. Au passé : avec des textes inédits ou rarement vus de C. Lévi-Strauss, regroupés sous le titre « Regards éloignés » du numéro de juin 2008 du Courrier de l’Unesco et qu’une heureuse collaboration nous a permis de reproduire ici. Il y est question d’un humanisme - celui du langage universel de l’esprit, de l’efficacité des symboles, de l’inconfort de l’anthropologue, du triangle culinaire, tous thèmes où le passé affleure contre un présent qui éventuellement le refuse.
Au-delà des allégeances et des clichés, le temps autorise l’examen critique, mais aussi la relecture attentive de ce que les modes ont tendance à occulter. Laurent Barry, Emmanuel Désveaux, Philippe Descola, Françoise Héritier nous expliquent ce qui, dans leurs travaux sur la parenté, les mythes et les modes de pensée, prolonge les grandes intuitions de C. Lévi-Strauss. Vincent Debaene revient sur l’histoire des succès multiples de Tristes tropiques, Wiktor Stoczkowski sur les ambiguïtés d’un différentialisme trop précoce. Fréderick Keck prend la mesure de la leçon universelle de La Pensée sauvage. Maurice Bloch rappelle que ce fut un pas, souvent incompris, vers les sciences cognitives. C. Lévi-Strauss est encore un théoricien de l’art : pour Carlo Severi, son travail d’analyse symbolique a ouvert la voie d’une anthropologie de l’art, un chemin dont Anne-Christine Taylor nous montre comment il est en train de s’élargir. « Ce que nous allons chercher à des milliers de kilomètres ou tout près, ce sont des moyens supplémentaires de comprendre comment fonctionne l’esprit humain », ajoutait encore C. Lévi-Strauss en 1988. C’est à cette conviction d’anthropologue, pour qui le proche se dissimule dans le lointain, que se mesure la portée de son œuvre.
Nicolas Journet et Jasmina Sopova
Sommaire
Edito : Pour une archéologie de l’esprit humain
Claude Lévi-Strauss : Du Brésil au fauteuil de l’académie française
Claude Lévi-Strauss, le tourneur de pages
Trois moments d’un oeuvre
Lévi-Strauss en dix mots-clés
Les mythologiques, monument inachevé
Les limites d’une grande idée
Les mathématiques de l’homme
Offrir, c’est souhaiter
Les mutiples lectures de Tristes tropiques
À la recherche du monde perdu
Tous les hommes sont modernes
Sorciers et psychanalyse
Controverse sur la diversité humaine
La renaissance indigène au Brésil
1961 : La crise moderne de l’anthropologie
Claude Lévi-Strauss contre l’art magique
Anthropologie de l’art : le renouveau
L’art de donner du goût
Vers les sciences cognitives
Pourquoi je suis structuraliste
Actualité d’une oeuvre
Les sciences sociales sont un humanisme
Bibliographie