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Dans les pas des contrôleurs des prestations sociales. Travailler entre droit et équité

Un ouvrage de Anne-Lise Ulmann (L’Harmattan, coll. "Action et savoir", 2010)

publié le mardi 20 avril 2010

Domaine : Sociologie

Sujets : Droit

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Par Frédérique Giraud

L’ouvrage d’Anne-Lise Ulmann Dans les pas des contrôleurs de prestations sociales s’inscrit dans la lignée des ouvrages d’Alexis Spire [1], Yasmine Siblot [2] et Nicolas Duvoux [3] qui visent à montrer les « coulisses de l’état social » [4]. Issu d’une enquête de terrain menée aux côtés des contrôleurs des prestations sociales (expliquée et motivée dans le chapitre 7) l’ouvrage, qui fait la part belle aux propos des enquêtés, nous fait suivre le travail du contrôleur pas à pas : l’enquête (chapitre 3), la prise de notes (chapitre 4), la rédaction du rapport final (chapitre 5). Le livre s’ouvre « sur les pas de Daniel » contrôleur assermenté de la Caisse d’allocations familiales. Daniel a accepté que l’auteure suive de près son travail de contrôle : à l’ordre du jour un rendez-vous avec le directeur d’une école primaire pour un signalement d’absence scolaire, une vérification d’identité d’une dame demandant l’asile politique. Rendez-vous au domicile des personnes, rendez-vous aux Assedic.

La première partie de l’ouvrage (deux chapitres) dessine le nouvel agencement institutionnel des Caisses d’allocation familiales. Visage à la fois modernisé, gestionnaire et technocratique. Les Caisses d’allocations familiales sont prises dans le tourbillon de la modernisation des entreprises et des institutions publiques, nouvelle vision issue de la littérature managériale, qui vise à transformer les rapports avec les « usagers » des Caisses d’allocation familiales. Afin de pacifier les relations avec les « allocataires », ceux-ci doivent être considérés comme des clients. Outre la variation sémantique, cette nouvelle donne redessine la figure du contrôleur de prestations sociales. Celui-ci acquiert une nouvelle visibilité, ses fonctions s’étoffent mais en même temps que des procédures et des outils réglementent ses pratiques (une charte de contrôle organise son travail). La fonction de contrôle se déploie actuellement dans un contexte politique de suspicion généralisée à l’encontre des allocataires, que la figure du fraudeur permet de rassembler. [5] Si la fonction de contrôle est désormais un impératif jamais remis en cause, elle se heurte aux contraintes de l’organisation et à l’optimisation du ratio coût/efficacité : ainsi les contrôles visent-ils d’abord les sommes importantes et par voie de conséquence les personnes les plus fragilisées.

Attentive aux micro-ajustements dans l’action de contrôle, Anne-Lise Ulmann met en évidence une activité aux frontières incertaines, où l’interaction avec l’allocataire joue un rôle déterminant. La mise en application du droit est une épreuve avec le réel. Comment mener l’enquête ? Le chapitre 3 décrit de façon minutieuse ce en quoi consiste l’enquête. Les contrôleurs ne sont pas des bureaucrates qui appliquent froidement des règlements neutres et impartiaux, mais des hommes qui s’adaptent aux situations vécues par les allocataires. Ces ajustements résultent de « consensus tacites et collectifs de l’organisation toute entière pour résoudre la complexité de certaines situations » (p62). L’application de la législation implique un engagement du contrôleur. L’auteure distingue trois stratégies fréquemment mobilisées face aux allocataires : accommodement réciproque (trouver un consensus dans le réajustement des allocations à percevoir), échange (ajournement d’une prestation en raison d’une situation familiales ayant évolué et obtention d’une nouvelle prestation), omission (ne pas relever certains éléments déterminants pour le contrôle de la situation administrative et financière des personnes).

Il s’agit bien pour le contrôleur de reconstruire de la cohérence entre ce qu’il observe de la situation du prestataire, les règles qu’il doit appliquer et ses propres principes de justice sociale. Au-delà de la rencontre avec l’allocataire et de la négociation avec lui de la définition de sa situation administrative (il s’agit alors de s’entendre sur des dénominations (que recouvre la notion de couple, d’isolement), de remettre de l’ordre dans le dossier administratif), le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale constitue l’instance ultime de référence [6] : le fait que le contrôleur soit toujours soumis à cette sorte de « sur-moi » (p67) l’incite à rechercher un ensemble d’indices (impressionnistes, factuels) attestant de la situation. Les contrôleurs « font du béton » : parce que l’allocataire peut toujours revenir sur ses déclarations, le contrôleur peut avoir intérêt à lui faire signer des déclarations sur l’honneur, « le contrôleur manifeste davantage de croyances dans le pouvoir du papier, même sans valeur juridique, que dans celui de la parole » (p74). Anne-Lise Ulmann file la métaphore du jeu pour expliquer la situation de contrôle : allocataire et contrôleur s’affrontent, l’allocataire pour garder les prestations, le contrôleur pour démasquer une situation de fraude. [7].

La collecte orale des indices constitue la première phase du travail d’enquête, la seconde prend appui sur des notes prises par les contrôleurs. A partir d’une ethnographie de ces écrits, Anne-Lise Ulmann montre comment le rapport final prend forme dès la prise de notes personnelles du contrôleur. Les notes qui sont des écrits intermédiaires et privés sont déjà des écrits professionnels : organisées de façon simple et homogène, elliptiques, ne contenant jamais d’informations sur la situation particulière de l’allocataire, ces notes permettent au contrôleur de préparer le passage à l’écrit (rassembler la diversité du réel et coller à la forme du rapport). Les notes ont pour première fonction de stocker de l’information, de permettre des recoupements entre les chiffres produits par l’allocataire et ceux trouvés dans d’autres administrations, et sont donc constitutives du système de preuves. Par l’accumulation d’informations factuelles et chiffrées se dessine un « portrait moral de l’allocataire » : les notes constituent des « traces de l’activité d’énonciation de l’allocataire » (a-t-il révélé spontanément des changements administratifs ?, s’est-il prêté de bonne grâce aux contrôles ?). Les notes sont des soutiens pragmatiques qui assistent le travail de contrôle.

Document de synthèse résumant la situation de l’allocataire au regard de ses droits aux prestations, porteur des décisions prises au cours de l’enquête, il semble être la conséquence ultime de l’enquête : résultat final en découlant linéairement. Or le travail d’Anne-Lise Ulmann montre que cette conception dualiste logique du travail d’écriture du rapport recoupe mal ses observations. Même si l’écriture du rapport constitue bien une étape finale dans l’enquête, sa rédaction structure en amont toute l’enquête. Les hypothèses qui charpentent le travail d’investigation sont configurées par le rapport à écrire, de sorte que le rapport n’est pas un relevé de faits objectifs mais relève bien plus d’une construction articulant savamment documents administratifs, intuitions, connaissances routinisées et présentation standardisée (p146-150) : parce que le rapport doit permettre de qualifier, de clarifier une situation (il ne doit pas faire état d’hésitations ou d’interrogations) les éléments permettant d’instruire le dossier sont sélectionnés de façon à donner logique et cohérence à un ensemble de faits épars. Ainsi sous couvert de neutralité, le rapport du contrôleur Daniels sur Monsieur MY (dont des extraits sont reproduits p128-129) est-il surchargé en informations de façon à qualifier la situation en triche manifeste : usage de caractères typographiques (gras), ajouts d’éléments superflus. Mais à l’inverse, le contrôleur peut jouer sur le flou et gommer des précisions afin de ne pas en rajouter davantage ou user de litotes ou périphrases afin de laisser aux destinataires des rapports une marge d’interprétation.

S’il est un sujet sensible chez les contrôleurs, c’est celui des lettres de dénonciation [8], phénomène massif qui met aux prises les défenseurs d’un pragmatisme de bon aloi selon lesquels l’efficacité de l’action entreprise mérite qu’on les prenne en compte et ceux qui souhaitent les ignorer. Le chapitre 6 qui se base sur un examen des lettres de dénonciation envoyées à la CAF cerne des figures de la dénonciation. Intimité des situations dénoncées (les dénonciations les plus fréquentes sont le fait du voisinage), affirmations sans preuves, le « leitmotiv de ces lettres est la jouissance facile de ressources ou d’aides publiques indues ». La dénonciation, connotée négativement, s’oppose au signalement : le choix des mots employés n’est pas une simple question sémantique, il influe sur le destin de la missive.

Au final, Anne-Lise Ulmann livre une analyse méthodique et pointue sur les contrôleurs de prestations sociales. Restent cependant dans l’ombre les propriétés sociales des contrôleurs. La variation des registres de qualification des situations, d’ordonnancement des rapports pourrait être rapportée à l’origine sociale des contrôleurs, à leur mode d’insertion professionnelle (ce qui est fait en partie dans l’ouvrage), au choix du métier, à leurs conceptions de la justice sociale. Si à plusieurs reprises, l’auteure montre que les valeurs des contrôleurs orientent leur activité (exemple de Marc p82-83 qui reste indifférent à la notion de polygamie manifestée par l’allocataire contrôlé, exemple de Catherine p61 qui face à la confiance que lui accorde Madame D éprouve un profond mal-être), l’investigation systématique de ce pan-là de la réalité permettrait d’aller plus loin. Mais cette remarque doit se comprendre comme une volonté d’en savoir plus aiguisée par la qualité de l’ouvrage proposé.

NOTES

[1Spire, Alexis, Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets de l’immigration, Paris, Raisons d’agir, 2008

[2Siblot, Yasmine, Faire valoir ses droits au quotidiens. Les services publics dans les quartiers populaires, Paris, Presses de Sciences Po, 2006

[3Duvoux, Nicolas, L’autonomie des assistés. Sociologie des politiques d’insertion, Paris, Presses universitaires de France, coll. "Le lien social", 2009

[4Serre, Delphine, Les coulisses de l’Etat social. Enquête sur les signalements d’enfant en danger, Raisons d’agir, Coll. "Cours et travaux", 2009

[5Deux figures de l’allocataire s’opposent : la figure de l’allocataire-client promue par la logique de modernisation des services publics, et la figure de l’allocataire-fraudeur dont il faudrait se méfier

[6L’allocataire peut contester la décision du contrôleur et le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale se saisit du dossier

[7Ouvertement engagé dans le jeu qui consiste à ne pas se faire avoir par le tricheur, pour ne pas porter atteinte à son image et à la conception qu’il se fait de son rôle, le contrôleur, dans ces situations extrêmes est dans une position plutôt simple : celle d’un joueur qui doit gagner à tout prix » (p76)

[8« Les dénonciations peuvent être signées ou anonymes, orales ou écrites » » (p169)

Note de la rédaction

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