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De Gaulle et les élites

Un ouvrage dirigé par Serge Berstein, Pierre Birnbaum et Jean-Pierre Rioux (La Découverte, décembre 2008, 346 p., 24 €)

publié le lundi 9 mars 2009

Domaine : Histoire , Science politique

Sujets : Politique

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Par Igor Martinache

Nominations contestables - et contestées-, débauchage d’adversaires politiques, « amitiés » non dissimulées avec de nombreux grands patrons, déclarations méprisantes à l’égard du monde de la recherche ou des journalistes, etc. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’actuel président de la République française a incontestablement remis la question des « élites » au cœur du débat public. Par « élites », on peut entendre dans la perspective tracée par Pierre Bourdieu, les agents les mieux dotés en capital « global », qu’elle qu’en soit sa composition - économique, culturel, politique ou social. Cette définition en des termes peu familiers aux historiens aura du moins le mérite de souligner l’hétérogénéité de ces groupes sociaux aux frontières floues et surtout aux intérêts contradictoires, comme le remarque Serge Berstein dans son introduction.
Si les sociologues n’ont redécouvert que récemment l’opportunité d’étudier les membres de la « grande bourgeoisie » [1] ou les élites politiques [2], les historien-ne-s prêtent depuis bien longtemps attention aux membres des classes dominantes. Au point d’avoir adopté certains biais justement soulignés par les membres de l’Ecole des Annales et consistant à accorder une trop grande importance à la volonté de quelques « grands » personnages dans le changement social.

Le présent ouvrage collectif, issu d’un colloque organisé en 2007 par la Fondation Charles de Gaulle, vient ainsi non seulement restituer une épaisseur historique aux débats actuels, tout en corrigeant quelques mythes quant au dirigeant charismatique qu’incarnait le général De Gaulle. Car, à l’instar de ce qu’Howard Becker a bien montré pour les œuvres d’art [3], loin d’être un exercice personnel, la politique constitue une « production » éminemment collective, venant en fait objectiver l’état d’un réseau social composé des différents agents concernés d’une manière ou d’une autre par elle. Et loin d’être iréniques, les rapports que De Gaulle entretenaient avec les différents types d’élites étaient empreints de tensions diverses qui permettent - c’est l’hypothèse forte des auteurs- de rendre compte de nombreux événements de la vie politique française entre 1944 et le fameux référendum du 27 avril 1969 qui marqua le retrait en fanfare du général. 
Deux axes structurent les réflexions proposées par les nombreux auteurs : la représentation complexe que le général De Gaulle entretenait des « élites », et l’attitude réciproque de celles-ci vis-à-vis de celui-là. Il serait d’ailleurs plus juste de mettre ces expressions au pluriel tant ces relations ont pu être multiples et changeantes.

La première partie de l’ouvrage intitulée « un chef sans élite ? » revient ainsi sur la période précédent l’arrivée au pouvoir du général. Un examen crucial pour comprendre la conception que celui-ci s’est construite des élites. Qu’il s’agisse d’une socialisation familiale marquée par un certain culte du travail et des grands personnages de l’histoire de France, de sa carrière militaire où semblaient évoluer pour lui les seules vraies élites, ou de la solitude ressentie à Londres, ce sont autant de clés permettant de comprendre la méfiance, sinon le mépris, ressenti par le général vis-à-vis des dirigeants économiques et autres notables qui monopolisaient les fonctions électives de la Quatrième République tout en nourrissant un quasi-culte aux « grands corps » qu’il a largement contribué à renforcer. Cette conception ambiguë des élites met en fait en évidence les contradictions du caractère de de De Gaulle comme le remarque justement Julian Jackson, celles d’un « rebelle conservateur », d’un nationaliste « romantique » et pragmatique.

La deuxième partie, s’intéresse aux rapports entre De Gaulle et différentes catégories au cours de sa présidence : Marie-Christine Kessler revient ainsi sur la promotion des grands corps par un général soucieux d’amener la compétence à la tête des affaires publiques mais cependant conscient des risques de dérives corporatistes, Marc-Olivier Baruch prolonge cette conception ambiguë d’une compétence [4] à la fois consacrée et instrumentalisée en s’intéressant à la modernisation de l’Etat impulsée par le président. Maurice Vaïsse et Patrice Buffotot s’intéressent pour leur part aux élites de la Défense et confirment le constat d’une forte ambivalence dans les rapports entre De Gaulle et les dirigeants militaires, au sujet de la guerre d’Algérie évidemment, mais aussi du retrait du commandement intégré de l’OTAN.
L’émergence de nouvelles élites est au cœur de la troisième partie de l’ouvrage. C’est d’abord à une non-émergence que s’intéressent Jacques Frémeaux et Maria Romo-Novarrete dans leur article au sujet des élites autochtones en Algérie. Leur analyse fine de la représentation du département algérien avant son indépendance à l’Assemblée nationale et au Sénat permet de constater l’incapacité des pouvoirs métropolitains à intégrer les élites autochtones dans le processus d’indépendance et contribue à expliquer le tournant violent qu’a pu prendre dès lors celui-ci. Toute ressemblance...

Les conflits intestins entre différentes catégories des « élites » permet également de comprendre dans une certaine mesure l’échec - temporaire- de la régionalisation engagée par De Gaulle. C’est du moins ce que suggère fortement l’analyse de Patrice Duran. Le rapport de De Gaulle aux « élites » du savoir présente lui aussi de fortes résonances avec l’actualité. Celui-ci fait l’objet de plusieurs contributions : celle de Bruno Poucet sur l’Education nationale, celle de Girulamo Ramunni sur la refondation de la recherche après-guerre, et celle de François Chaubet sur les intellectuels. Déconsidérés -pour ne pas dire plus- par le général pour leur éloignement supposé des « réalités » concrètes ou encore jugés décadents dans le cas des journalistes, c’est avant tout l’histoire d’une profonde incompréhension qui nous est retracée. Cette contribution s’inscrit d’ailleurs dans la quatrième partie de l’ouvrage, consacrée aux « élites contestataires », et dans laquelle sont tour à tour envisagées les élites politiques antigaullistes - celles-ci variant cependant au fil du temps comme le souligne Frédéric Fogacci ; les « féodalités » -ces intérêts particuliers contre lesquels De Gaulle n’aura de cesse de ferrailler, et enfin les élites économiques, auxquels le général n’aura jamais pardonné leur passivité durant l’Occupation.

On pourra enfin signaler l’analyse de Serge Berstein qui fait du référendum « raté » du 27 avril 1969 l’aboutissement d’un affrontement qui s’est cristallisé entre De Gaulle et des élites coalisées à partir de 1967, ainsi que la réflexion finale de Pierre Birnbaum qui, en remarquant les logiques radicalement nouvelles de composition des élites ministérielles sous la présidence actuelle de Nicolas Sarkozy, ainsi que les rapports de proximité affichés que celui-ci entretient avec les dirigeants économiques, y voit autant de signe de la remise en question de l’Etat fort que le général de Gaulle s’était efforcé de constituer comme une troisième voie entre le libéralisme étasunien et le modèle soviétique. Quoiqu’il confirme la différence entre la démarche de recherche des historiens et celle des sociologues [5], cet ouvrage profitera largement à celles et ceux qui s’efforcent de faire progresser la sociologie des élites actuelles, apportant une nécessaire profondeur historique tout en offrant d’intéressantes pistes de réflexion.

NOTES

[1Voir notamment les travaux de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, notamment Voyage en grande bourgeoisie. Journal d’enquête, Paris, PUF, 2002

[2Voir William Genieys, « The Sociology of Political Elites in France. The End of an Exception ? », International Political Science Review, vol. 26, n°4, 2005, p. 413-430 ou L’élite des politiques de l’Etat, Paris, Presses de Sciences-po, 2008

[3Voir Les mondes de l’art, Paris, Flammarion, 2002

[4Celle des fameuses « forces vives » représentées par le Conseil Economique et Social que le président souhaitait substituer au Sénat

[5Sur cette question, voir notamment le petit ouvrage lumineux de Gérard Noiriel, Introduction à la socio-histoire, Paris, La Découverte, « Repères », 2006, et en particulier la p.13 sur les divergences entre sociologues et historiens

Note de la rédaction

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