Par Frédérique Giraud
Les contributions réunies dans l’ouvrage visent à comprendre les processus de transformations des institutions religieuses qui émanent d’actions de contestations internes. Ce livre doit son origine à la tenue d’un colloque à l’université de Nantes les 17 et 18 décembre 2004 sur le thème « Les religions face aux contestations internes : des conflits de fidélité » [1]. Trois niveaux de contextualisation (qui constituent les trois parties de l’ouvrage) ont été privilégiés. Les études de cas réunies dans la première partie du livre, Le corps, opérateur de subversions religieuses, ont pour objectif de montrer que les contestations religieuses possèdent une assise corporelle. La transformation de la doxa religieuse, y compris dans sa partie la plus spirituelle passe par un travail de transformation des corps. C’est le cas des clercs réformateurs au début du XVIe siècle étudiés par Olivier Christin qui par l’embrassement du statut matrimonial et le renoncement au célibat marquent dans leur corps et la sexualité conjugale le rejet de leur condition pastorale passée. Cet état de rupture avec un habitus clérical formé dans le respect de la chasteté nécessaire des pasteurs marque « corporellement » l’abandon de l’Eglise romaine et l’adhésion à des idées nouvelles. Le corps agit comme un vecteur / accélérateur de la contestation religieuse.
L’analyse des convulsionnaires jansénistes dans l’article de Daniel Vidal, Crises de religion et inquiétudes des corps. Du symbole à sa désaffection dans le jansénisme convulsionnaire du XVIIIe siècle, fournit un autre exemple de dissidence corporelle. Incisions, scarifications, percements des langues, des chairs manifestent la rupture de ces femmes avec l’orthodoxie religieuse. On aurait aimé ici une explication de la manière dont le fait de torturer volontairement son corps manifeste pour ces femmes une rupture avec l’Eglise, l’article présupposant un peu trop vite la connaissance des lecteurs du statut subversif que représente pour ces ascètes le supplice du corps. De même on aurait souhaité en savoir plus sur les conditions sociales de déploiement de cette contestation féminine convulsionnaire : statut social de ces femmes, positions et trajectoires au sein des institutions...
Les contributions réunies dans la seconde partie se concentrent sur les relations entre prêtres et laïcs : tandis que les articles de la première partie montrent comment la subversion religieuse naît parmi les individus consacrés [2], les contributions de la seconde partie montrent que le combat pour la défense ou la transgression de la doxa religieuse passe par un rapprochement sans précédent entre laïcs et individus consacrés. L’étude d’Isabelle Kalinowski sur le texte de Max Weber consacré aux religions indiennes dans Hindouisme et bouddhisme [3] introduit l’argumentaire commun aux contributions rassemblées : la subversion religieuse passe par une remise en cause de la frontière entre prêtres et laïcs.
C’est ce que montre Thierry Keck, « Entre utopie de réforme et hétérodoxie : le mouvement Jeunesse de l’Eglise (1936-1955) » qui analyse la pensée du père Montuclard, et l’action de la communauté Jeunesse de l’Eglise, qui vont à l’encontre du modèle dominant de prosélytisme catholique, promu par les mouvements de jeunesse tels que la JAC, la JOC, la JEC... : acceptation des valeurs du monde moderne, rapprochement sans complexe avec le Parti Communiste. L’explication par Maurice Montuclard de l’inutilité de Dieu dans le monde moderne (Article « Inutilité de Dieu » dans le Cahier « Dieu, pour quoi faire ? » publié en 1951 par le mouvement), la dénonciation de « l’habillage moralisateur de la religion » (p136) [4], la remise en cause de la vision traditionnelle du prêtre comme homme consacré, séparé du monde battent en brèche les principes de l’Eglise. Tangi Cavalin et Nathalie Viet-Depaule dans « Subversion par les laïcs, subversion des laïcs : paroisse et mission à Saint-Michel de Marseille (1947-1965) », examinent le renouveau impulsé par le père Georges Mollard à la paroisse Saint-Michel de Marseille bien avant Vatican II : autel face au peuple, messe en français, abandon de la chaire, coopération instaurée entre prêtres et laïcs et entre paroisses.
Les laïcs par qui procèdent les remises en cause de l’ordre traditionnel de l’Eglise sont dotés d’un fort capital culturel ainsi que le met en évidence Hervé Serry dans sa contribution « Intellectuel et catholique : l’imposition d’une nouvelle figure du laïc dans l’entre-deux-guerres en France ». [5]. Michèle Rault, qui étudie le parcours de Colette Crépin-Leblond, souligne quant à elle la présence forte des femmes dans le courant progressiste chrétien des années d’après-guerre.
La troisième partie, intitulée La défense du corps à l’épreuve de l’enjeu missionnaire étudie les tentatives de régulation des transformations internes aux Eglises par les institutions religieuses : comment les membres de la hiérarchie catholique se sont-ils mobilisés pour lutter contre les « dérives » que constituent les innovations pastorales ? Les deux contributions de Charles Suaud et Nathalie Viet-Depaule et Tangi Cavalin analysent le du « contre-feu hiérarchique ». Les premiers reviennent en particulier sur le mouvement d’arrêt de l’expérience des prêtres ouvriers par l’intervention de la hiérarchie à partir de l’analyse de la lettre du 19 janvier 1954 adressée par les évêques de France aux prêtres ouvriers.
Au total l’ouvrage De la subversion en religion est un livre fortement structuré et varié qui offre une vision large de la subversion en religion : origines, facteurs déclenchants, acteurs, rôle de la hiérarchie..