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Des liens et des transferts entre générations

Un ouvrage d’André Masson (Editions EHESS, Coll "En temps & Lieux", 2009)

publié le lundi 8 février 2010

Domaine : Economie , Sociologie

Sujets : Famille

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Par Guillaume Arnould [1]

L’économiste André Masson est à l’initiative d’une démarche exemplaire en sciences sociales : à partir d’un sujet technique (les transferts de patrimoine entre générations) et d’un savoir disciplinaire (l’économie), il va chercher à montrer ce qu’une approche peut expliquer, ce qu’elle ne permet pas de comprendre, et surtout l’auteur puise chez d’autres auteurs et dans d’autres matières ce qui permettrait de mieux établir les faits empiriques... Ainsi André Masson, spécialiste des questions d’épargne ou de patrimoine au sein de la discipline économique, retourne à l’esprit de l’économie politique qui cherche, face à un problème social, à le comprendre dans un contexte socio-économique et historique donné : il mobilise tant l’anthropologie de Marcel Mauss que la science politique comparative de Gosta Esping-Andersen voire la philosophie ou la littérature. A aucun moment ce livre ne dérive vers la technicité ou l’économisme. Bien au contraire, l’ouvrage est agréable à lire, dénué de formalisme, tout en conservant l’impératif de rigueur nécessaire à des questions où l’idéologie ou plus souvent le simplisme prédominent.

Les liens et les transferts entre générations concernent des questions essentielles comme le montant des dépenses à engager pour l’éducation des enfants ou les revenus de remplacement des parents qui ont cessé de travailler (la retraite). Cela vise également les donations, les héritages ou les aides. Dans le contexte de vieillissement de la population des principaux pays développés, l’augmentation de la durée des études, d’accroissement de l’intervention de l’Etat dans l’économie, André Masson s’interroge sur les deux visions antagonistes des transferts patrimoniaux : lutte ou coopération entre les générations afin d’obtenir le meilleur partage possible. Les limites de l’étude sont clairement exposées et assumées : les familles sont réduites au modèle économique (simplifié en trois générations d’agents représentatifs), l’approche est anhistorique et limitée aux pays occidentaux développés. Plusieurs questions sont abordées : le juste héritage à laisser à ses successeurs, le fait que les générations futures sont nécessairement passives ...

André Masson utilise l’approche de Marcel Mauss sur l’anthropologie économique du don : dans une introduction très fouillée et très approfondie, l’intérêt du triptyque donner-recevoir-rendre est assez rapidement mobilisé par l’économiste pour questionner les limites des modèles économiques classiques de transferts patrimoniaux. Quand Gary Becker se contente d’estimer que les dons entre ascendants et descendants relève d’une logique altruiste ; Robert Barro va jusqu’à invoquer l’inutilité de toute politique économique cherchant à interférer dans les transferts patrimoniaux puisque ce que l’Etat donnerait d’une main serait redistribué de l’autre par les familles. Si l’Etat s’endette, les parents ne voudront pas que les enfants en supportent le coût fiscal et ils donneront la somme nécessaire à payer les impôts futurs.
Dès lors L’essai sur le don de Marcel Mauss permet de dépasser ces visions trop parcellaires : comme les générations concernées par les transferts patrimoniaux prennent des décisions dans un même temps mais avec des horizons différents, il est possible que des déséquilibres apparaissent. Même si les économistes ont développé des modèles à génération imbriquée (de type JAV, pour Jeunes Actifs et Vieux) les résultats qui en découlent font l’impasse sur les mécanismes sociaux qui peuvent les fonder. Ainsi les travaux de Kotlikoff qui reposent sur cette comptabilité générationnelle insistent sur les conflits entre générations : ceux qui profitent des transferts n’ont pas intérêt à ce que la situation change. Pourtant, si on raisonne en termes Maussien, comme l’a fait depuis des années l’économiste Laurent Cordonnier, les transferts patrimoniaux entre générations relèvent d’une logique de réciprocité. On aide ses enfants et ses parents qui ne sont plus actifs afin que la génération suivante fasse de même.

L’auteur s’appuie également sur la typologie des Etats providence de Gosta Esping-Andersen. Ce dernier oppose trois modèles idéal-typiques de l’intervention sociale dans l’économie : le modèle libéral, le modèle conservateur-corporatiste et le modèle social-démocrate. En termes de transferts, André Masson oppose trois pensées rivales qui recoupent les trois mondes de l’Etat providence : celle qui privilégie le marché et les individus pour assurer une juste répartition des richesses entre les générations ; celle qui privilégie la famille pour maintenir la cohérence des transferts ; et celle qui laisse à l’Etat le rôle de garant de l’égalité citoyenne. Bien que cette typologie soit à certain égard simpliste, Masson souligne l’intérêt qu’elle présente pour opposer les choix possibles dans le domaine. C’est une grille de lecture qui remet en cause les oppositions encore plus simplistes entre courants économiques. Il faut en effet penser ensemble les interventions du marché, de la famille et de l’Etat.

Dans une première partie intitulée « L’Etat et les générations futures », André Masson insiste sur les limites de l’approche économique reposant sur l’altruisme. Imaginer qu’il suffit que la génération qui décide des transferts puisse par égoïsme générationnel ou altruisme dynastique faire les meilleurs choix suppose des hypothèses irréalistes et peu opérationnelles. D’où l’intervention de l’Etat comme garant des solidarités pour les générations suivantes qui favorise leur coopération. Dans la seconde partie, « La famille nœud de réciprocités entre générations », l’auteur souligne l’importance de l’anthropologie pour comprendre les transferts au sein de la famille : la réciprocité familiale est parfois source de violence. Dès lors, il devient assez hasardeux de modéliser un échange réciproque dans ce cadre sur un fondement de rationalité économique. Les données empiriques montrent que les transferts dans la famille et par la famille basés sur une réciprocité indirecte sont essentiels mais qu’ils ne sont pas explicatifs. On constate l’existence d’un effet de démonstration (ce que font les parents se transmet aux enfants) mais avec des motivations extrêmement variées.

Dans une troisième partie, « Transferts publics et familles altruistes », André Masson étudie plus précisément le modèle de Becker. Cet économiste libéral défend dans le contexte des transferts générationnels une redistribution significative entre générations. Conformément à sa vision, cela permettra d’accroître le capital humain et donc l’enrichissement de la société. L’intervention de l’Etat peut se justifier car elle s’inscrit dans une logique de marché et s’adresse à des familles altruistes. Mais cette vision ne tient pas compte des changements sociaux qui en découleront au sein des familles, des questions d’équité liées à l’intervention publique ou des externalités induites par ces transferts. Ainsi, aujourd’hui les séniors ont nettement profité de ces politiques et il est nécessaire de favoriser des transmissions précoces.

Dans la dernière partie, l’auteur convoque les grandes traditions de la philosophie politique (Hobbes, Locke et Rousseau) et les modèles socio-historiques d’Etat providence, pour réaliser une véritable synthèse des questions générationnelles. Si on suit la logique des trois modèles antagonistes de la solidarité intergénérationnelle, on ne peut que souligner leur rivalité : ils présentent des résultats tranchés avec des limites évidentes. Le marché est source d’inégalités ; la famille est source de paternalisme et l’Etat providence peut être inefficace voire injuste. Pour Masson, penser la question des transferts patrimoniaux entre générations ne peut donc se faire qu’en combinant les apports de toutes les sciences sociales utiles afin de ne pas sombrer dans une vision pessimiste et conflictuelle qui ne verrait que des générations sacrifiées ou privilégiées.

NOTES

[1Professeur d’Economie gestion Classe préparatoire ENS Cachan, Lycée Gaston Berger - Université de Lille 1

Note de la rédaction

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