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Donner et prendre. La coopération en entreprise

Un ouvrage de Norbert Alter (La Découverte, coll. "textes à l’appui / bibliothèque du mauss", 2009)

publié le vendredi 6 novembre 2009

Domaine : Sociologie

Sujets : Organisations , Economie

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Par Benoît Ladouceur [1]

Le titre de cet ouvrage résume bien sa thèse : la coopération en entreprise n’a rien de désintéressée, un don n’est jamais gratuit mais oblige la personne qui a reçu. Le don, en effet, ne se réduit pas à l’altruisme, mais est au contraire un moyen stratégique sans pareil pour obtenir une chose dans le monde du travail. Cela ne veut cependant pas dire qu’il se réduit à une pure logique marchande.

Si Norbert Alter est un spécialiste de l’étude du fonctionnement des entreprises, on pourrait étendre sa problématique à tout univers social, par exemple dans la famille. Cet ouvrage publié dans la collection « bibliothèque du MAUSS » s’inscrit parfaitement dans sa filiation, en faisant du don un rouage essentiel du bon fonctionnement des entreprises, déterminant le degré de coopération entre les salariés.

Le premier chapitre de l’ouvrage s’intitule « Coopérer, c’est donner ». L’auteur repart de Marcel Mauss et de son Essai sur le don en réaffirmant la part « primitive », c’est à dire sociale de tout échange. Les relations de travail ne sont ainsi pas toutes régies par des contrats, mais par la coopération, l’échange de type don-contre don, dans lequel il faut donner, recevoir et rendre. Cependant, Norbert Alter va plus loin et montre que ces échanges coopératifs s’appuient sur les sentiments qu’ils provoquent chez les salariés, cela quel que soit leur position hiérarchique dans l’entreprise. La coopération repose donc sur une rationalité qui n’a rien à voir avec la rationalité économique, puisqu’il s’agit justement de ne pas viser la maximisation de son gain personnel, mais d’aider les autres en prenant du temps à soi. Pourtant comme le montre l’auteur, les personnes qui aident leurs collègues ne le font pas toujours de bonne humeur. Ils n’hésitent pas à signifier que rendre service ne les « amuse pas ». Néanmoins, ils affirment de façon apparemment incohérente qu’ils sont prêts à rendre service du moment qu’on leur demande bien. Il s’agit en réalité d’un moyen pour rendre les personnes aidées « endettées » vis-à-vis du collègue ayant rendu service. De plus, signifier le peu de liberté et la quantité de travail en attente permet au donateur d’accroître l’importance de son service et ainsi de lui conférer un prestige auprès de ses collègues. L’échange peut être verbal, notamment quand il s’agit d’expliquer le fonctionnement d’une machine, d’un logiciel. Ces échanges sont d’autant plus importants qu’ils ne sont pas codifiés et donc transmis uniquement par les anciens de l’entreprise ou les personnes spécialisées.

La coopération repose sur des affinités personnelles, des liens affectifs. On est d’autant moins incité à rendre service que la personne aidée ne reconnaît pas le don et ne prend pas la peine de manifester sa gratitude. Ainsi, un employé explique que certains de ces collègues lui envoient des cartes postales ou lui ramènent un souvenir depuis leur lieu de vacances. Pour l’auteur, les émotions qui passent dans les échanges jouent un rôle structurant dans l’évolution du lien de coopération. Exprimer une émotion revient à se dévoiler, à perdre une partie de son intimité. En même temps, ces émotions donnent un sens à la relation et une valeur aux yeux des personnes. La coopération se construit donc sur ces sentiments partagés, de l’empathie, lors de discussions, par des petits actes de gentillesse, comme l’envoi des cartes postales. La manifestation des émotions et leur partage permet de signifier son appartenance à un groupe, de le reconnaitre publiquement. Il existe ainsi une codification de l’expression des émotions, de même qu’il existe une mise en scène de l’acte de donner et de rendre. Ainsi, on ne peut rendre immédiatement après avoir reçu, sous peine d’offenser le donateur.

La coopération repose en premier lieu sur la confiance qui existe au sein d’un groupe ou d’un réseau d’échange. Cette confiance repose sur trois normes identifiées par Norbert Alter. Tout d’abord, la plus importante est l’interdiction de s’approprier tout ou partie du capital de connaissance propre au réseau. Ces savoirs sont le résultat accumulé des échanges et de la coopération entre les membres du réseau. Ils ne sauraient alors être accaparés par un individu. La deuxième norme découle de la première. Toute information qui circule de manière clandestine dans un réseau ne doit pas en « sortir ». Enfin, pour être accepté et reconnu comme membre du réseau il faut lui apporter une de ces informations ou compétences. Les « passagers clandestins » sont donc bannis.

Si le don et le contre don ne reposent pas sur la rationalité instrumentale, il arrive parfois que des individus ne respectent pas le principe de coopération, utilisant un don pour en tirer un bénéfice personnel, au détriment du donateur. Il s’agit d’un acte de trahison. La confiance et la loyauté qui sous tendaient la relation sont détournées à des fins instrumentales. Toute trahison est susceptible d’être pénalisée, le traître est exclu du groupe et stigmatisé par son geste. Malgré cela, les trahisons sont fréquentes et récurrentes. Les salariés ne sont pourtant pas dupes ou naïfs. Norbert Alter souligne même que les comportements de trahison sont souvent perçus comme « normal », quand ils émanent de personnes situées plus haut dans la hiérarchie. Il résume bien la position des salariés : « on peut s’attendre à mieux, mais on sait aussi que l’on peut s’attendre à cela ». L’auteur ne précise pas si cette perception perturbe la propension des salariés à coopérer mais on peut penser qu’elle la réduit fortement. Pour Simmel, la confiance n’engage pas systématiquement les individus sur le plan moral. Elle est au contraire devenue indépendante de leur volonté. La spécialisation et la complexification des activités et des fonctions sociales impliquent de faire confiance à des acteurs, des institutions ou des groupes sans pouvoir néanmoins vérifier leur loyauté. Nous sommes donc obligés de remettre à d’autres, des tâches que nous ne pouvons effectuer, ce qui suppose de leur accorder un minimum de confiance. Ainsi par exemple, nous sommes obligés d’avoir au minimum un compte courant dans une banque, envers laquelle nous avons une confiance, certes variable mais effective.

Pour conclure, cet ouvrage constitue une bonne illustration de l’application des théories du don développées par la revue du MAUSS. Le travail de Norbert Alter sur les relations de travail met bien en évidence le caractère ambivalent et contre intuitif du don. Ni complètement gratuit, ni calcul instrumental, il repose sur des normes et des attentes complexes qui structurent les relations professionnelles et déterminent l’efficacité des entreprises. Nous regrettons cependant, dans cet ouvrage, l’absence d’une partie méthodologique présentant les modes de recueil de données utilisés par l’auteur. Il serait de même intéressant de s’interroger sur les possibles variations de ces analyses d’un pays ou d’une culture nationale à l’autre.

NOTES

[1Professeur de SES

Note de la rédaction

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