Les métis sont-ils viables ou non ? Sont-ils bons ou mauvais ? Dès le milieu du XVIIIe siècle, le croisement des races ou, dans les termes du temps, l’hybridité des « espèces humaines » a obsédé le discours scientifique et social. C’est en effet un dossier à haute charge symbolique et identitaire.
L’apologie du métissage comme sa contradictoire « mixophobe » furent de ces philosophies globales qui satisfaisaient aux deux motifs de l’eschatologie moderne, la maîtrise rationnelle du destin de l’humanité et, en regard, la crainte de déchoir, de dégénérer. La pureté du sang, gage d’éternité, et le statut dégradé des métis forment bien sûr la trame du pessimisme gobinien des années 1850.
Mais cette alternative radicalisée dans le contexte esclavagiste forme également l’un des chapitres les plus polémiques de la longue histoire de l’anthropologie naturaliste. Depuis Buffon (1749) jusqu’à Paul Broca (1858-1860), la question des croisements humains opposa deux camps : les partisans de l’unité de souche de l’homme (monogénisme), favorables au métissage, à la vitalité des métis comme à leur prospérité, et leurs adversaires polygénistes qui, à la manière de nombreux théoriciens de la « lutte des races », considéraient les mulâtres comme d’authentiques « monstres », héritant des pires défauts de leurs parents.
Enjeux et arguments ont ainsi évolué à l’interface des imaginaires d’« homofiliation », de la politique coloniale et des recherches biologiques.