L’engagement des « intellectuels » est sans doute l’un des objets les plus étudiés en histoire et en sociologie, au point d’apparaître parfois comme un thème éculé. Et pourtant, rares sont les recherches qui abordent l’engagement des intellectuels en temps de guerre et, plus rares encore, celles qui s’intéressent à ceux qui se sont engagés dans la résistance armée. Pourquoi deux philosophes, normaliens, contemporains de Jean-Paul Sartre, de Maurice Merleau-Ponty et d’Emmanuel Mounier, choisirent-ils de résister par les armes jusqu’à le payer de leur vie ? En s’efforçant de répondre à cette question, Fabienne Federini analyse un type d’engagement fort différent de la « résistance de plume » à laquelle on s’intéresse généralement. En effet, Jean Cavaillès (1903-1944) et Jean Gosset (1912-1944) ne sont pas des « intellectuels » qui ont exposé uniquement par écrit ce à quoi ils croient, laissant à d’autres le soin de prendre des risques. Ce sont des philosophes qui, en devenant des « terroristes », se sont exposés physiquement pour faire triompher leurs convictions. Si la nature de l’engagement résistant de Jean Cavaillès et de Jean Gosset interroge la représentation dominante que l’on a de l’engagement des « intellectuels » tel qu’il se comprend depuis l’affaire Dreyfus, sa spécificité ne le rend pas pour autant rétif à toute démarche sociologique. Parce que le combat résistant n’est pas uniquement une affaire de choix individuels, mais de logiques sociales, cette étude montre combien ces deux intellectuels sont socialement exemplaires de toute une génération de normaliens et de ceux que les historiens appellent les « pionniers de la résistance ».
Table des matières :
Introduction - 1. La singularité de deux engagements - Un engagement militaire - La création d’un réseau de renseignements (avril 1942 - fin février/début mars 1943) - L’organisation militaire de Libération-Nord en vue de la constitution de l’Armée secrète (fin février-début mars - juin/juillet 1943) - Le Réseau « Action » (avril 1943 - avril 1944) - Ce que résister signifie - Agir dans des escpaces différents - Diriger un réseau de résistance - Assurer la sécuirté des membres du réseau après des arrestations - De la double vie à la clandesitinité - Un engagement parallèle - Un engagement multiforme - 2. Engagement résistant, socialisation politique et expérience militante - Contexte familial et temps historique - Nature et conditions familiales de la transmission - Temps historique et sociabilisation politique - Contexte scolaire et expérience militante - L’école normale supérieure, un lieu d’intégration sociale - Des « intellectuels » socialement représentatifs - Un engagement entre les deux guerres socialement conforme - 3. Les prémices d’un engagement résistant - Une contextualisation nécessaire - Modalités de l’engagement des « intellectuels » et contexte historique - 1934-1939 : de la lutte antifasciste à la division des antifascistes - Se retirer à temps de l’espace public : Jean Cavaillès de 1934 à 1938 - 1934 : la fin de la « jeunesse » de Jean Cavaillès - 1938 : Jean Cavaillès renoue avec le militantisme - Se détacher : Jean Gosset et la revue Esprit de 1936 à 1939 - « Le » philosophe d’Emmanuel Mounier - L’un des collaborateurs les plus « libres » à l’égard d’Emmanuel Mounier - Pour une action de nature politique - 4. Devenir résistant - Entre en dissicence - Le poids du contexte politique - La restructuration du champ éditorial - La condition sociale de l’écrivain - De la dissidence (individuelle) à larésistance (collective) - Passer d’un monde (légal) à un autre (clandestin) - Révinventer un monde dans un autre - 5. Une génération de résistants - Les caractérisitiques sociales des pionniers - Des agents bien insérés socialement - Des individus en ascension sociale - Des acteurs à la marge ? - Les affinités politiques des pionniers - Une réelle socialisation politique acquise au sein de la famille - L’expérience militante des pionniers durant les années 1920-1930 - La « toile » de la première Résistance - Conclusion - Annexes : Méthodologie pour la construction d’une prosopographie des pionniers - Recueillir les données biographiques - Recenser les pionniers - Liste des pionniers retenus - Sources - Index.