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Effets spéciaux et artifices

Un numéro de la revue Terrain (n° 46, mars 2006)

publié le lundi 12 mars 2007

Domaine : Anthropologie

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Par Nolwenn Neveu [1].

Les artifices et effet spéciaux sont des procédés qui entrent en jeu à chaque fois qu’il s’agit de faire apparaître ou de renforcer des dispositifs ou des objets en recourant à des procédures de stimulation dérivées. Ils s’inscrivent dans un ensemble beaucoup plus général de pratiques de mise en scène qui se sont popularisées depuis la fin du 18ème siècle. C’est à cette époque qu’on a commencé à imaginer toutes sortes d’artifices pour intensifier ou troubler l’ordre des représentations. Depuis lors s’est mise en place une véritable course aux effets spéciaux que les contributeurs de ce numéro se proposent d’analyser.

Les articles réunis dans ce numéro mettent en avant certains producteurs d’effet spéciaux (Barnum, Marey, Mistry) ou des catégories professionnelles (architectes et infographistes). Ils interrogent également la structure des institutions scientifiques et artistiques qui ont permis le développement des effets spéciaux. Les procédures techniques examinées appartiennent aux arts du spectacle, mais investissent également des champs dans lesquels leur présence peut paraître incongrue, comme la science, la religion, la politique et l’économie. L’ambition de ce numéro est ainsi de cerner les caractéristiques de ce qui est, aux yeux des contributeurs, « un véritable paradigme de notre modernité ».

Les auteurs ont souhaité approcher le phénomène dans sa genèse en étudiant des objets qui se situent aux frontières du cirque, des démonstrations scientifiques, des arts de la foire et de la religion. Il s’agit de monter que, durant la première moitié du 19ème siècle, eu lieu l’émergence d’une vaste constellation d’entreprises esthétiques et idéologiques, commerciales et politiques qui s’efforceront de jouer de la diversité du monde mais aussi sur les limitations naturelles qui pèsent sur nos sens pour l’appréhender. Il en résultera de nouvelles formes d’art, de nouvelles manières de voir le monde, mais aussi de nouvelles technologies et de nouvelles institutions où seront expérimentées de nouvelles formes d’interactions avec le public.

Dans son article « Une science de l’éclat, les bulles de savon et l’art de faire de la physique à l’époque victorienne », Simon Schaffer propose de croiser les histoires parallèles des bulles de savon. Les historiens de l’économie se sont intéressés à l’importance de l’industrie du savon au 19ème siècle, les historiens de l’art à la commercialisation des tableaux de Millais, les historiens des sciences au rôle joué par les bulles de savon dans certaines expérimentations microphysiques, les historiens du cinéma à la part jouée par les scientifique dans les origine de cet art nouveau et les historiens de la littérature à l’influence de son professeur de physique sur l’œuvre d’A. Jarry. S. Schaffer réunit ensemble toutes ces histoires pour montrer la véritable importance des bulles de savon dans l’histoire du 19ème siècle. Marginale dans chacun de ces champs, la bulle de savon cristallise enjeux économiques, et curiosités scientifiques, esthétiques et mêmes morales. La quête de moyens pour capturer un objet éphémère entraîne l’invention de dispositifs d’imagerie savants et s’est même révélée décisive dans l’avènement du cinéma.

Pour comprendre comment va se développer, au 19ème siècle, une culture visuelle fondée sur de nouvelles formes d’artifices et d’effets spéciaux, il faut comprendre la manière dont on assiste à la prise de conscience des limitations inhérentes à la vision. Andréas Mayer nous offre, dans son article « Faire marcher les hommes et les images, les artifices du corps en mouvement » une illustration de ce nouvel état d’esprit en présentant les recherches entreprises, au 19ème siècle, pour décrire et analyser la démarche humaine. Il montre que c’est la mise en image qui permet de formaliser le mouvement et qu’une quête expérimentale telle que celle des sciences du mouvement renvoie à une impossible capture. S’il est impossible de réduire la variété des démarches à un quelconque dénominateur commun, les savants s’ingénieront pourtant à inventer des procédures censées leur permettre de faire la part des choses entre idiosyncrasies individuelles et caractéristiques essentielles de la démarche naturelle. De telles opérations finissent, pour A. Mayer, par donner un statut ambigu à l’objet pour le déchiffrage duquel elles ont été conçues, car on perd tout moyen de savoir si la démarche naturelle est un référent réel ou si elle n’est que le seul produit de l’expérience.

Caroline Hodack propose, dans sa contribution « Créer du sensationnel, spirale des effets et réalisme au sein du théâtre équestre vers 1800 », une analyse de l’émergence, dans le champs du théâtre (en Angleterre à partir de la seconde moitié du 18ème et dans le reste de l’Europe tout au long du 19ème) de nouvelles formes d’institutions (les minor theatres) qui vont littéralement faire exploser les conventions du genre en mettant en scène des spectacles qui tiendront souvent plus du jeu de cirque que du théâtre à proprement parler. On y privilégiait des spectacles composites et la représentation de scènes d’actualité dans un style aussi réaliste que possible. C’est la notion même de représentation qui semblait parfois céder la place à ce qui s’apparentait alors à un pur évènement. Ici, l’impact du spectacle ne sera pas lié à la mobilisation d’artifices nouveaux mais à l’irruption du réel, là où les conventions établies semblaient vouloir le bannir. C. Hodak rappelle que le succès de ces théâtres fut tel, auprès de toutes les couches sociales, qu’il força les directeurs de grands théâtres à suivre le pas dans l’espoir de retenir un public qui les désertait.

Denis Vidal montre, dans l’article « Les Sirènes de l’expérience, populisme expérimental ou démocratie du jugement », comment Barnum jouait de tous les procédés possibles pour plonger le spectateur dans la perplexité. Barnum avait notamment découvert qu’il pouvait accroître son renom et sa fortune en faisant publiquement étalage de la manière dont il dupait son audience. Il parvenait ainsi à donner à son public le sentiment simultané que leur spectacle n’avait rien de secret mais qu’il n’en conservait pas moins tout à la fois quelque chose de profondément fascinant et inimitable.

Dans son article intitulé « Têtes multiples et jeu d’optique, ou l’art de truquer les Dieux hindous » Emmanuel Grimaud étudie, dans un contexte largement contemporain cette fois-ci, la manière dont la nécessité de montrer les divinités en action a obligé les cinéastes indiens à un raffinement toujours plus poussé de leur équipement trucographique. Ce sont non seulement les origines des trucages mais aussi celles du cinéma lui-même qui doivent être recherchées dans la prestidigitation et l’usage qu’en avaient initialement fait les illusionnistes dans leur performances. La conclusion la plus importante de cette analyse des effets spéciaux au cinéma concerne la matière dont des matières troubles (fumigènes...) ont pu émerger, à la manière des bulles de savon, comme des objets autonomes impliquant des savoir spécifiques de la part fabriquant. E. Grimaud insiste également sur le fait que réussite des effets spéciaux ne dépend pas plus de la manière dont ils sont produits que de la crédulité du public. Ils dépendent plutôt de l’intensité de la connivence qui peut s’établir entre le spectateur et ce qui lui est montré.

Dans sa contribution « Des multiples manières d’être réel, les représentations en perspective dans le projet d’architecture » Sophie Houdard cherche dans l’histoire du milieu du 19ème siècle et le virage paradigmatique que représente la mise au point du média photographique de quoi expliquer les positions contrastées en matières de figuration architecturale contemporaine. L’objectivation du monde dont la photographie devenait l’emblème parfait, s’est vu opposé la « théorie des sacrifices » par laquelle les artistes entendaient protéger une approche parcimonieuse de la réalité. S. Houdard montre comment les « dessins perspectives » possèdent des propriétés singulières qui les distinguent des autres représentations utilisées par les architectes. Jouant de savants effets graphiques et de composition, ces dessins sont picturaux mais de qualité photographique. Semblant rejouer certains des débats qui animèrent la société du 19ème siècle les « dessins perspective » oscillent entre effet par réalisme et effet par analogisme.

Ce qui caractérise toutes les mises en scènes et pratiques qui renvoient à la notion d’effet spécial est la manière paradoxale dont ces dernières dont ces dernières font appel à des procédés de manipulation comparables et à une démocratie du jugement fondée sur l’expérience et la participation du plus grand nombre. Dans ce processus de démocratisation du voir les objets qui sont exposés ou servent à la monstration apparaissent, à un moment ou à un autre, complètement modifiés par la monstration ou acquièrent une dimension spéciale qui n’auraient jamais eu sans le recours d’effets spéciaux. La quête de nouveaux dispositifs finir par troubler les frontières entre la science, la foire et le théâtre mais aussi entre l’illusoire, le féerique et le réel.


Table des matières

Les troubles de la représentation. Artifices et effets spéciaux
Emmanuel Grimaud, Sophie Houdard et Denis Vidal

Une science de l’éclat. Quand les physiciens font des bulles de savon
Simon Schaffer

Faire marcher les hommes et les images. Les artifices du corps en mouvement
Andreas Mayer

Créer du sensationnel Spirale des effets et réalisme au sein du théâtre équestre vers 1800
Caroline Hodak

Les sirènes de l’expérience Populisme expérimental ou démocratie du jugement
Denis Vidal

Têtes multiples et jeux d’optique Ou l’art de truquer les dieux hindous
Emmanuel Grimaud

Des multiples manières d’être réel. Les représentations en perspective dans le projet d’architecture
Sophie Houdart
Repères
Le bonheur est dans les airs. L’aérostation : 1880-1914.
Luc Robène, Dominique Bodin et Stéphane Héas

Le « cas » Dayan. Du corps en souffrance à l’expérience esthétique
Margitta Zimmermann

Désir d’enfant chez les gays et les lesbiennes
Martine Gross

NOTES

[1Nolwenn Neveu est professeur agrégée de sciences économiques et sociales au lycée Ampère (Lyon).

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