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Emotions... Mobilisation !

Un ouvrage sous la direction de Christophe Traïni (Sciences-Po, coll. "Sociétés en mouvement", 2009, 300 p., 26€)

publié le mercredi 13 mai 2009

Domaine : Science politique

Sujets : Mouvements politiques et sociaux

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Par Igor Martinache

Les sociologues de l’action collective ont longtemps évité la dimension émotionnelle des mouvements sociaux, incités en cela par la prédominance du paradigme de la mobilisation des ressources, mais aussi par le repoussoir que représentent aujourd’hui les élucubrations de la psychologie des foules [1]. Ce faisant, ils se sont cependant privés d’un facteur essentiel pour la compréhension des mobilisations protestataires, qui forment désormais une « composante ordinaire de la vie politique des démocraties occidentales » (p.11). Les premiers à rectifier le tir ont été les chercheurs étasunieins Jeff Godwin et James M.Jasper au début de cette décennie, mais l’ouvrage ici présenté ouvre cependant la une voie dans le contexte français.

Issu d’un colloque organisé en octobre 2006 à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, celui-ci rassemble onze contributions variées, permettant d’explorer presque autant d’aspects d’un thème dont on est bien forcé de constater l’étendue. Toutes ont cependant en commun de porter leurs analyses sur les modalités par lesquelles les militants ou organisations étudiés œuvrent à « manifester des états affectifs tout en mettant à l’épreuve celles d’autrui » (p.13). Faute de pouvoir objectiver directement les émotions ressenties, leur attention se portent sur les « dispositifs de sensibilisation » qui sont déployés au cours des mobilisations observées, et dont il importe de noter que les effets sont intrinsèquement incontrôlables. Il s’agit en effet à ce stade de distinguer, après l’anthropologue William Reddy, les emotions, expériences subjectives éprouvées individuellement, et les emotives, qui désignent les conventions permettant leur communication dans une culture donnée, seule l’articulation des deux permettant la plupart du temps de rendre compte des trajectoires biographiques des militants au-delà des intérêts « objectifs », mais aussi de l’adhésion ou non des « publics ».

Colère, indignation, pitié, enthousiasme, peur,... la palette des émotions en jeu et pratiquement infinie, de même que sont divers les rôles qu’elles peuvent revêtir, qu’il s’agisse d’enrôler des participants ou des soutiens, mais aussi de les fidéliser ou non, et partant de déterminer les progrès ou insuccès des mouvements considérés.

La première partie de l’ouvrage concerne donc le rôle des émotions dans la manière dont un mouvement parvient on non à « toucher des publics ». Un enjeu majeur peut alors résider dans la capacité de ses organisateurs à infléchir l’image a priori attachée à la cause, quand celle-ci souffre comme souvent d’une certaine illégitimité. C’est le cas par exemple du mouvement contre la double peine, sur lequel Lilian Mathieu revient [2], en s’intéressant plus particulièrement aux soutiens artistiques -ici incarnés par des musiciens et des cinéastes- qu’a pu s’attirer le mouvement, et en particulier sur les ambivalences constitutives de telles associations. Bleuwenn Lechaux s’intéresse pour sa part au mouvement des intermittents du spectacle initié par la réforme de leur régime d’assurance-chômage en juin 2003 et la manière dont celui-ci s’est efforcé d’écarter le soupçon de corporatisme qui pouvait lui être imputé. Analysant pour sa part l’évolution des campagnes de communication d’Emmaüs et du Secours Populaire, Axelle Brodiez montre non seulement la diversité des répertoires mobilisables en la matière, mais aussi et surtout comment ces deux associations se sont appliquées à se démarquer de l’image associée à leur tradition d’origine, respectivement chrétienne et communiste, en jouant l’une sur l’indignation et l’autre sur la pitié, pour recruter de plus larges soutiens. En étudiant le cas du Téléthon, Jean-Philippe Heurtin montre la force mobilisatrice d’un enthousiasme mis en scène par le corps même des participants, non sans observer que « la mobilisation devient un effet émergent de la mobilisation » (p.113). Cela lui permet notamment de conclure que la sociabilité s’avère un moteur sans doute plus décisif pour le succès de la mobilisation, que l’objectif affiché de « solidarité » avec les malades concernés.

La deuxième partie est consacrée plus particulièrement au rôle des émotions dans la motivation militante. Anthony Pecqueux revient ainsi sur le mouvement qui a accompagné la reconstruction du château de Lunéville, en Meurthe-et-Moselle, suite à l’incendie qui l’a touché devant les caméras en janvier 2003. Il montre notamment le rôle central des images dans le travail de recrutement et fidélisation des donateurs par l’association qui s’est alors constituée pour une cause qu’il qualifie de « quasi-morale » pour signifier son caractère à première vue secondaire. Christophe Broqua et Olivier Filleule reviennent pour leur part sur une association qui a mis dès l’origine un accent très fort sur la mise en scène des émotions, indignation en tête : Act Up, et son répertoire original constitué des zaps et autres picketting. Sandra Fayolle prolonge la question esquissée par ces derniers de l’assignation genrée des émotions en revenant sur l’histoire de l’Union des femmes françaises (UFF), créée en 1944 par le Parti communiste français pour contrer l’influence des mouvements catholiques et rassembler les femmes échappant aux organisations collectives traditionnelles. Si l’organisation implique ces femmes dans la plupart des luttes sociales et politiques en cours, c’est cependant en les cantonnant, comme le montre l’auteure, à un rôle maternel « naturalisé » qui fait primer l’empathie et le sens du « devoir ». Le mouvement d’opposition à la tauromachie constitue l’objet de la contribution de Christophe Traïni, qui est sans doute celle qui approfondit le plus les implications théorique en jeu.

Enfin, la troisième partie regroupe des analyses en terrains étrangers. A travers l’étude comparée des jeunes militants italiens des mouvements néofascistes de l’Alliance nationale et de la Ligue du Nord, Stéphanie Dechezelles étudie les ressorts affectifs de la socialisation politique dans de tels groupes extrêmes. Frédéric Vairel analyse pour sa part le mouvement des femmes marocaines qui a entouré la réforme du Code de statut personnel au début des années 2000. Il met notamment en évidence la manière dont celles-ci ont navigué entre la contestation d’une domination masculine instituée et la nécessaire déférence adressée à la figure du roi. La manière dont elles ont su mettre en scène le relais générationnel à travers une manifestation de filles maquillées de faux cocards a pu jouer un rôle décisif au sein de cette véritable « configuration stratégique » [3]. Pierre-Olivier Salles propose pour sa part une analyse alternative pour rendre compte de l’évolution des systèmes d’échange alternatifs en Argentine au moment de la crise financière qui a ébranlé cette société à partir de 1998. Il met ce faisant en évidence les logiques distinctives qui animaient les premiers participants au mouvement, issus de classes aisées, et qui n’ont guère goûté de voir affluer avec la crise les classes populaires au sein d’organisations fortement normalisées.

Les plus pressés en quête de repères théoriques pourront s’en tenir à la conclusion éclairante signée par Sandrine Lefranc et Isabelle Sommier. Celles-ci pointent notamment un certain nombre d’insuffisances et de postulats implicites communs aux différentes contributions rassemblées dans ce volume, notamment quant au rôle non interrogé des médias ou à l’« oubli » des mobilisations ouvrières. Elles mettent ce faisant en évidence un positionnement théorique implicite moins en rupture avec la théorie de la mobilisation des ressources que les chercheurs étasuniens précités, et y voient la préfiguration d’un modèle français spécifique d’étude de ce qu’Isabelle Sommier a qualifié d’ « économie affectuelle » des mouvements sociaux, véritable « chaînon manquant » de leur analyse.

NOTES

[1Cf Gustave Le Bon, Psychologie des foules, Paris, Alcan, 1895, consultable en ligne sur le site des Classiques en sciences sociales de l’Université du Québec

[2Pour plus de précisions, on peut se reporter à l’ouvrage du même auteur : La double peine. Histoire d’une lutte inachevée, Paris, La Dispute, 2006

[3Sur cette notion, voir Johanna Siméant, La cause des sans papier, Paris, Presses de Sciences-Po, 1998

Note de la rédaction

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