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En son jardin. Une ethnologie du fleurissement

Un ouvrage de Martine Bergues (Maison des Sciences de l’Homme, Coll "Ethnologie de la France", 2011)

publié le dimanche 17 avril 2011

Domaine : Anthropologie , Sociologie

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Par Thomas Le Guennic [1]

Qu’est-ce que les fleurs nous apprennent de leurs jardiniers ? C’est à cette question qu’entreprend de répondre Martine Bergues, étudiant la réalité microsociale des jardins ordinaires et leur encastrement dans un processus socio-historique de fleurissement à l’échelle nationale.

À partir d’une étude ethnographique en milieu rural, M. Bergues propose une typologie à trois figures. Cohabitant empiriquement, elles rendent compte du rapport que les jardiniers entretiennent à eux-mêmes, aux autres, à la nature et au territoire. Le premier élément de ce triptyque est le « jardin paysan », que régit une logique paysanne tournée vers l’autoproduction, l’utile, le dehors et le naturel « sauvage ». Hiérarchiquement inférieures aux légumes qui nourrissent, les fleurs et leur culture représentent une activité féminine, périphérique et déconsidérée eu égard à la norme d’utilité. Le fleurissement signe l’inscription des jardinières dans un réseau féminin de sociabilité structuré par le don de fleurs et dans un environnement naturel avec lequel elles entretiennent des relations sur le mode de l’amitié.

Au cours des années 1960, apparaissent les « jardins fleuris », qui succèdent historiquement au jardin paysan. Si le fleurissement y demeure le fait de femmes, il se désencastre de la culture paysanne. Cultivées à part, les fleurs constituent des entités autonomes des légumes et de la norme d’utilité. Leur culture répond d’un désir d’organisation du paysage, selon des normes esthétiques issues des revues spécialisées. Y sont délaissées les fleurs « sauvages » et valorisées les « belles fleurs », de couleurs vives, avec lesquelles les jardinières entretiennent des relations « fusionnelles ». À travers le fleurissement, se joue une présentation de soi et la reconnaissance d’une véritable jardinière insérée dans un réseau de spécialistes.

D’apparition plus récente, les « jardins « au naturel » », sont le produit d’un nouveau rapport à la nature, constituant les humains en responsables d’un sanctuaire naturel authentique à préserver [2]. Issus des classes supérieures, les jardiniers poursuivent une logique de distinction. La culture des fleurs observe des modèles esthétiques référant à l’idéal des jardins d’antan : elle doit produire l’effet d’une nature sauvage et harmonieuse, dans laquelle l’Homme s’inscrit discrètement. La relation aux fleurs se vit sur le mode du sensible, de la collection et de la constitution d’un savoir élitiste et expert. Les jardiniers participent d’associations et d’un marché spécialisé, dans lesquels les Anglais retraités résidant en France jouent un rôle déterminant.

M. Bergues entend rendre compte de la coexistence de ces trois types à travers une histoire du fleurissement, qui configure une « esthétique ordinaire » et une « manière de voir et d’être au monde ». Si Jack Goody a livré ce propos sur le long cours [3], ici, l’analyse débute à partir du XIXe siècle. Un savoir horticole s’affirme et s’élaborent des pratiques professionnelles qui s’observent aujourd’hui encore. Se compose un marché horticole, qui connaît un essor substantiel à partir des années 1980. Au XXe siècle, la bourgeoisie découvre la province, qu’elle saisit par le prisme du regard touristique. Elle entreprend de l’embellir, légiférant sur le paysage, instaurant des concours de fleurissement destinés à façonner l’environnement esthétique des campagnes et à les assainir, poursuivant une morale hygiéniste naissante.

En tant que participante à des concours de villes et villages fleuris, M. Bergues entend rendre compte de l’influence de ces espaces comme lieux de promotion d’une esthétique et d’un fleurissement légitime. À travers le dépouillement d’archives, elle retrace l’évolution de ces concours qui promeuvent un projet d’embellissement et de mise en ordre de la France. Le fleurissement y est d’abord un acte patriotique, participant d’une « utopie fleuriste » de civilisation et d’accès au bonheur de villages de France. Est valorisé le type du jardin fleuri qui, ringardisé, cède ensuite le pas au jardin « au naturel ». Fin XXe siècle, les fleurs sont intégrées à un projet plus global de jardin, traduction empirique de l’imaginaire actuel d’un rapprochement de l’homme avec une nature « naturelle ». Ces concours ont un impact local. Ils configurent les relations de sociabilité et l’identité villageoise. Structurellement, ils participent à l’intégration territoriale des villages : les acteurs politiques s’en saisissent, les constituant en tant que tribunes et relais d’un effort de « fabrique » du territoire.

En son jardin est un exercice passionnant d’analyse d’une réalité globale au travers d’un objet ordinaire. Les fleurs constituent un indicateur de l’évolution historique des aménités et des relations à l’espace ; mais aussi des modes d’association des individus. La présence de dessins et de photographies est bienvenue pour qui n’est pas connaisseur des jardins. L’étude de la relation intime des jardiniers aux fleurs constitue une analyse prometteuse de la façon dont les humains composent avec nature et culture. Si la typologie proposée est articulée par l’analyse historique, sans doute conviendrait-il, aussi, d’en rendre compte au travers d’une étude empirique des relations entre jardiniers de types différents, observant des « ordres de grandeurs » [4] spécifiques, dans un contexte rural de transformation des usages, de perceptions de l’espace et de recomposition des publics [5].

NOTES

[1Etudiant en Master de sociologie, Université de Bordeaux Segalen, Centre Émile Durkheim (CNRS UMR 5116)

[2Bertrand Hervieu, Jean Viard, L’archipel paysan. La fin de la république agricole, La Tour d’Aigues, l’Aube, 2011

[3Jack Goody, La culture des fleurs, Paris, Le Seuil [1993] 1994

[4Luc Boltanski, Laurent Thévenot, De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991

[5Vincent Banos, Jacqueline Candau, « Recomposition des liens sociaux en milieu rural. De la fréquentation d’espaces à la production de normes collectives ? », Espaces et sociétés, 2006/4, n°127, p. 97-112

Note de la rédaction

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