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Engagements intellectuels

Un numéro de la revue "Actes de la recherche en sciences sociales" (n° 176-177, mars 2009)

publié le vendredi 28 août 2009

Domaine : Science politique

Sujets : Politique

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Par Samuel Coavoux [1]

La livraison de mars des Actes de la Recherche en Sciences Sociales arrive à point nommé, au moment où nombre d’universitaires français se mobilisent pour ce que Pierre Bourdieu appelait un « corporatisme de l’universel [2] », la défense des conditions de possibilité d’un savoir scientifique autonome. Car c’est en effet toujours entre corporatisme et universalisme que les intellectuels, du moins français, naviguent. Comme le rappelle l’introduction de Gisèle Sapiro et Frédérique Matonti, on peut distinguer deux grandes traditions d’études des formes que prennent leurs engagements : celle de l’histoire politique, qui en fait le récit de leurs prises de positions publiques, et celle de l’histoire sociale et de la sociologie, ou du moins d’une tradition sociologique, qui cherche à expliquer ces engagements en relation avec les positions occupées par les intellectuels dans leurs « espaces professionnels » respectifs. C’est cette seconde perspective qui est à l’honneur ici.

La typologie des modes d’engagements politiques des intellectuels depuis 1945 que propose Gisèle Sapiro (« Modèles d’intervention politique des intellectuels. Le cas français ») est ainsi fondée sur trois indicateurs de positions, qui sont autant de facteurs de différenciation des modes d’intervention : la dotation en capital symbolique, l’autonomie par rapport à la demande politique, et le degré de spécialisation de l’activité intellectuelle. Le premier oppose intellectuels dominants, dont le nom permet l’engagement à titre individuel, et intellectuels dominés, portés vers l’action collective (comités, manifestes et manifestations). Le deuxième, intellectuels « organiques » (Gramsci), soumis à l’institution (Église, partis, pouvoirs publics) et intellectuels critiques. La troisième, ceux qui parlent au nom d’une compétence propre, experts ou « intellectuels spécifiques » (Foucault) et ceux qui parlent en tant qu’intellectuels, et en particulier les professionnels de la création (écrivains, artistes, etc.).

Cette approche par la position dans le champ est appliquée par Sébastien Lemerle aux auteurs de « best-sellers biologisants », les ouvrages figurant dans les classements des meilleurs ventes et prenant un point de vue biologique pour traiter des phénomènes sociaux, depuis les années 70 (« Les habits neufs du biologisme en France »). Il distingue lui aussi différentes figures d’engagements intellectuels selon les trajectoires et les positions de ces savants dans le champ scientifique, leur volume de capital scientifique, leurs « connexions aux pouvoirs sociaux », et leurs dispositions : intellectuel au discours généraliste, « conseiller du prince », « gardien de la culture » ou encore expert. Il s’attache enfin à replacer cette visibilité médiatique du « biologisme » dans l’histoire plus longue de l’édition de la vulgarisation scientifique et de son public.

Eric Brun explique de la même manière l’évolution de l’engagement de l’internationale situationniste par la trajectoire sociale et intellectuelle de son fondateur, Guy Debord (« L’avant-garde totale. La forme d’engagement de l’Internationale situationniste »). Peu doté en capital scolaire, mais disposant d’une solide culture classique, il multiplie les alliances éphémères avec les différents courants d’avant-garde de la bohème artistique, et en particulier les lettristes, dans lesquelles il accumule un capital symbolique primitif. Avec la fondation du groupe situationniste, il met en œuvre une stratégie d’« avant-garde totale », prônant la destruction du statut d’artiste. C’est que l’état du champ le permet : la mise à distance, par les surréalistes, du projet révolutionnaire laisse une place vacante dans le champ intellectuel. La mobilisation de la philosophie marxiste, par exemple, fonctionne alors comme un moyen de démarcation par rapport aux avant-gardes consacrées.

Les contributions de Frédérique Matonti et de Mathieu Hauchecorne portent, elles, moins sur l’engagement des intellectuels que sur les manières dont sont engagées, par leurs publics, des œuvres. La première, coéditrice de ce dossier, montre ainsi les deux temps de la réception, tardive en France, du formalisme russe, à partir des réactions à la publication du recueil rassemblé par Tzvetan Todorov en 1966, Théorie de la littérature [3] (« L’anneau de Moebius. La réception en France des formalistes russes »). La « mise en texte » (Roger Chartier) de l’ouvrage par les trois acteurs principaux de sa publication, Todorov, Roman Jakobson et la revue et collection au Seuil Tel Quel, est celle d’une histoire idéale du formalisme comme origine de la linguistique structurale, et partant du structuralisme. C’est, en effet, ainsi que l’ouvrage est d’abord reçu dans les médias. S’ajoute cependant à cela une réception politique, développée dans les magazines d’information ou dans la presse culturelle communiste, et dans laquelle Aragon joue un rôle majeur. Le formalisme est alors opposé au réalisme soviétique, et la critique littéraire associée à la critique politique au moment de la déjdanovisation du régime soviétique.

La contribution de Mathieu Hauchecorne prend également pour objet la politisation de la réception française d’une pensée, en l’occurrence, des théories de la justice de John Rawls et d’Amartya Sen (« Le ‘professeur Rawls’ et le ‘Nobel des pauvres’ »). Il s’agit d’expliquer une contradiction : alors que ces deux auteurs occupent des positions très proches dans le champ intellectuel, ils sont mobilisés par des milieux très différents et de ce fait perçu comme occupant deux pôles opposés de l’échelle droite/gauche de classement politique. Ils ont pourtant travaillé ensemble, enseignant dans le même département à Harvard University, parfois en commun, et mobilisant les mêmes références théoriques, celles de la philosophie analytique et de la théorie économique. Plus encore, leurs pensées sont souvent tenues pour des variantes très proches. Si Rawls est d’abord lu et commenté, en France, par les courants sociaux-démocrates qui voient dans sa théorie de la justice un compromis entre socialisme et libéralisme, son nom s’associe, à l’occasion d’un rapport sur les inégalités dirigé par Alain Minc et considéré, dans le contexte de l’élection présidentielle de 1995, comme le programme du candidat Édouard Balladur, à la droite libérale. A l’inverse, Sen est introduit en France d’abord par les réformateurs communistes, puis traduit à La Découverte [4], héritière des éditions Maspero liée aux milieux militants. Cette parution coïncide avec l’obtention, en 1997, du prix Nobel. A chaque fois, il est perçu avant tout comme un économiste du Tiers-Monde (il est né en Inde), et engagé, en cette qualité en faveur des défavorisés. Là encore, les acteurs de la réception ont donc introduit un critère de classement politique, l’appartenance à la gauche, dans la théorie philosophique et économique.

L’article de Thomas Medvetz, enfin, s’intéresse à un mode d’engagement des intellectuels particulier aux États-Unis, quoiqu’il s’exporte aujourd’hui, le think tank (« Les think tanks aux Etats-Unis. L’émergence d’un sous-espace de production des savoirs »). Il propose de ne pas simplement prendre la mesure de l’impact de telles organisations sur les décisions politiques, mais d’en étudier l’influence sur la structure même du débat public. Il explique en effet l’émergence de ces organismes par trois facteurs : la présence d’un milieu d’affaire puissant et désireux d’organiser une machine de production intellectuelle, l’absence d’institutions politiques alternatives investies dans la production du savoir (où État, syndicats et partis sont peu investis), le caractère technocratique des sciences sociales et leur modèle professionnel.

NOTES

[1Auditeur à l’ENS Lettres & Sciences Humaines et étudiant en Master 2 de sociologie.

[2P. Bourdieu, Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire. Paris : Seuil, 1998, pp. 461-472.

[3T. Todorov (dir.), Théorie de la littérature. Paris : Seuil, « Tel Quel », 1966.

[4A. Sen, L’économie est une science morale. Paris : La Découverte, 1999.

Note de la rédaction

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