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Etre médiateur au musée. Sociologie d’un métier en trompe-l’œil

Un ouvrage d’Aurélie Peyrin (La documentation française, 2010, 136p., 18€)

publié le mardi 4 mai 2010

Sujets : Culture , Travail

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Par Frédéric Poulard [1]

Issu d’une thèse de sociologie soutenue en 2005, le livre qu’Aurélie Peyrin consacre aux médiateurs fait partie de ces travaux qui renouvellent notre connaissance des musées, en prêtant une attention à l’organisation du travail. Reposant sur une méthodologie variée (dépouillement des archives des musées nationaux, entretiens et traitement statistique d’un recensement administratif des postes et emplois dans les musées publics), l’approche est doublement originale. L’ouvrage prend tout d’abord ses distances avec les précédents travaux, qui ont privilégié l’analyse des fonctions les plus « nobles », généralement assumées par les conservateurs [2]. Surtout, il déconstruit le discours enchanteur que la littérature propose habituellement des médiateurs, groupe professionnel « sans corps et sans statut dans la fonction publique » (p.12), chargé de démocratiser l’accès aux institutions culturelles. La prise en compte des conditions de travail et d’emploi de ces travailleurs, ainsi que de leurs profils réels, permet à l’auteur de pointer la fragile légitimation de ces fonctions. L’ouvrage est construit autour de quatre parties qui sont autant d’étapes, permettant de se familiariser avec ces activités d’accompagnement.

La première partie revient sur les origines de l’activité d’accompagnement dans les musées publics, qui émerge dès les années 1920 dans les musées nationaux, en particulier au Louvre. Si cet essor est favorisé par le souci du Front populaire d’assurer une « popularisation » des musées (on ne parle pas encore de « démocratisation »), l’objectif est également de trouver un débouché professionnel pour les étudiants de l’Ecole du Louvre, qui ne peuvent pas tous prétendre aux fonctions de conservateur, faute de postes. Les expériences étrangères constituent également une source d’inspiration, même si elles ne se traduisent pas, en France, par une intégration des conférenciers, lesquels présentent dès cette époque un profil très diplômé et très féminin. Interrompue pendant l’Occupation, l’activité d’accompagnement est fortement promue par la direction des musées de France (DMF) dans les années d’après guerre. Si les musées territoriaux entendent eux aussi développer les missions d’action culturelle au cours des Trente Glorieuses, ils manquent de personnel qualifié. Les effectifs des services des publics des musées sous tutelle d’Etat vont néanmoins connaitre une forte croissance par la suite (entre 1975 et 2001 ils sont multipliés par quatre), la DMF souhaitant profiter de l’instauration de nouveaux cadres d’emploi au sein de la filière culturelle pour engager une « professionnalisation » des médiateurs.

Dans une perspective sociologique, l’ouvrage explore ensuite, dans la seconde et la troisième partie, le rapport des médiateurs à leur métier. L’auteur s’intéresse ainsi aux raisons qui ont conduit les médiateurs à choisir cette activité et s’attarde sur les représentations qu’ils ont de leur travail, souvent placé sous le signe de la passion. On y apprend que les médiateurs ont fait l’expérience d’une découverte précoce des arts et de la culture, soit de manière diffuse, au sein de leur famille, soit à l’occasion de visites scolaires. Une fois en poste, le caractère « enrichissant » du métier est souvent revendiqué par les intéressés, tant en raison de la proximité des œuvres, que du rapport aux publics et de l’autonomie dont ils bénéficient dans la conception des visites. Cette vision du métier, la plus immédiatement accessible, n’est pourtant que partielle, ce que rappelle la troisième partie de l’ouvrage, centrée sur les statuts professionnels. L’activité des médiateurs est en effet étroitement liée à celle des conservateurs, tel un jeu de miroir : aux premiers l’oral et la vulgarisation, aux seconds l’écrit et l’expertise. Instauré dès le début du 20ème siècle, ce clivage symbolique se double d’une division concrète du travail, puisque les conservateurs gardent le monopole des tâches situées en amont, les médiateurs étant finalement peu concertés, en dépit de leur niveau de diplôme souvent équivalent [3] et de leur connaissance de l’impact des expositions sur les publics. Il en résulte un « malaise professionnel », perceptible jusque dans les difficultés qu’ont les médiateurs à définir leur métier, le terme même de « médiateur » ne faisant pas consensus, tout comme ceux de « guide », de « conférencier » ou d’« animateur » qui, d’une certaine manière, pâtissent tous d’une connotation négative.

La quatrième et dernière partie nous conduit sur un autre registre d’analyse, celui des conditions d’emploi. Plus dense, elle explore le déficit de reconnaissance dont font l’objet les médiateurs. Bien que la filière culturelle territoriale de 1991 rende statutairement possible le recrutement de médiateurs, ces derniers présentent le plus souvent, en effet, un profil de salariés instables. L’exploitation de l’enquête impulsée par la DMF en 2001 révèle que la forme d’emploi privilégiée reste la vacation (39%) [4]. Par ailleurs, 21% des médiateurs exercent leur activité dans le cadre d’emplois aidés et 9% en CDD, tandis que seulement 28% d’entre eux bénéficient d’un CDI ou d’un statut de fonctionnaire. Les médiateurs font donc office de « variables d’ajustement pour répondre aux besoins de flexibilité des organisations muséales » (p.92), les musées devant faire face à une demande instable et à des coûts de gestion croissants. Ces stratégies de gestion humaine ne se déclinent pourtant pas de la même manière selon les établissements. Le premier cas de figure, de loin le plus fréquent, est associé aux petits musées qui, contraints par leurs faibles ressources, recourent à la polyvalence des médiateurs [5]. Le deuxième type d’organisation, privilégié par les grands établissements nationaux, est l’équipe de médiateurs vacataires. Ce modèle flexible consiste en un transfert des risques économiques sur les travailleurs. Le troisième cas de figure, enfin, qui représente environ un tiers des cas, est celui de l’équipe stabilisée. Il s’agit souvent de musées de collectivités territoriales de grande taille, qui se sont engagées dans la résorption de l’emploi précaire. Une telle option s’accompagne d’une évolution de la division du travail et se traduit en général par une diversification de l’offre à de nouvelles catégories de publics.

Après ce détour par l’organisation du travail, l’auteur nous propose un épilogue sous forme de typologie des médiateurs, qui synthétise l’ensemble des aspects examinés dans les précédentes parties. Ce choix permet de rompre définitivement avec le discours enchanteur, véhiculé par les professionnels et les représentants de l’administration, sans pour autant opter pour une analyse exagérément dénonciatrice. L’intérêt est en effet de pointer la variété des cas et de mettre au jour certains ressorts de l’implication des médiateurs [6]. Le premier profil identifié concerne surtout les étudiants et les artistes, pour qui l’activité de médiateur est avant tout perçue comme une étape. Le souci de satisfaction constitue pour eux un critère important, tant en raison de l’approfondissement des connaissances qu’il permet, que de la flexibilité des horaires et des rémunérations, plus importantes que celles proposées par d’autres « petits boulots ». Le second cas de figure se situe à l’opposé. Il concerne des personnes, le plus souvent vacataires, pour qui être médiateur constitue une situation d’attente ou de pis-aller. Celles-ci sont donc plus sensibles à l’instabilité professionnelle et aux différentes formes de pénibilité, qui ne sont pas compensées par une sécurisation de la relation d’emploi. Le troisième profil, enfin, concerne les personnes bénéficiant d’un emploi stable. Leur relatif désintéressement pour les questions de salaire et de carrière va de pair avec une passion pour tout ce qui touche au culturel et une appréciation du temps dégagé au profit de la famille et des enfants.

Si l’objectif ne transparaît jamais explicitement, sauf peut-être à la toute fin du livre, lorsque l’auteur en appelle à la responsabilité des employeurs, on devine que cet ouvrage cherche à interpeller les pouvoirs publics sur cette activité professionnelle. Il devrait également attirer l’attention des responsables des nombreuses formations universitaires qui ont vu le jour ces dernières décennies, ainsi que de leurs étudiants, dont les débouchés professionnels sont très incertains.

NOTES

[1Maître de conférences en sociologie à l’Université Lille 1, membre du Clersé (Lille 1/Cnrs

[2Dans un registre proche, nous renvoyons aux travaux de Léonie Hénaut sur les restaurateurs d’œuvres d’art

[3Précisons que leurs connaissances constituent un critère déterminant dans leur embauche

[4Le temps de travail des vacataires reste largement inférieur au mi-temps

[5Ceux-ci travaillent alors souvent seuls et se chargent de tous les aspects, de la conception de l’offre à l’accueil, en passant par les réservations

[6Une perspective assez proche avait été mobilisée dans l’analyse du secteur théâtral par Célia Bense Ferreira Alves

Note de la rédaction

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