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Expérience et critique du monde psy

Un numéro de la revue Politix (n° 73, mars 2006, 256 p.)

publié le jeudi 5 octobre 2006

Domaine : Psychologie, sciences cognitives , Science politique

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Deux points de vue complémentaires sur ce passionnant numéro de Politix, celui de Muriel Darmon et celui de Samuel Lézé.

Le point de vue de Muriel Darmon [1]

Saluons, avec la parution d’un numéro de la revue Politix intitulé « Expérience et critique du monde psy », la vigueur nouvelle d’une sociologie française de la psychiatrie et des mondes professionnels du psychisme [2]. Il y a ne serait-ce que cinq ou six ans, le lecteur désireux de trouver une sociologie de terrain de la psychiatrie contemporaine devait quasi-exclusivement se tourner vers des textes étrangers, notamment de langue anglaise. Le présent numéro, tout comme d’autres recherches, témoigne de cet essor.

Il interroge de plus cet objet sous l’angle particulier qui est celui d’une « revue des sciences sociales du politique » : sans que tous les articles s’inscrivent nécessairement dans une sociologie politique du psychiatrique, c’est le croisement du « psy » et du politique (au sens large) qui demeure l’objet privilégié, que ce soit sous la figure des mouvements sociaux anti-psychiatriques, des associations de patients ou de parents, des diverses « politiques du patient » en psychiatrie, des questions de tutelles juridiques et d’autonomie, ou encore des circulations, usages et effets des catégories « psy » dans l’action publique, les mobilisations et les affrontements politiques.

L’existence de ce dossier peut donc être célébrée en elle-même. Mais il vaut également par la posture qui est la sienne et l’élaboration d’une sociologie qui fasse objet du « monde psy » sans pour autant le dénoncer ou faire alliance avec l’une de ses composantes pour disqualifier les autres, en bref une sociologie qui ne soit pas elle-même une « critique du monde psy » et qui soit guidée par ce que le comité éditorial de la revue qualifie de « réalisme ». L’article de Nick Crossley (« Changement culturel et mobilisation des patients. Le champ de la contestation psychiatrique au Royaume-Uni, 1970-2000 ») met ainsi très visiblement en exergue ce principe de non-dénonciation, dans la mesure où il fait de la critique de la psychiatrie l’objet de son analyse. En examinant quatre organisations militantes de patients qui se sont succédées entre 1970 et 2000, l’auteur identifie les « cultures de la protestation » plus générales dont elles émanent : à une culture du conflit en résonance avec les luttes de classe des années 1970 succède ainsi dans les années 1980 une approche plus conciliatrice, davantage axée sur l’introspection et l’évocation des mémoires individuelles ou collectives, qui laisse place dans les années 1990 à une célébration des aspects excentriques et subversifs de la folie et à la revendication d’une « culture folle ».

L’absence de dénonciation n’entraîne cependant pas l’absence de dévoilement, et l’intérêt du dossier tient enfin à la façon dont les articles qui le composent battent en brèche un certain nombre de fausses évidences ou de fausses oppositions, qu’elles soient en circulation dans le monde psy lui-même, les sciences sociales ou les représentations profanes.

C’est tout d’abord une vision rapide de l’opposition entre « psychanalyse » et « psychiatrie » que deux des articles interrogent. Contre l’idée d’une approche psychanalytique qui serait forcément perçue par les patients ou leur famille comme plus humaine ou plus proche qu’une psychiatrie à orientation organique, Cécile Méadel (« Le spectre psy réordonné par des parents d’enfant autiste. L’étude d’un cercle de discussion électronique ») analyse, à partir de l’étude de forums de discussions sur Internet, le combat mené par un collectif de parents d’enfant autiste pour faire prévaloir, à l’intérieur même du champ médical, une définition de la psychiatrie débarrassée de ses références psychanalytiques et davantage ancrée dans des explications et des thérapeutiques comportementalistes - ce combat renforçant alors, par un « manichéisme stratégique », l’opposition entre les deux types d’approches.

C’est précisément cette opposition - non plus son usage, mais ses dimensions pratiques - qui est l’objet de l’étude de Sandra Jacqueline (« Les politiques du patient en pratique. Psychanalyse et psychopharmacologie à l’hôpital »). En observant les pratiques psychiatriques à l’œuvre dans deux services d’orientations contrastées (psychopharmacologique et psychanalytique), elle montre que, contrairement à une vision qui circule tant dans les mondes profanes que savants, il ne faut pas réduire cette divergence à une opposition stricte entre médicaments d’un côté et travail sur la parole de l’autre. C’est bien plutôt l’agencement entre parole et médicament qui n’est pas le même selon l’orientation de la prise en charge hospitalière, qui engendre des « mondes de soins », et partant des politiques du patient et des constructions de son autonomie, différents.

Le deuxième ensemble de « fausses évidences » auquel s’attaquent les trois derniers articles du dossier tient à la vision par trop unilatérale qui organise bien souvent les discours généraux sur l’existence d’un trend de « psychiatrisation » ou de « psychologisation » de la société, qui serait à la fois absolu et univoque.

En étudiant d’une part les conceptions qui président aux dispositifs de protection des « incapables majeurs », et d’autre part les expériences et situations vécues par ces derniers, notamment les usages qu’ils peuvent faire des mises sous tutelles, Benoît Eyraud (« Quelle autonomie pour les « incapables » majeurs ? Déshospitalisation psychiatrique et mise sous tutelle ») livre une étude de cas d’une politique de déshospitalisation psychiatrique en pratique et montre en particulier que « tutelle » et « autonomie » sont loin de s’opposer autant qu’on pourrait le penser.

C’est ensuite explicitement à une mise en lumière d’une double dynamique de psychiatrisation/dépsychiatrisation ou de psychologisation/dépsychologisation que se livre Didier Fassin (« Souffrir par le social, gouverner par l’écoute. Une configuration sémantique de l’action publique »). En examinant la « configuration compassionnelle » qui s’impose comme nouveau lexique des politiques sociales depuis les années 1990, il montre tout d’abord que l’avènement de la catégorie de « souffrance » comme nouvelle formulation de la question sociale (mais aussi comme instrument d’encadrement et de gestion des « classes dangereuses ») procède d’une rencontre entre certains courants ou réseaux des sciences sociales, de la haute administration et de la psychiatrie et ne se réduit donc pas à l’imposition par cette dernière d’une catégorie au reste de la société. De plus, si le fonctionnement des dispositifs de traitement de cette « souffrance » (par exemple un « point accueil jeunes » d’une ville de Seine-Saint-Denis) manifeste une psychiatrisation ou psychologisation du social et de la « gestion des pauvres », des dynamiques inverses n’en sont pas moins tout aussi notables, et pourtant moins souvent notées. L’auteur identifie ainsi un mouvement de dépsychiatrisation produit par la désaffection de psychiatres refusant de « faire du social » avec des publics les plus en difficulté, ainsi qu’un processus de dépsychologisation dans la mesure où les psychologues qui participent à ces dispositifs ne font véritablement de psychologie que sous une forme plus rhétorique que clinique.

Le dernier article du dossier poursuit l’interrogation du schème de la « psychiatrisation de la société » en abordant tout particulièrement le lien traditionnellement établi entre « psychologisation » (ou psychiatrisation) et « dépolitisation » (Stéphane Latté, Richard Rechtman, « Enquête sur les usages sociaux du traumatisme. A la suite de l’accident de l’usine AZF à Toulouse »). En prenant pour objet la forte mobilisation autour du « risque psychotraumatique » qui a suivi l’accident chimique de l’usine AZF, et en ne considérant pas la diffusion de la catégorie de « syndrome traumatique » et son usage par l’ensemble des acteurs de la mobilisation (sinistrés, cliniciens, autorités politiques et administratives, ouvriers, syndicats, et experts) comme « un gadget » mais bien comme « un mode de légitimation de l’action et des revendications », les auteurs remettent en particulier en cause trois « prénotions » : les pratiques psychiatriques serviraient nécessairement le pouvoir en place et les autorités officielles, les catégories « psy » seraient obligatoirement contraignantes sans possibilité d’usages stratégiques, les registres psychologiques empêcheraient toute construction collective des plaintes.

L’article liminaire des coordonnateurs du dossier permet de resituer les questions soulevées par ces différents articles dans les transformations qui ont affecté les « dispositifs emblématiques du monde psy » depuis les années 1980 au travers de leur confrontation avec divers « discours du social » (Nicolas Dodier, Vololona Rabeharisoa, « Les transformations croisées du monde « psy » et des discours du social »). Il s’agit pour les auteurs de reconstituer les influences réciproques et croisées du « monde psy » sur la vie sociale d’une part et des transformations de la société sur ses dispositifs d’autre part. Aux trois dispositifs emblématiques du « monde psy » jusqu’aux années 1980 (l’asile, la psychanalyse, le secteur) et aux visions du social qu’ils développent répondent ainsi trois « discours du social » ayant interrogé et influencé le monde psy : le « discours des forces », organisé autour de la dénonciation des rapports de domination y ayant cours, puis plus récemment le « discours des victimes » (et du « traumatisme psychique ») fondé sur l’identification de l’expérience partagée d’un dommage, et enfin le « discours de la précarité sociale » autour du couple exclusion-réinsertion et de la « souffrance psychique ». En outre, se superpose à ces transformations un mouvement qui prend davantage sa source dans le monde médical : la montée d’une « psychiatrie des preuves » (evidence-based medicine), s’articulant avec différents courants du monde psy (la psycho-pharmacologie, la génétique, les approches cognitivo-comportementales) et fondée, comme son nom l’indique, sur la recherche d’une objectivité obtenue « en soumettant l’évaluation des traitements à des méthodes statistiques standard ». Ce serait donc « l’éclatement » (entre asile, psychanalyse, secteur, dispositifs liés à la souffrance psychique ou au traumatisme psychique, psychiatrie des preuves, etc...) qui caractériserait aujourd’hui le monde psy.

Ni l’article ni d’ailleurs le dossier n’ont « l’ambition de proposer une analyse définitive de cet éclatement du monde psy », mais il est tout à fait exact qu’ils convainquent le lecteur « de l’importance de cette topique ». Aux questions explicitement posées par le dossier sur ce point, on peut d’ailleurs en ajouter deux, qui y figurent davantage en filigrane. Serait-il tout d’abord possible, dans l’analyse de cet éclatement, d’envisager à terme de manière plus distincte les diverses composantes du pôle « organique », qui est habituellement traité comme un bloc, unifié notamment par son opposition (le fait qu’il s’oppose et le fait qu’il soit opposé) à la psychanalyse ? Trois courants au moins de ce pôle sont cités dans le dossier (psycho-pharmacologie, génétique, approches cognitivo-comportementales) et, au-delà de leur rattachement commun (mais peut-être diversifié) à une psychiatrie des preuves, ils ne partagent ni toutes leurs positions ni toutes leurs pratiques. Deuxièmement, si cet éclatement dérive en partie de la confrontation du « monde psy » à divers « discours du social », il est essentiel, comme le font les articles du dossier, de se demander de qui (de quels groupes, de quelles institutions, de quelles disciplines enfin) émanent ces discours, et il semble tout à fait important de se poser notamment la question de la place de la sociologie et de ses relations avec les différents courants du « monde psy ». Le dossier nous la montre ainsi, ponctuellement, partie prenante de la critique de la psychiatrie des Trente Glorieuses ou de la construction du registre de la souffrance dans les années 1990 : c’est juste assez pour qu’on se prenne à imaginer l’intérêt, mais aussi la difficulté, d’un traitement autonome de cette question.

Le point de vue de Samuel Lézé [3].

La sociologie de la psychiatrie connaît actuellement un certain renouveau en France. Les six travaux réunis par Nicolas Dodier & Vololona Rabeharisoa s’inscrivent dans cette dynamique qui se cherche encore une cohérence d’ensemble. Autrefois, deux cadres d’analyses ont en effet orienté et dominé ce domaine de recherche : l’analyse des facteurs sociaux des maladies mentales (Roger Bastide) puis l’analyse du contrôle social des institutions psychiatriques (Robert Castel). S’interroger aujourd’hui sur les nouveaux rapports entre « monde psy » et société comme le propose cette livraison de Politix, c’est sans nul doute contribuer au développement d’une sociologie politique de la santé mentale. Car si la juridiction psychiatrique a fait l’objet de profondes transformations ces trente dernières années, qui en redéfinissent la fonction et la nature, c’est en raison de rapports de force et d’enjeux inédits. Comment rendre compte de cette complexité ?

Ici, le mot clé est certainement : « mouvement social ». Classiquement, Anselm Strauss préconisait d’étudier la dynamique des professions en terme de « mouvement social » et l’on sait déjà combien cette approche fut féconde et reste très actuelle dans l’analyse de la profession psychiatrique, polarisée par les perspectives psychodynamique et organiciste. Mais à présent, il faut ajouter la mobilisation des collectifs de patients ou des familles de patients, lesquels peuvent être autant de mouvements sociaux ayant une action de premier plan sur la définition de la politique de santé mentale, ses modes d’interventions et ses concepts. Ces deux entrées organisent les contributions, avec une plus large représentation de la seconde sur la première, ce qui donne une idée de la reconfiguration du pouvoir psychiatrique et du champ de la santé mentale en général sous l’influence des profanes.

Si l’importance de ces collectifs est déjà une leçon de la sociologie politique de la santé, une autre conclusion s’impose également : il faut reconsidérer les versions réductionnistes et unilatérales du pouvoir psychiatrique et de la psychiatrisation du social. Opérant un magistral retournement, la psychiatrie américaine est en effet devenue une institution engagée dans des processus de négociation, jouant même le rôle, quelque peu inattendu dans l’histoire de la folie, d’instance de légitimation de certains mouvements sociaux : gays et vétérans de la guerre du Vietnam par exemple. C’est la convergence de mouvements sociaux internes et externes à la psychiatrie qu’il faut ici cerner dans toute sa subtilité. Bardée de cette nouvelle respectabilité, rien n’empêche cependant de la convoquer pour jouer un rôle de contrôle social (« enfin » scientifique et efficace) comme l’appelle de ses voeux un rapport récent (2005) de l’INSERM quelque peu décrié par les professionnels eux-mêmes...

Il s’agit du premier numéro de revue française qui se consacre sérieusement à cette question. La présentation de Nicolas Dodier & Vololona Rabeharisoa insiste bien sur le rapport dialectique existant entre le champ de la santé mentale et l’espace social. Les dispositifs de la psychiatrie (l’asile, la psychanalyse, le secteur) portent en effet une vision du monde et peuvent être abordés selon trois axes (ontologique : la nature des entités invoquées ; épistémique : la nature de l’objectivité défendue ; morale au sens large : le degré d’autonomie escompté pour les patients) [4]. De l’actuelle coexistence de ces trois dispositifs faut-il pour autant conclure à un éclatement de la psychiatrie ? Cette question n’est-elle pas plutôt l’artefact d’une approche en termes statiques et vagues du « monde psy » qui est propre au sens commun confronté à une « nébuleuse » ? D’ailleurs, n’est-elle pas contradictoire avec le contenu du numéro qui illustre parfaitement une approche dynamique et analytique en termes de champs de forces ? Structuré autour d’arènes politiques spécifiques et d’acteurs collectifs singuliers, l’enjeu est justement de rendre compte d’une configuration de pouvoir particulier. Du reste, la psychiatrie a-t-elle jamais connu un temps de stabilité et d’unité autre qu’intermittent, provisoire ? En somme, ce sont les seules réserves, si ce n’est une différence d’accent, que je formulerais à l’égard de cet excellent numéro qui fera date.

Inversement, se développent des discours sociaux critiques à l’encontre de la psychiatrie. Le plus ancien est le discours des forces dans lequel convergent sociologie critique et mouvements d’antipsychiatrie, remise en question radicale du mandat et de la scientificité de la psychiatrie. Les deux autres discours s’inscrivent dans cette déflagration. Le discours des victimes (de la psychiatrie ou légitimées par la psychiatrie) et celui de la précarité sociale (effet de la désinstitutionalisation des malades mentaux, les patients sont laissés à eux-mêmes). C’est dans ces conditions structurelles que doit s’appréhender le mouvement de la « psychiatrie des preuves » [5] où la valorisation de la « scientificité » propose une forme de compromis entre collectifs (de patients et professionnels). Arrangement qui répond bien aux nouveaux enjeux du champ au désavantage du mouvement psychodynamique qui a non seulement perdu du terrain, mais aussi, des batailles décisives...
L’article de Nick Crossley aborde le champ de la contestation psychiatrique au Royaume-Uni (1970-2000) polarisé par quatre organisations militantes luttant pour la représentation des « patients ». Son objectif est d’analyser l’évolution et la distinction des formes de protestation qui engagent pour chaque organisation son identité, une rhétorique et son expressivité, le diagnostic du problème, la forme de l’institution militante valorisée et les stratégies et techniques de protestation. Le facteur générationnel est à ses yeux essentiel pour comprendre ces différences. Il laisse en revanche ouverte la question des effets de ces organisations sur la politique de santé mentale et les modes de réaction des professionnels. En étudiant un cercle de discussion électronique sur Internet initié par des parents d’enfants autistes, Cécile Méadel se consacre à un autre de type d’activisme, qui n’est certes pas porté par un acteur collectif reconnu mais qui contribue à redéfinir l’autisme à travers un combat moral (contre le « piège machiavélique » de la psychanalyse), cognitif (en soutenant les recherches organiques) et politique (contre les institutions psychiatriques et le pouvoir « psy »).
Abordée comme une injonction normative récente, la question de l’autonomie est rarement décrite en action. Deux articles offrent une description des tensions intrinsèques au champ psychiatrique, à partir de conceptions très divergentes de l’autonomie. Dans une perspective de sociologie pragmatique, Sandra Jacqueline compare le statut du patient dans deux services aux cadres thérapeutiques rigoureusement opposés (psychopharmacologique et psychanalytique) en décrivant les modalités de traitement (l’articulation différenciée des soins par la parole et par les psychotropes). En ressortent deux conceptions de l’autonomie : l’une « déléguée » par les spécialistes au patient et à sa famille sur le mode pédagogique (service psychopharmacologique), l’autre « réflexive » en privilégiant parole et singularité du patient (service psychanalytique). Le mouvement « pendulaire » de deux conceptions de l’autonomie est analysé par Benoit Eyraud dans le cas, particulièrement éclairant, de la mise sous tutelle : version idéalisée (fondée sur le primat de qualités individuelles comme la raison, la volonté et le jugement) vs « désidéalisée ». L’objectif est de formuler, à partir d’une description de crise, une conception « équilibrée » de l’autonomie qui rende compte des capacités d’un individu pourtant reconnu incapable.
En étudiant l’émergence de la catégorie de « victime », les deux derniers articles montrent de façon convaincante comment la psychiatrie est affectée par des transformations sociales plus larges. Didier Fassin propose de retracer la généalogie d’une configuration sémantique « compassionnelle » (le social fait souffrir) au principe d’une nouvelle politique de l’action publique pour penser les inégalités sociales, depuis les sciences sociales jusqu’au développement de dispositif de prise en charge de la souffrance (les lieux d’écoute). Validé par des psychiatres, psychologues et travailleurs sociaux sont mis a contribution pour affronter une « clinique du social » qui ne manque pas de paradoxe : des psychiatres absents des dispositifs, des psychologues qui ne font plus de psychologie, des travailleurs sociaux en souffrance, des usagers « sans demande » et une « écoute » à géométrie variable... De ce fait, la psychiatrisation d’un phénomène s’accompagne de la « dépsychiatrisation » de la prise en charge. A partir d’une étude des usages rhétoriques du traumatisme dans le contexte de l’accident de l’usine AZF à Toulouse, Stéphane Latté et Richard Rechtman considèrent cette question comme la synecdoque de deux ordres de transformations : l’extension de la juridiction psychiatrique aux « avatars de la normalité souffrante » (au sujet « blessé » plutôt que malade) et l’importation dans l’espace politique de nouveaux modes de gestion (la prise en charge psychologique) et d’expression légitimes de la plainte. La situation ainsi définie produit aussi son lot de paradoxes. Si les usages politiques du traumatisme font progressivement disparaître le sens clinique premier, celui-ci exclut les premières « victimes » objectives de l’accident, à savoir les malades mentaux (manquant de représentant collectif et, comble de la situation, faute de pouvoir dissocier ce qui relève d’un état psychologique antérieur des séquelles imputables à l’accident !!) et les ouvriers de l’usine (dont le cas est relégué au chapitre de « l’accident du travail »)...

NOTES

[1Muriel Darmon est sociologue, chargée de recherche au GRS (Groupe de recherche sur la socialisation, Lyon).

[2A noter, en hors dossier, un article de Laure Bereni portant sur l’évolution des stratégies des féministes du Parti socialiste et de Daniel Sabbagh sur la « discrimination positive » dans l’enseignement supérieur en France et aux Etats-Unis.

[3Samuel Lézé est A.T.E.R en Epistémologie à L’université Claude Bernard Lyon 1, doctorant au Centre Maurice Halbwachs (Équipe « Enquêtes, Terrains, Théories », UMR CNRS 8097, École Normale Supérieure, Paris) et GTMS, UMR 8128, EHESS, Paris. Son blog consacré à la sociologie de la santé mentale est référencé sur Liens socio : http:// www.leze.ath.cx.

[4Mais ces dispositifs peuvent également être analysés en terme de projet politique de santé mentale. Cf. par exemple Jean De Munck et al., Santé mentale et citoyenneté. Les mutations d’un champ de l’action publique, Gent, Acadmia press, 2003, 180 pages.

[5À cet égard, voir le numéro spécial « La psychiatrie à l’épreuve de la génétique » rassemblé par Vololona Rabeharisoa dans la revue Sciences Sociales et Santé, volume 24, numéro 1, mars 2006.

Note de la rédaction

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