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Faire ses devoirs. Enjeux cognitifs et sociaux d’une pratique ordinaire

Un ouvrage sous la direction de Patrick Rayou (Presses Universitaires de Rennes, Coll "Paideia", 2010)

publié le vendredi 16 avril 2010

Domaine : Sociologie

Sujets : Protection sociale

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Par Frédérique Giraud

Le « travail hors la classe » [1], conçu comme un temps qui prend la suite du travail d’apprentissage réalisé en classe, fait régulièrement l’objet d’interrogations et de critiques : en témoignent les récurrents appels à l’interdiction du travail écrit hors la classe à l’école primaire. Cependant ces tentatives avortent rapidement. Comment expliquer que le « travail hors la classe », pourtant peu préconisé et limité par les textes officiels, ainsi que le rappelle Martine Kherroubi, « se [maintienne] et prospère en étendant son empire de plus en plus loin » ? (p 10, Patrick Rayou). C’est à la compréhension de cette question, que s’attelle l’ouvrage collectif Faire ses devoirs. Enjeux cognitifs et sociaux d’une pratique ordinaire. Les contributions réunies visent à dégager deux séries de causes permettant de construire le travail hors la classe en « problème » et de dénaturaliser les pratiques sociales aux confins desquelles les devoirs restent prégnants.

Cet ouvrage s’appuie sur deux enquêtes : la première a été menée par une équipe de chercheurs et de formateurs des IUFM d’Aquitaine, de Créteil et de Versailles de 2005 à 2007, la seconde a pris place en 2008, en réponse à un appel du Centre Alain Savary de l’INRP. Afin de tester l’hypothèse de différenciations importantes dans les manières de prescrire et d’accompagner le travail hors la classe des élèves dans des milieux sociaux différenciés, les terrains choisis pour l’enquête sont volontairement multiples : ZEP dans le Val-de-Marne, et en Seine St Denis, dans la Somme, mais également collèges et écoles fréquentés par des élèves de la classe moyenne, voire moyenne supérieure, dans la banlieue de Bordeaux et dans le Val-de-Marne. [2] L’ouvrage rend compte de ces enquêtes et s’articule en deux parties : la première mettant en perspective les cadres historiques, institutionnels et sociaux du travail hors la classe, la seconde entrant pleinement dans la boite noire du travail hors la classe.

Le maintien des devoirs relève-t-il d’une « croyance partagée du monde de l’éducation » se demande Patrick Rayou, coordinateur de l’ouvrage, en introduction ? Ainsi que le montrent Valérie Caillet et Nicolas Sembel, en confrontant le point de vue des enseignants, des parents et des élèves, les « bonnes raisons » de demander du travail hors la classe (fixer les apprentissages, identifier les difficultés des élèves et ajuster l’enseignement en retour, développer l’autonomie de l’élève, impliquer les parents dans la scolarité des enfants...) l’emportent sur les limites et critiques formulées par l’ensemble des acteurs (interrogations sur les formes que prend ce travail (répétitions, apprentissages par cœur, lourdeur des devoirs..). Frédéric Charles qui s’intéresse à la manière dont une promotion de stagiaires de l’IUFM de Créteil, futurs enseignants du second degré, perçoit à la fin de leur année de formation professionnelle, le travail hors la classe atteste de ce rapport positif des jeunes professeurs au travail hors la classe : ainsi par exemple 96,3% des 640 enseignants interrogés par questionnaire en mai-juin 2006 sont « plutôt d’accord » avec l’idée que les devoirs permettent de « réviser et de mémoriser des savoirs appris en cours ». Il montre que ce rapport positif aux devoirs se comprend à l’articulation de leur passé familial et scolaire et de leur socialisation professionnelle.

Valérie Caillet et Nicolas Sembel montrent que les « parents jouent le jeu » (p 41-43) du travail hors la classe, une majorité de parents portant un regard positif sur les modalités et le sens du travail hors la classe, même si des différences notables entre catégories sociales se font jour (p44-45). [3] Si l’idée que l’implication des familles est nécessaire à la réussite scolaire des élèves, fait aujourd’hui l’objet d’un consensus, reste que l’exportation du travail hors de l’école [4] est porteuse de profondes inégalités. « L’idée d’un passage harmonieux entre la classe et la maison présuppose une continuité culturelle largement démentie par les faits » (p 91, Patrick Rayou). En effet toutes les familles ne sont pas également dotées pour aider les enfants dans leurs devoirs (ce que montrent Valérie Caillet et Nicolas Sembel p 41-45, Patrick Rayou p 92-93, Sévérine Kakpo p127-146) : si les mères les moins diplômées consacrent le plus de temps à l’aide aux devoirs, plus de la moitié des mères sans diplôme ou titulaires du seul certificat primaire, déclarent avoir souvent ou très souvent le sentiment de manquer de connaissances pour aider leurs enfants en primaire. « Le travail hors la classe est donc une source profonde d’inéquité puisque certains élèves pâtissent d’un déficit de ressources familiales » (p 127, Séverine Kakpo) De plus, le travail hors la classe pose comme « normale » une activité qui ne l’est pas pour toutes les familles : ainsi Patrick Rayou souligne-t-il que les familles populaires, déjà enclines à considérer comme inutiles certains contenus d’enseignement, voient dans le travail scolaire une surcharge infondée, qui alimente la critique de l’école, déjà généralisée dans ces milieux.

Si le « travail hors la classe » est défini comme un temps d’étude qui prend la suite du travail d’apprentissage réalisé en classe, l’enjeu des études sociologiques est d’observer ce qui se passe de façon concrète au cours de ce travail hors la classe. Sylvie Cadolle et Janine Reichstadt s’intéressent à l’apprentissage des temps du passé en CM2 et interrogent la continuité des apprentissages à l’école et hors l’école. [5] Séverine Kakpo examine les didactiques éducatives effectives mises en œuvre par les familles, au sein des classes populaires le plus souvent issues de l’immigration, à partir de l’étude de l’apprentissage de la lecture hors la classe. Le travail de lecture à la maison sollicité dans le cadre de l’enseignement de la lecture, qui semble aller de soi pour les enseignants, met en jeu des savoirs exigeants, qui « supposent une autonomie et des dispositions réflexives » (p132), inégalement réparties parmi les élèves et les parents. Séverine Kakpo montre comment loin de remédier aux difficultés des enfants, les interventions familiales participent souvent à leur renforcement. Les « postures de lecture » familiales, souvent inappropriées, sont contre-productives. Patrick Rayou et Janine Reichstadt observent « les élèves au travail » dans un dispositif d’aide aux devoirs d’un établissement de la périphérie parisienne. Leur travail permet d’appréhender les difficultés essentielles des élèves qui suivent l’aide aux devoirs, ainsi que les limites et dynamiques de l’aide qui y est fournie aux élèves. Les dispositifs d’accompagnement à la scolarité sont souvent décevants. [6] Cette étude montre qu’il est difficile à un certain nombre d’acteurs, désireux de démocratiser davantage l’école, de faire du travail hors la classe, un outil de remédiation efficace. [7]

Au total, l’ouvrage collectif Faire ses devoirs. Enjeux cognitifs et sociaux d’une pratique ordinaire permet de mettre en évidence les « malentendus » [8] cognitifs et sociaux entre les différents acteurs du travail scolaire hors la classe. Loin de n’être qu’une pratique ordinaire, le travail hors la classe doit faire l’objet de médiations de la part des enseignants, en direction des parents et élèves, afin que les devoirs ne soient pas générateurs et multiplicateurs d’inégalités sociales.

NOTES

[1Le « travail hors la classe » correspond à des tâches orales ou écrites données par les enseignants à leurs élèves et effectuées hors de leur regard et de leur soutien direct, que ce soit dans l’école (étude surveillée, aide aux devoirs...), ou hors de l’école (dans les familles ou au sein d’associations ou d’organismes privés

[2Ont été interrogés des chefs d’établissements, directeurs, enseignants, stagiaires IUFM, élèves, des observations ont été menées au collège, dans les études surveillées ou les sessions d’aides aux devoirs d’associations.

[3Patrick Rayou note (p 90) que la forte mobilisation autour des devoirs de vacances totalement facultatifs, mais pourtant très présents dans les familles atteste du succès des devoirs.

[4Martine Kherroubi rappelle p 25 que dans les années 1960-1970 au primaire et dans le secondaire, les devoirs sont appelés « travail à la maison » ? Substituer à cette expression celles de « travail hors de l’école », « le travail pour l’école en dehors de l’école », « l’école après l’école » souligne avec force l’idée qu’une partie de l’apprentissage scolaire se fait ailleurs qu’à l’école, et qu’en ce sens, ce sont les familles et les élèves qui sont responsabilisés.

[5Cette contribution s’appuie sur une enquête menée dans deux classes de CM2. Elle a consisté en l’observation de deux cours parallèles de CM2, en l’analyse des cahiers d’élèves, les deux enquêtrices ont également suivi des élèves à l’étude, à l’association d’aide aux devoirs et dans des familles et enfin ont assisté au cours du lendemain matin, au cours duquel les exercices ont été corrigés.

[6Piquée, Suchaut, « Les dispositifs d’accompagnement à la scolarité : fonctionnement, public, efficacité et équité », Les Notes de l’Irédu, 2002

[7Constat déjà établi par Bautier et Rayou, Les inégalités d’apprentissage. Programmes, pratiques et malentendus scolaires, Paris, Puf, 2009

[8Bautier, Rochex, « Apprendre : des malentendus qui font la différence », in J Deauvieau, J-P Terrail, Les sociologues, l’école et la transmission des savoirs, Paris, La Dispute, 2007

Note de la rédaction

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