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Genèse d’une discipline, naissance d’une revue : Sociologie du travail

Un ouvrage de Anni Borzeix et Gwenaële Rot (Presses Universitaires de Paris Ouest, 2010)

publié le mardi 19 octobre 2010

Domaine : Sociologie

Sujets : Travail

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Avec les témoignages de
Michel Crozier, Jean-Daniel Reynaud,
Alain Touraine, Jean-René Tréanton

Par Xavier Vigna [1]

Depuis deux décennies au moins, les sociologues envisagent un retour sur la genèse de leur discipline. L’ouvrage d’Anni Borzeix et Gwenaële Rot prolonge ce regard rétrospectif, en s’intéressant à la naissance de la revue Sociologie du travail en 1959 par un jeune quatuor talentueux : Michel Crozier, Jean-Daniel Reynaud, Alain Touraine et Jean-René Tréanton.

Dans une première partie, la parole est laissée aux fondateurs, qui livre successivement (et parfois une nouvelle fois) leurs souvenirs de cette genèse. Surtout, des portraits croisés permettent à chacun d’entre deux de réagir aux premiers entretiens, de compléter voire de réagir à certaines affirmations. De ce fait, c’est un récit polyphonique voire dissonant que les auteurs parviennent à faire entendre, bien éloigné d’un unanimisme convenu. La seconde partie livre les résultats des investigations menées dans les archives par Anni Borzeix et Gwenaële Rot, afin de dépasser voire de rectifier à la fois les récits des fondateurs et des autres sociologues sur les premières années de Sociologie du travail. Elles inscrivent cette création dans le champ de la sociologie du travail, marqué à la fois par l’essor du Centre d’études sociologiques, la collaboration rivale entre Georges Friedmann et Pierre Naville débouchant sur la rédaction du célèbre Traité de sociologie du travail, dont Jean-René Tréanton fut la cheville ouvrière. Plus encore, les auteurs montrent le rôle majeur de l’Institut des sciences sociales du Travail dans la création de la revue, et soulignent le rôle des enquêtes qui démarrent en ces années, notamment celle sur le laminoir de Mont Saint Martin à proximité de Longwy, menée au quotidien par Bernard Mottez et Jacques Dofny, supervisés par Touraine et Reynaud. Reste qu’une revue suppose un éditeur et les auteurs documentent le choix du Seuil, où Crozier avait ses entrées.

Dès lors, la revue peut paraître et Anni Borzeix et Gwenaële Rot analysent, dans la troisième et dernière partie, la production scientifique de la revue entre 1959 et 1965, avant que les « Quatre fils Aymon » selon la jolie expression de Crozier, ne passent la main. Ce passage en revue apporte quelques confirmations sur la volonté d’ouverture vers la société civile, et plus encore sur l’attention portée aux mondes étrangers, américain évidemment, mais aussi européen ou latino-américain, voire japonais. Il nuance en revanche un supposé ouvriérisme, en montrant que si le travailleur de la grande industrie domine, cela n’interdit nullement une attention à d’autres figures sociales. Surtout, il montre une relative négligence de la réalité du travail et de son organisation alors même que le pays est engagé dans une seconde rationalisation : comme si Friedmann était peu écouté par ses disciples impertinents !

Tel quel, l’ouvrage qui restitue toute la dimension générationnelle du projet fondateur, offre ainsi une analyse fouillée et une mise au point sans doute définitive. Parmi les multiples pistes que soulève l’ouvrage, deux ont retenu notre attention. La première porte sur la dimension politique de la revue, abordée en filigrane tout au long de l’ouvrage. A cet égard, on relève l’engagement dans le Club Jean Moulin, qui regroupe des réformistes du centre gauche, de deux des fondateurs, Crozier et Reynaud, comme de Friedmann ou de Chombart de Lauwe (p. 49). Cet engagement se décline également dans un anti-communisme prononcé : Reynaud rappelle par exemple le refus explicite des fondateurs de compter en leur sein un(e) communiste (p. 98). Il conduit ainsi la revue à promouvoir un « réformisme progressif sans révolte social ni soulèvement populaire » (p. 306), quitte à négliger les conflits et les grèves qui scandent la période, notamment celle des mineurs, à Decazeville d’abord puis dans toute la France au début de l’année 1963.

L’autre piste est une manière de revisite des travaux menés à l’époque par les sociologues. En pointant l’importance des enquêtes par questionnaire, et notamment la focalisation sur « l’attitude » des salariés, concept flou hérité de la psychosociologie, qui permet ensuite d’élaborer de belles statistiques, et de savants tris croisés, les auteurs interrogent, semble-t-il, la richesse de la démarche. C’est notamment le cas lorsqu’elles citent Bernard Mottez qui regrette de n’avoir pas utilisé la richesse des témoignages collectés à Longwy (p. 159). De fait, « tout un pan du travail de terrain reste inéluctablement invisible : les entretiens biographiques, certains détails des savoir faire empiriques et des formes d’apprentissage, les pratiques managériales du quotidien... On devine aussi un autre monde du travail, autrement plus complexe et plus vivant, mais que vient lisser la mise en forme du texte sociologique selon les conventions d’alors. » (p. 165).

Au final, le livre séduit par sa richesse ou l’ampleur des documents reproduits et emporte la conviction. On regrettera seulement que, dans le panorama de la sociologie du travail des années 1950-60 qu’il dresse, il s’en tienne encore largement à une conception restrictive de la sociologie. Il passe ainsi trop rapidement sur les travaux de Pierre Belleville et Serge Mallet interrogeant une « nouvelle classe ouvrière », néglige totalement les enquêtes participantes, émanant soit des catholiques dans le monde ouvrier, notamment celles de Michèle Aumont, soit des militants comme Daniel Mothé. Il nous semble qu’à l’époque, les cloisonnements entre les spécialisations disciplinaires étaient moins étanches, et que la jeune sociologie du travail y trouvait la source de son rayonnement. Certes, ce n’était pas l’objet principal du livre. Mais les auteurs auraient sans doute pu rappeler qu’au temps de la centralité ouvrière, les sociologues du travail et les tenants de l’observation participante en milieu ouvrier irriguaient une bonne part du monde intellectuel

NOTES

[1Université de Bourgogne - Centre Georges Chevrier

Note de la rédaction

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